Mémoire présenté à madame Chantal Rouleau, Ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire

Dans le cadre de la consultation publique pour le plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale

Juin 2023

Présentation de l’organisation

Le Réseau québécois de développement social (RQDS) regroupe 16 instances de concertation régionale intersectorielle, autrefois soutenues par les Conseils régionaux de développement (CRD) et plus récemment les Conférences régionales des élus (CRÉ), abolies en 2015. Parmi les instances membres du RQDS qui assurent un rôle régional de concertation, plusieurs ont été constituées en organismes qui regroupent les partenaires régionaux et locaux alors que pour d’autres régions, l’animation de la concertation incombe à des villes / municipalités, des directions de santé publique ou des organisations philanthropiques.

Interlocuteur privilégié du gouvernement du Québec en matière de développement social depuis 2010, le RQDS compte des membres auprès desquels se regroupent des acteurs municipaux, des partenaires institutionnels, étatiques, des organismes communautaires, des tables locales ou territoriales et des partenaires régionaux de plusieurs secteurs, incluant la participation citoyenne dans certains cas, dans une gouvernance partagée. Cela décuple le nombre d’intervenants en synergie avec leurs milieux avec 59 acteurs municipaux, 58 partenaires institutionnels, 134 tables locales ou territoriales et 214 partenaires régionaux1.

Leur rôle de concertation vise l’identification des priorités régionales pour améliorer les conditions de vie individuelles et collectives au moyen de l’action intersectorielle, par la mise en commun de ressources et de leviers. En plus de travailler à leur mission organisationnelle, ces acteurs collaborent les uns avec les autres pour porter des projets ou réaliser des objectifs concernant des enjeux transversaux qu’ils ne peuvent porter ou atteindre seuls, notamment au travers de l’élaboration de plans concertés ou plans de communautés.  Ces collaborations  permetent de conjuguer les ressources et d’augmenter l’efficience et l’efficacité de leurs actions. Évidemment, ces acteurs ne travaillent pas ensemble sur tous les enjeux. Ils ciblent plutôt les enjeux et les projets collectifs régionaux qui peuvent avoir le plus d’impacts pour leur milieu, entre autres à travers les Alliances pour la solidarité.

Historiquement dédiées à l’amélioration des conditions de vie des populations, les concertations régionales intersectorielles de développement social ont acquis une expertise importante depuis leur regroupement au sein du RQDS en 2003. Les acteurs sociaux locaux et régionaux offrent des services inestimables aux populations du Québec. Que ce soit aux plans du communautaire, de la santé, du transport, de l’habitation, de la sécurité alimentaire, des loisirs, etc., ils sont actifs sur tous les territoires du Québec.

Fort de cet ancrage, le RQDS se positionne également dans l’écosystème du développement des communautés avec d’autres grands réseaux nationaux en tant que l’un des piliers (social) des quatre dimensions du développement durable. Enfin, ses relations gouvernementales et sa compréhension des orientations publiques et des leviers qui leur sont associés donnent au RQDS une capacité à tenir compte de la complexité des réalités en jeu dans ses interventions.

Définition du développement social

Pour le RQDS, ses membres et ses partenaires, le développement social est l’amélioration des conditions de vie, la réduction des inégalités, l’inclusion sociale et le renforcement des potentiels individuels et collectifs découlant de la participation active et intersectorielle d’acteurs communautaires, municipaux, institutionnels et étatiques ainsi que de l’engagement citoyen. Le bien-être et l’inclusion des citoyennes et des citoyens passent ainsi par leur capacité à influencer le développement de leur milieu pour répondre à leurs besoins et à leurs aspirations. Ceux-ci peuvent varier d’un territoire à l’autre et c’est en donnant la parole aux citoyennes et aux citoyens, ainsi qu’à leurs organisations de la société civile, qu’on peut envisager un meilleur ancrage démocratique.

Participation active au déploiement des Alliances pour la solidarité

Le rôle de mandataire des Alliances pour la solidarité du Plan d’action gouvernemental pour l’inclusion économique et la participation sociale 2017-2023 a été confié à des concertations régionales intersectorielles dans certains cas et, dans la majorité des cas, il a été délégué aux conférences des préfets ou aux tables des MRC – qui le font à travers la collaboration avec les concertations intersectorielles régionales dans la plupart des régions. Les membres du RQDS jouent un donc rôle central dans le déploiement des Alliances.

Le RQDS tient à saluer l’initiative des Alliances pour la solidarité ainsi que la reconnaissance des capacités régionales à coordonner une démarche menant à l’identification des enjeux prioritaires, à la mise en œuvre des plans d’action et aux décisions sur les actions financées.

