Vivre en commun dans la ruralité: l'exemple du partenariat public-commun (PPC) de CMetis

Cette note a été produite dans le cadre de la programmation du colloque Politique des communs (2024) organisé par le CRITIC au 91e congrès de l'ACFAS.

Biographie - Félix Beauchemin

Félix Beauchemin est étudiant à la maîtrise en innovation sociale à l’Université Saint-Paul, là où, sous la supervision de Simon Tremblay-Pepin, il produit sa thèse de maitrise sur l’implication sociopolitique des syndicats québécois dans les luttes pour le logement. En parallèle de la rédaction de sa thèse, celui-ci est membre participant de différents collectifs de recherche. Il collabore notamment comme stagiaire au CRITIC, s’impliquant dans le développement du collectif, en plus de participer à plusieurs projets multidisciplinaires au sein du Centre de recherche sur les innovations et les transformations sociales (CRITS). 

Introduction

Dans la riche histoire collectiviste du Québec, nombre d’initiatives innovantes — tant dans le domaine de l’économie sociale, que des communs — proviennent de communautés rurales. C’est notamment le cas au début du XXe siècle, là où la tradition économique canadienne-française se basait sur un rôle étatique dit subsidiaire qui déléguait une part de gestion à des coopératives rurales. Il en va de même au début des années 1980 où une mouvance plus militante cherchait à instaurer une structure d’économie sociale pour exercer un certain contrepouvoir concret face à la dérégulation néolibérale (Dufort et al, 2022).

La ruralité tient donc un rôle central dans cet exposé, notamment puisque — souvent délaissées ou non représentées — certaines régions ont dû se relever les manches de manière autonome et innovante au cours de l'histoire. Métis-sur-Mer, municipalité de 600 habitant·e·s, situé entre Rimouski et Matane dans le Bas-Saint-Laurent, pourrait s’inscrire dans cette tradition.

Cette présentation sera a priori réflexive. Je ne prétends avoir une réponse absolue aux éléments présentés, mais plutôt de présenter une étude de cas en espérant que cela suscite des recherches connexes sur des solutions de développement de communs en milieu rural. Réfléchissons désormais à une série de questions relatives à cette étude de cas :

De quelle manière faut-il développer ces communs? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils collaborer à leur mise en place? Comment proliférer de telles initiatives?

Qu’est-ce que CMetis?

CMetis est né d’un constat criant dans nos régions : la pénurie de logements, et plus spécifiquement de logements sociaux. L’est du Québec fait face à un taux d’inoccupation de logement de moins de 1 %, l’un des plus bas de tout le Canada, alors que de nombreuses résidences privées sont de plus en plus converties en hébergements touristiques.

Afin de régler ces problèmes, la ville de Métis-sur-Mer a cherché à construire du logement social. Toutefois, les programmes gouvernementaux de la Société d’habitation du Québec (SHQ) — et plus précisément le Programme habitation abordable Québec (PHAQ) —, demandent aux municipalités de contribuer à hauteur de 40% de la subvention de base de la SHQ.

Pour un projet comme CMetis, soit 20 logements (désormais 30), et donc le coût de construction peut aller jusqu’à 10 millions de dollars, ceci équivaudrait à une contribution municipale de plus de $2 millions. Un coût bien trop élevé pour une municipalité de 600 habitant·e·s avec des revenus annuels d’un peu plus de 2 millions de dollars. Conséquence : les personnes ainé·e·s et familles vivant sur le territoire, et qui cherchent à déménager dans un logement abordable, doivent se déplacer vers Rimouski, là où l’offre de logement est plus diversifiée.

Venant à la conclusion que les logements sont quasi-inexistants et que les programmes gouvernementaux ne sont pas adaptés aux réalités des petites municipalités, l’OBNL CMetis, spécialisé dans la construction écoresponsable, et le village de Métis-sur-Mer, ont négocié une entente innovante : le don d’un vaste terrain appartenant à la municipalité, ainsi qu’un congé de taxes foncières sur les tous les lots de logements sociaux pendant 35 ans (d’une valeur de 1,2 million $), visant la construction d’un écoquartier contenant du logement social et abordable, ainsi que des résidences privées. Ces contributions non monétaires permettent ainsi de compenser de manière alternative aux lourdes contraintes financières des subventions de la SHQ.

De ce fait, le projet d’écoquartier à Métis-sur-Mer est une réponse directe à une série de problèmes récurrents dans les régions, à savoir la non-adaptabilité des programmes de subventions destinés aux grandes villes, ainsi que le manque d’investissement dans le logement menant à l’exode de la population locale.

Le commun

Le quartier sera construit sur la base du commun. En se basant sur l’ouvrage de Cornu, Orsi et Rochfeld (2017), on trace trois grandes caractéristiques du commun : (1) une ressource en accès partagée; (2) un système de droits et d’obligations qui précise les modalités d’accès et de partage entre les participants et participantes au commun et 3) une structure de gouvernance qui veille au respect de ces droits et obligations et à la garantie de la reproduction à long terme de la ressource.

