L'entraînement des algorithmes et robots repose l'exploitation du travail digital

Publié sur Facebook, le 21 mars 2023

Ce genre d'articles vante l'idée que les "prompt engineers" représentent un métier d'avenir, en gagnant 300 000$ par année pour entraîner des algorithmes. Or, si on regarde de plus près la chaîne de valeur et l'écosystème de firmes comme OpenAI, on remarque qu'il s'agit là d'une extrême minorité d'emplois, une "aristocratie du travail", comparativement à l'armée de travailleuses et travailleurs du clic payés à la pièce, précarisés, parfois à moins de 2$ de l'heure, situés majoritairement dans les pays du Sud: Madagascar, Kenya, etc. En réalité, l'avancée du capital algorithmique repose sur une exploitation croissante du "travail fantôme" (ghost work), terme inventé par Mary L. Gray et Siddharth Suri dans leur livre Ghost Work: How to Stop Silicon Valley from Building a New Global Underclass (2019).

Bref, pour chaque ingénieur·e de prompts qui aura la chance de gagner 300 000$ pour s'amuser avec ChatGPT, la majorité d'entre nous travaillerons gratuitement en accomplissant le même genre de tâches, et des gens seront sous-payés pour exécuter sale boulot de modération et d'étiquetage de contenus violents pour rendre les robots plus propres, performants et "éthiques".

En résumé, l'entraînement des algorithmes et robots repose l'exploitation du travail digital (digital labor) hiérarchisé de la manière suivante:

  1. Le travail fantôme, micro-travail ou "travail du clic", largement fragmenté, sous-payé, précarisé et externalisé.
  2. Le travail social réseau, souvent réalisé gratuitement et hors des paramètres du salariat, par les utilisateurs des logiciels, plateformes et médias sociaux (comme vous et moi).
  3. L'élite du travail hautement qualifié, ou "travail venture" selon l'expression de Gina Neff dans son livre Venture Labor: Work and the Burden of Risk in Innovative Industries (2012).

Voici un extrait du futur livre co-écrit avec Jonathan Martineau:

"Ces travailleurs hautement qualifiés sont généralement très bien payés, et travaillent dans des conditions optimales : la richesse du travail digital se concentre dans les mains de cette élite du travail, le « travail venture ». Ces travailleurs représentent la crème des programmeurs hautement qualifiés, expertes en intelligence artificielle, gestionnaires de haut niveau, ingénieurs web, expertes en science des données, etc., et ils sont dans des relations d’emplois plus près du modèle salarial traditionnel. À eux s’ajoute une armée de pigistes et de travailleurs à forfait, qui parfois travaillent aux sièges sociaux avec le noyau entrepreneurial, dans des espaces aménagés séparés, ou de la maison. Ce travail souvent appelé « indépendant », mais en fait dépendant de la plateforme, obéit à la même logique que le microtravail ; il représente une fragmentation et une externalisation du travail, bien qu’à un degré moindre de fragmentation des tâches."

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Réflexions de Jonathan Durand Folco
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Intégré par Joël Nadeau, le 22 mars 2023 15:26
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Intelligence artificielle

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Publication

22 mars 2023

Modification

13 juillet 2023 10:12

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