« Le gouvernement reconnaît la capacité des acteurs locaux et régionaux d’établir les besoins de leur milieu pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et de trouver des solutions pour y répondre. Grâce à la mobilisation de ces acteurs, des ententes régionales sont concrétisées dans un Plan d’action régional concerté (ou plan de communauté), dont les initiatives novatrices sont soutenues financièrement. »2

Cete reconnaissance de la concertation régionale intersectorielle constitue notre assise pour faire des recommandations à l’égard du prochain Plan de lutte à la pauvreté, en considérant l’expertise des partenaires territoriaux concertés dans son déploiement.

Lorsque nous avons réuni nos membres pour les consulter sur leur expérience des dernières années et leurs perspectives pour le renouvellement du Plan le 10 février dernier, ils ont toutefois soulevé un certain nombre de questionnements, de constats, de préoccupations et de demandes. Ces derniers font l’objet de ce mémoire.

Sommaire des recommandations

Orientation 1 : un appel aux changements systémiques

  • Recommandation 1 : Changer le paradigme économique de la lutte à la pauvreté pour enchâsser le nouveau Plan dans les principes de développement durable
  • Recommandation 2 : Considérant que plusieurs politiques, plans d’action et stratégies gouvernementales interministérielles portent des objectifs communs en matière de développement social, favoriser l’arrimage de différents leviers financiers dans les régions en incitant les décideurs à metre en commun les leviers à leur disposition pour soutenir les actions d’un plan de communauté (plan régional concerté, plan territorial de développement social…) et optimiser les actions d’inclusion économique et de participation sociale.

Orientation 2 : Reconnaitre la prise en charge des milieux par la mission de concertation

  • Recommandation 3 : Se doter d’une vision d’avenir en assurant le financement à la mission de la concertation et de l’action intersectorielle en reconnaissant son rôle de partie prenante incontournable des Alliances pour la solidarité et plus largement du développement social au Québec.
  • Recommandation 4 : Distinguer l’action intersectorielle et l’action communautaire autonome en reconnaissant la contribution de l’action communautaire en matière de lutte contre la pauvreté et la responsabilité partagée associée à l’action concertée intersectorielle, pour favoriser la collaboration plutôt que la concurrence.

Orientation 3 : Intégrer la concertation dans le processus et la mécanique de déploiement des Alliances pour la solidarité

  • Recommandation 5 : Reconnaitre les besoins de financement pour l’accompagnement (en plus de la gestion) des Alliances pour la solidarité et y atribuer les fonds adéquats de manière à éviter la précarisation des ressources humaines et des ressources dans les collectivités.
  • Recommandation 6 : Renforcer les capacités à structurer un réseau en accompagnement des processus de consultation et de concertation : priorisation des enjeux; analyse différenciée et intersectionnalité; structuration de l’action concertée; évaluation des effets pour les personnes concernées et des impacts sociaux; consolidation des pratiques et des initiatives.
  • Recommandation 7 : Soutenir la structuration des milieux : Ouvrir le financement des projets qui ont des impacts structurants à des phases subséquentes pour éviter certaines conséquences néfastes de la notion d’innovation et offrir la possibilité d’un financement de projets sur les 5 ans du Plan et en incluant des dépenses en infrastructures.
  • Recommandation 8 : Faire preuve de souplesse et de cohérence dans la mécanique de distribution des fonds en respectant la diversité des concertations et leurs modes de prise de décision en révisant le cadre normatif et les modalités de communication, en soutenant l’analyse différenciée selon les sexes et l’intersectionnalité, en créant des incitatif à l’évaluation.
  • Recommandation 9 : Assurer que les décisions de financement se fassent en concertation et non seulement par les élus pour leur éviter d’être à la fois juges et parties, en prenant appui sur les plans de communautés ou plans d’action concertés, par exemple en s’y référant pour s'assurer que la distribution du financement ne passe pas directement par des appels à projets qui ne sont pas ancrés dans une vision territoriale. Respecter les processus et les décisions sur les priorités régionales et veiller à l’adéquation des programmes, des mesures et des priorités.
  • Recommandation 10 : Inclure l’élaboration du plan de lutte à la pauvreté subséquent dans le plan actuel pour éviter les délais entre les deux. Procéder avec la création d’un espace officiel de co-construction, d’échanges et d’apprentissages entre les régions et le ministère pour assurer le bilan et son évaluation.

Introduction

En 2017, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale affirmait miser « sur l’augmentation progressive du revenu disponible, l‘investissement dans le logement social et la participation sociale des personnes et des familles à faible revenu […pour] améliorer les conditions de vie du plus grand nombre en nous assurant que toutes et tous disposent d’outils pour développer leur employabilité, intégrer le marché du travail et participer au dynamisme économique du Québec » (PAGIEPS p.11).