Les caractéristiques de l’écoquartier visent ainsi à atteindre ces caractéristiques, notamment par la mise en commun de ressources — jardins, outils, aire de jeu, etc. —, la signature commune d’une chartre du vivre-ensemble (droits et obligations), ainsi que la mise en place d’une structure démocratique d’autogestion entre résident·e·s. De plus, le projet vise à la « garantie de la reproduction à long terme de la ressource » par l’attribution des surplus du projet à différentes enveloppes liés au développement communautaire : 25% à la recherche, 25% dans la mobilisation sociale locale et 50% dans le développement de projets communautaires (i.e. église du village).

En tant que « locomotive » de la transition vers une économie locale davantage calquée sur l’économie sociale et solidaire (ÉSS), l’OBNL CMetis établit ainsi les fondements structurels pour l’émergence du commun, à la fois par sa construction et son accompagnement. Cette démarche vise ultimement à permettre une autonomie complète du quartier et à rendre obsolète le besoin de l’OBNL en tant qu’entité « gestionnaire ».

Cadre théorique

Une autre caractéristique intéressante du développement CMetis est sa volonté d’appliquer un cadre théorique précis dans un contexte concret. Les fondateurs de l’initiative s’inspirent des apports théoriques d’Erik Olin Wright, et plus spécifiquement de ses ouvrages Utopies réelles (2010) et Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle (2020).

En réponse à une question sempiternelle — à savoir les manières de réellement se sortir de logiques capitalistes — Erik Olin Wright apporte une théorie ayant considérablement influencé les praticiens et les académiques. Son concept central repose sur l’idée d’une « érosion » du capitalisme grâce à la combinaison de deux théories anticapitalistes : la théorie symbiotique et la théorie interstitielle.

Tout d’abord, la symbiose vise à la transformation des institutions existantes selon les règles du jeu, par une certaine domestication de ces mêmes institutions; pensons à des exemples concrets comme la démocratisation de la gouvernance des entreprises. Dans l’ensemble, la symbiose pose une relation gagnant-gagnant et « aide à résoudre certains problèmes réels auxquels font face les capitalistes et autres élites », dont les questions sociales et communautaires (Olin Wright, 2020).

Au lieu de jouer selon les règles du jeu, la théorie des interstices cherche plutôt la mise en place d’un jeu alternatif. Wright propose notamment des solutions comme la multiplication d’initiatives qui sortent des logiques marchandes : développement de l’économie des coopératives et de l’économie sociale et solidaire (ÉSS), entre autres.

De ce fait, par une série de « building blocks » qui « s’accumulent » de manière évolutive, créant des brèches au-sein du système, le capitalisme arriverait à un « tipping point » (point de bascule) où celui-ci s’éroderait de par lui-même. Toutefois, en raison de l’importance qu’a l’État comme régulateur économique, Olin Wright croit que les pouvoirs publics doivent être en mesure de participer à cette transformation, notamment en fournissant les leviers juridiques, politiques et économiques afin d’atteindre ces objectifs symbiotiques et interstitiels.

Il semble donc important de spécifier une question importante — et centrale à cet exposé :

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils aider à la création d’interstices grâce aux communs?

Une des pistes que CMetis propose revient à l’idée du partenariat public-commun (PPC) ou « public-collectif ».

Le partenariat public-commun (PPC)

Nous avons préalablement convenu du caractère « communal » du projet. Et d’autre part, le projet provient d’une certaine volonté publique (dons du terrain, congés de taxes, délégation du rôle de construction). De ce fait, peut-on caractériser le projet comme un « partenariat public-commun »?

En se basant sur les outils du Cahiers de propositions pour des politiques des communs en contexte municipal (2020), on peut cerner la position des PPC non pas comme « une forme institutionnelle fixe », mais plutôt comme « un patchwork d’institutions qui se chevauchent et qui répondent aux particularités de l’actif et à l’échelle à laquelle le PPC fonctionnera, et des individus et des communautés qui agiront ensemble comme des commoners ». Ainsi, sans véritable forme précise, les PPC utilisent les leviers institutionnels publics afin de créer des processus « pour nous permettre d’agir en commun », et d’ultimement transformer certains services d’ordre public en institutions de commun.

Dans cette étude de cas, le PPC s’observe sous plusieurs formes qui permettent au commun de remplir une série d’objectifs, besoins et lacunes des rôles « publics ».

(1) La municipalité a la volonté de créer du logement social, mais n’a pas l’expertise pour mener le projet. Ils délèguent ainsi le projet à un OBNL qui y instaure un commun.

(2) La municipalité a la volonté de créer du logement social, mais n’a pas les fonds nécessaires pour cotiser au projet. Ceux-ci utilisent des leviers institutionnels alternatifs (taxes foncières, terrains municipaux) afin de permettre à l’OBNL d’avoir les moyens de le faire.

