Surmonter l’impasse stratégique de Québec solidaire: cinq voies de sortie (Partie 1)

Partie 1 de 2 : Les raisons de la stagnation

Depuis les élections de 2018, Québec solidaire plafonne dans les sondages et les intentions de vote, qui varient en moyenne entre 12 et 17%. Lors des élections générales de 2022, alors QS prétendait pouvoir devenir l’« opposition officielle » au gouvernement Legault en misant sur l’effondrement probable du Parti québécois et du Parti libéral du Québec, le parti de gauche n’a pas réussi à tirer son épingle du jeu. Avec le triomphe de la Coalition avenir Québec qui remporta 90 sièges et 40,98% des voix, aucun autre parti n’est arrivé à s’imposer comme la « grande alternative » à la CAQ.

QS avait pourtant fait la plus grosse campagne électorale de son histoire, en dépensant 4,9 millions de dollars, comparativement à 6,6 M$ pour la CAQ, 5,2 M$ pour le PLQ, et 2,4 M$ pour le PQ. Le parti gagna 1 siège supplémentaire, mais perdu la symbolique circonscription Rouyn-Noranda et se « montréalisa » davantage, avec une légère baisse des voix par rapport aux dernières élections (634 535 en 2022 au lieu de 649 503 votes en 2018). Somme toute, le pari fut perdu, bien que ce ne fut pas une catastrophe non plus, car les autres partis à l’exception de la CAQ n’ont pas performé davantage, en sauvant les meubles dans les circonstances difficiles d’une pandémie mondiale.

Alors que QS aurait théoriquement pu devenir la principale alternative à la CAQ, un phénomène imprévisible survint. Le PQ, qui avait alors seulement 3 députés, s’est mis à attirer l’attention médiatique et à augmenter rapidement sa cote de popularité, jusqu’au point de devenir en l’espace de quelques mois seulement le premier parti dans les intentions de vote. Qui aurait pu prédire, à l’automne 2022, que le PQ, qui venait tout juste de faire le pire score de son histoire, évitant de justesse la disparition totale, à renaître de ses cendres, tel un phénix, en dépassant non seulement QS, mais aussi la CAQ? Aucun pronostic ne pouvait anticiper ce revirement de situation exceptionnel.

Certaines personnes feront l’hypothèse qu’il s’agit là d’un phénomène passager, la remontée du PQ s’expliquant par un simple « retour au bercail » de brebis égarées et déçues par la CAQ. Or, le maintien dans les sondages du PQ depuis la dernière année semble représenter une nouvelle conjoncture, voire un nouveau « cycle politique », où nous assistons à une reconfiguration des blocs historiques. Il s’agit là de tendances lourdes, et rien ne permet de prédire un changement significatif dans les deux prochaines années, à moins d’un événement majeur ou d’une crise sociale difficile à prévoir.

Figure 1: Projections de vote et sièges au Québec, tirée du site Qc125, 17 juin 2024

Projections de vote au Québec, Qc125, 17 juin 2024
Projections de nombres de sièges, Qc125, 17 juin 2024

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce chassé-croisé entre le PQ et QS. Tout d’abord, le scandale entourant l’abolition du serment au roi, un enjeu relativement symbolique comparativement à d’autres problèmes sociaux majeurs comme la crise du logement ou l’explosion du coût de la vie, a permis d’augmenter la sympathie populaire à l’endroit de Paul St-Pierre Plamondon et de galvaniser ses troupes. Une telle action de « rébellion » contre la monarchie parlementaire aurait pu être menée par QS en 2018 ou en 2022, mais la ligne « prudente » ou « pragmatique » de la direction du parti fit en sorte que PSPP a pris les devants et a réussi à imposer cet enjeu dans le débat public.

Ce petit épisode, aussi banal qu’il puisse paraître, était pourtant révélateur d’un deuxième facteur important de la stagnation de QS, soit l’aversion au risque qui domine les communications du parti depuis quelques années. Cette attitude détonne avec le caractère décomplexé du PQ, qui s’est mis à avoir un discours beaucoup plus franc et tranché sur différents enjeux comme l’indépendance, l’immigration, etc. Alors que QS, parti de gauche à la réputation « radicale », cherchait depuis au moins 2020 à devenir plus sage, crédible et respectable auprès de la population, en donnant l’image d’un parti sérieux, modéré et pragmatique, le PQ jouait pour sa part « le tout pour le tout » en osant la prise de risque, ce qui s’avéra payant en bout de ligne.

Cette différence entre les deux partis, l’un privilégiant la ligne prudente et l’autre l’approche décomplexée, a montré ses fruits lors de l’élection partielle de Jean-Talon où le PQ sortit grand vainqueur, avec une large longueur d’avance, dans une circonscription qui fut longtemps sous hégémonie libérale avant de tomber entre les mains de la CAQ en 2019. À l’inverse, QS perdit des voix, le parti peinant à faire sortir le vote des jeunes et  de sa base électorale traditionnelle. L’approche de modération prônée par la direction de QS coûte plus chère dans un contexte où le parti ne se rapproche pas du pouvoir. Cette perte d’enthousiasme ou désenchantement à l’endroit de Québec solidaire, peut être résumée par une phrase percutante que j’ai personnellement entendu de la bouche de plusieurs personnes sympathisantes de QS, éloignées du parti ou d’ancien·ne·s militant·e·s déçus par la tournure du virage post-2018 : « QS ne fait plus rêver ». Cette « panne d’inspiration » représente le troisième facteur qui alimente la stagnation du parti de gauche dans le cœur des électeurs.

Un quatrième facteur qui explique la faiblesse des solidaires face à la rapide remontée péquiste s’explique par le positionnement idéologique du PQ qui lui permet de récupérer facilement les déceptions face au gouvernement Legault dont la popularité s’est effondrée à l’automne 2023. Rappelons brièvement que les mensonges entourant le Troisième lien, combinée à la hausse du salaire des députés dans un contexte de grève historique du secteur public, la perte de Jean-Talon face au PQ, la subvention absurde de 7 M$ aux Kings de Los Angeles à Québec alors que les banques alimentaires débordent, et toute une série de tergiversations mettant en lumière l’opportunisme mesquin de Legault et son absence de vision, tout cela a contribué à effriter le niveau de confiance à l’endroit de la CAQ. Or, si dans un monde idéal QS aurait pu prendre la balle au bond et se positionner comme le grand défenseur des classes moyennes et populaires, c’est plutôt le PQ qui a gonflé ses rangs des déçus de la CAQ.

Cela est facilité par le fait que le PQ adopte une ligne relativement « progressiste » sur l’axe socio-économique, tout en épousant une posture très nationaliste et conservatrice sur le plan identitaire, c’est-à-dire les questions touchant l’immigration, la langue, la laïcité et autres enjeux sociétaux. Cela permet d’assurer une continuité entre le « nationalisme conservateur » du gouvernement Legault, qui s’est à maintes fois réclamé de la pensée de Mathieu Bock-Côté, le PQ allant jouer sur ce terrain en demandant des seuils d’immigration plus bas que la CAQ, en rejetant la loi 96 sur la langue française car celle-ci n’était pas assez radicale, en entrant dans les polémiques entourant les drag queens, les toilettes mixtes et le « wokisme », ou encore en attribuant la crise du logement à « l’immigration massive » qui pourrait éventuellement faire disparaître le peuple québécois. De cette façon, PSPP parvient à récupérer les anciennes franges péquistes qui avaient déserté le PQ au profit de la CAQ en 2018, tandis que les libéraux et fédéralistes retournent à la maison-mère du PLQ.

Cela nous ramène au cinquième facteur, qui est le retour inattendu des « anciens partis hégémoniques » qu’ont été le PQ et le PLQ avant l’arrivée au pouvoir de CAQ. Alors que Legault avait réussi à forger une coalition contre-nature entre souverainistes déçus et fédéralistes modérés issus du milieu des affaires, autour d’un projet nationaliste, autonomiste et pragmatique aux contours flous, l’effritement de la CAQ semble provoquer une régression à un état antérieur de la scène politique québécoise, où le débat souverainiste/fédéraliste structurait l’ensemble du champ politique.

Cela est paradoxal, car QS avait fait le pari qu’une fois l’effondrement du PQ et du PLQ serait un fait accompli, il serait plus aisé de devenir le parti attrape-tout de centre-gauche capable de remplacer la CAQ en perte de vitesse lors des élections de 2026. La polarité QS-CAQ autour de la question constitutionnelle (indépendance vs autonomisme mou), de la question sociale (gauche vs droite), de la question climatique (écologie vs statu quo) et de la question identitaire (wokes vs réactionnaires) aurait permis de structurer le débat autour de ces enjeux, avec une confrontation claire, simple et lisible opposant Gabriel Nadeau-Dubois et François Legault.

Or, la stagnation de QS combinée au retour en scène du PQ qui mise sur un discours décomplexé en matière d’indépendance et d’immigration contribue à mettre de côté l’axe gauche/droite au profit de la seule question nationale qui a longtemps structuré la vie politique québécoise (de la Révolution tranquille à 2012 environ). Si le PQ revient en force avec l’idée d’un référendum dans un premier mandat, cette « menace » motive les fédéralistes à trouver un vote refuge auprès des libéraux, tout en positionnant QS dans un rôle de « second violon » face au PQ qui incarne le pôle majoritaire du rassemblement souverainiste. Cela nuit à la fois à la CAQ, qui a une ligne molle et incohérente sur cette question (son autonomisme ayant été un échec depuis 2018), ainsi qu’à QS (qui défend une indépendance inclusive, différente du PQ, mais en alliance avec le PQ dans le camp du Oui). Résultat : QS se trouve marginalisé dans une posture inconfortable, moins lisible, moins assumée et moins convaincante pour l’électeur moyen que celle du PQ.