(3) Les revenus issus du commun sont redistribués à la collectivité par la voie d’initiatives sociales, de mobilisation et de recherche. Le commun remplit des missions communautaires habituellement destinées aux instances publiques.

(4) Par une relation de proximité, de confiance, mais surtout d’autonomie, le commun est capable d’agir en parallèle de la municipalité (public), tout en agissant vers des objectifs communs (logement social, écoconstruction, éviter les exodes de population).

Dans tous les cas, le cœur de cette relation de PPC part d’une volonté publique — soit la création d’un milieu de vie —, et mène à une compréhension réciproque, par suite de mobilisations communautaires et/ou sociales, que le projet serait le mieux mené par un commun.

En reprenant les éléments du cadre théorique préalablement décrit, l’aide publique permet de remplir certains besoins collectifs, dont le besoin de logements sociaux et d’éviter l’exode des habitant·e·s. Par la forme choisie — le commun —, ces aides mènent (1) à la fois à remplir les besoins, objectifs, lacunes, mais aussi (2) à la création d’interstices dans le cadre traditionnel de l’habitation. De ce fait, la situation en est une de gagnant-gagnant où la création d’interstices n’en vient pas à renverser l’ordre établi, comme l’ont historiquement prôné certaines théories anticapitalistes, mais permet plutôt aux pouvoirs publics d'atteindre leurs objectifs (création d’un milieu de vie fort et abordable) qui sont ultimement ceux de toute la collectivité.  

Conclusion : comment proliférer?

En septembre 2023, CMetis annonce l’arrivée d’un nouveau projet : la construction d’un nouvel écoquartier, cette fois-ci à Rimouski. Ce projet, qui fait suite à plus d’un an de consultations avec des citoyen·ne·s membres d’un groupe de pilotage, permettra de construire près de 250 logements, dont 100% des unités seront à différentes échelles d’abordabilité.

Bien que cette fois-ci, le terrain utilisé provienne d’un don philanthropique, les bases partenariales du PPC restent fondamentalement les mêmes : la délégation d’un projet de construction écologique — important aux yeux de la municipalité — à un groupe de citoyen·ne·s spécialisé·e·s et cherchant à mettre en place une structure communale.

À un autre niveau, le projet CMetis permet aussi de remplir des objectifs gouvernementaux à l’échelle provinciale, notamment sur des objectifs de la SHQ concernant la construction de logements sociaux, abordables et écologiques. Toutefois, dans ce cas-ci, c’est le commun qui remplit ce rôle.

L’objectif de CMetis : à ce que ces deux projets fassent « boule de neige » et que des partenariats entre instances publiques, l’OBNL, et ultimement les communs, continuent de combler des interstices qui ne sauraient être comblés par ces mêmes pouvoirs.

Ceci nous mène à se poser une multitude de questions qui mériteraient des recherches approfondies :

Est-ce que l’OBNL dans une forme de locomotive d’économie sociale est une bonne avenue dans la création de communs durables?

Les partenariats entre le public et les communs sont-ils une voie souhaitable pour la sauvegarde de nos régions?

La cohabitation entre des modes de gouvernance opposés est-elle possible considérant une compréhension mutuelle de ses rôles respectifs (liberté créatrice d’un bord; bureaucratie et financement, de l’autre)?

En s’inspirant de perspectives innovantes comme CMetis, quels autres types de PPC pourraient être mis en place?

Pour y répondre, nous devrons d'abord faire un bilan une fois que les projets seront lancés et opérationnels.

 

Bibliographie

Bélanger, Lisa-Marie. « La hausse des hébergements touristiques fait craindre la dévitalisation à Métis-sur-Mer », Radio-Canada.ca, 1er février 2024.

Dufort, Philippe et al. « La tradition collectiviste québécoise : renouer avec une pensée économique supprimée pour renouveler le modèle de développement du Québec ». Revue Interventions économiques. Papers in Political Economy, no 67 (1 juillet 2022).

Cornu-Volatron, Marie, Fabienne Orsi, et Judith Rochfeld. Dictionnaire des biens communs. Paris: Presses Universitaires de France, 2017.

Politiques des communs. « Cahier de propositions en contexte municipal », 2021.

Wright, Erik Olin. How to Be an Anticapitalist in the Twenty-First Century. Verso Books, 2021.

Wright, Erik Olin. Utopies réelles. La Découverte, 2020.

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Include by Félix Beauchemin, on May 17, 2024, 9 a.m.

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May 17, 2024

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May 29, 2024, 4:29 p.m.

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Félix Beauchemin. (2024). Vivre en commun dans la ruralité: l'exemple du partenariat public-commun (PPC) de CMetis. Praxis (consulted July 18, 2024), https://praxis.encommun.io/en/n/_O01rL2M3NbJuMO1ZuB1TzxNh5Q/.

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