Enfin, un sixième facteur contribue à la stagnation de QS depuis 2018 : la campagne massive de diabolisation du « wokisme » au sein de la sphère médiatique. Celle-ci sévit à l’échelle internationale, que ce soit aux États-Unis, au Québec, en France, en Italie, en Espagne et bien d’autres pays. Elle s’incarne à la fois par des chaînes d’information et chroniqueurs de droite décomplexés dans les grands médias (FoxNews, TVA, CNews, etc.), sur YouTube, TikTok et dans les conversations quotidiennes. Le backlash contre les revendications de la gauche, les mouvements antiracistes, féministes, LGBTQ+, autochtonns et écologistes est extrêmement puissant, surtout à travers le débat du « wokisme » qui polarise à outrance en permettant à la droite conservatrice et l’extrême droite de gagner des points dans le débat public. Dans ce contexte, le centrisme politique ne parvient plus à s’imposer, et les thèmes chers à la social-démocratie sont éclipsés par des enjeux de société et faits divers qui permettant à la droite de démoniser les « wokes », « totalitaires racialistes », « féminazis », « islamo-gauchistes » et autres épouvantails du genre qui sont historiquement associés à la gauche.

Comme QS se veut à la fois de gauche, féministe, inclusif, écologiste, solidaire des minorités sexuelles, des immigrants et des autochtones, il devient la cible idéale ou le bouc-émissaire des chroniqueurs réactionnaires d’ici. Cela contribue à construire une « carapace idéologique » dans le cerveau des masses, qu’il s’agit de déconstruire patiemment par le biais de l’éducation populaire, un travail de terrain et des récits convaincants, ce qui est le propre de n’importe quel parti de gauche sérieux à travers le monde. QS est malheureusement un cas parmi d’autres de partis de gauche démonisés par la grande presse et la droite radicale, surtout lorsque ses idées sortent du « consensus » qui se déplace toujours plus à droite dans l’imaginaire collectif.

Mais à l’heure où QS n’arrive plus à inspirer, s’ajoute à cela la peur de prendre des risques, la stagnation dans les sondages, la renaissance du PQ qui se sent plus décomplexé que jamais, le tout avec une ligne « pragmatique » et « modérée » alors que la vie politique des années 2020 favorise la montée aux extrêmes. Ajoutons encore la campagne continue de diabolisation du « wokisme » depuis une dizaine d’années, combinée à la difficulté d’élaborer et faire entendre un discours contre-hégémonique, tout cela empêche QS de progresser.

Dans ce contexte, que faire pour contrer cette tendance? Quelles sont les avenues pour que la gauche sorte du lot et parvienne à élargir ses appuis au-delà de son bloc social traditionnel? Les appuis à QS semblent relativement solides (autour de 14-15%), mais le parti est confronté à un plafond de verre qu’il n’arrive pas à briser. À cela s’ajoute la récente crise politique liée au départ soudain de sa dernière co-porte-parole Émilise Lessard-Therrien en avril 2024, qui révéla plusieurs problèmes internes et contradictions au sein du parti. Un « virage régionaliste » aurait pu voir le jour, mais cette parenthèse s’est refermée avec le départ inattendu d’Émilise qui provoqua une onde de choc à l’interne. Comment le parti va-t-il se relever de cette épreuve, et parvenir à convaincre au-delà de ses cercles habituels?

Si la récente crise de QS ne semble pas avoir marquer une baisse durable de ses appuis, qui tomba à 12% avant de remonter à 14-15%, cette tempête ne facilitera pas la remontée en puissance de QS et la résolution des problèmes évoqués plus haut. Autrement dit, tout indique que la conjoncture politique actuelle conduit QS à une stagnation, voire un recul, aux prochaines élections de 2026, à moins d’une nouvelle orientation stratégique se dessine. C’est à cet effort que nous aimerions contribuer en esquissant cinq voies de sortie.

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Include by Jonathan Durand Folco, on July 25, 2024, 11:19 p.m.

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July 26, 2024

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July 26, 2024, 12:07 p.m.

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Jonathan Durand Folco. (2024). Surmonter l’impasse stratégique de Québec solidaire: cinq voies de sortie (Partie 1). Praxis (consulted July 29, 2024), https://praxis.encommun.io/en/n/GFLULESHpIPyc_kSxadVHK8c9Lk/.

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