Ce plan était qualifié de novateur.

En 2023, la face du monde a changé et le Québec n’est pas en reste : pénurie de main- d’œuvre et de logement, vieillissement accru des populations, inflation et insécurité alimentaire, crises socio sanitaires telles que pandémie de Covid 19, changements climatiques et catastrophes naturelles telles que feux de forêt, mauvaise qualité de l’air, inondations et glissements de terrain, canicules et sécheresses, verglas, derecho, etc., leurs effets sur le secteur agroalimentaire, sans compter l’accès très difficile aux services

de garde ainsi qu’aux services sociaux et aux soins de santé, particulièrement en santé mentale, dans le contexte postpandémique. Ce contexte a favorisé une augmentation de la violence en général et de la violence conjugale et familiale en particulier. Il a également augmenté l’isolement entre autres chez les personnes ainées et les jeunes.

Compte tenu que le prochain plan structurera la lutte à la pauvreté et aux inégalités sociales pour les années qui viennent et en considérant que les changements climatiques s’intensifieront, il est approprié de revisiter la notion de pauvreté. Les populations vulnérables sont les premières à être impactées par les changements brusques et importants, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles ou de pénuries (alimentation, eau, logement, déplacements, main d’œuvre pour offrir les services) ou encore d’inflation galopante. Par ailleurs, les acteurs les plus près des populations vulnérables sont également les premiers sollicités pour répondre aux crises et l’action intersectorielle permetra de coordonner la réaction de manière à offrir des conditions structurées en un véritable filet de sécurité sociale.

Nous sommes collectivement devant un avenir incertain auquel il sera impératif de s’adapter. Les contextes qui rendent les populations vulnérables changent et font en sorte qu’il ne s’agit plus seulement de pauvreté économique dont il est question, mais de vulnérabilités qui vont bien au-delà de l’économie.

Le modèle économique de développement qui prévaut dans le monde occidental repose sur la prémisse que pour sortir de la pauvreté, il faut acquérir la capacité de consommer davantage pour stimuler l’économie. Or la consommation appauvrit les milieux naturels au point de provoquer des catastrophes climatiques. Pour faire face aux enjeux majeurs auxquels notre société est confrontée, l'organisation des modes de vie constituera une chance de mieux protéger les populations de plus en plus nombreuses à se trouver dans des situations de vulnérabilité induites par les crises socio-sanitaires, climatiques et financières.

C’est pourquoi dans ce mémoire, nos recommandations prendront forme à l’intérieur de trois axes : un appel aux changements systémiques, l’intégration de la concertation dans le processus et la mécanique de déploiement des Alliances pour la solidarité et enfin la reconnaissance de la prise en charge des milieux par la mission de concertation.

Le RQDS tient d’emblée à souligner son appui au mémoire3 de la Table nationale des corporations de développement communautaire (TNCDC). Nos deux réseaux nationaux bénéficient d’une complémentarité de renforcement entre le palier local et régional ainsi que d’une solidarité entre le milieu communautaire et les acteurs des autres secteurs rassemblés par l’action intersectorielle.

Nous invitons le gouvernement à être novateur et à se positionner comme facilitateur de l’action collective en développement social et cela, en modifiant la lentille économique de son action sur la pauvreté et l’exclusion sociale en la teintant résolument d’une perspective de justice sociale et climatique.

Orientation 1 : un appel aux changements systémiques 

Recommandation 1 : Changer le paradigme économique de la lutte à la pauvreté pour enchâsser le nouveau Plan dans les principes de développement durable

Pour favoriser une pleine participation à la société, le RQDS souhaite porter à l’atention du gouvernement du Québec l’idée de modifier les assises sur lesquelles le nouveau plan de lutte à la pauvreté sera bâti. En effet, un changement de paradigme s’impose pour penser la problématique de la pauvreté sur une base plus large que celle de l’économie : l’enchâsser dans les principes de développement durable, par exemple.

Dans une approche de développement durable, le prochain plan de lutte à la pauvreté du Québec doit faire une place tout aussi importante au développement social qu’au développement économique, culturel et environnemental, afin de répondre aux différents enjeux sociaux mis en lumière et exacerbés par la pandémie, par exemple l’isolement des aînés ou la santé mentale des jeunes. De plus, cette crise se conjugue avec une pénurie de main-d'œuvre, une crise du logement et une inflation importante. Pour faire face efficacement et globalement à cette conjoncture, il nous apparaît qu’une réponse collective s’impose.

Les crises agissent parfois comme révélateur de l’importance de la collaboration entre les acteurs. Les territoires qui possèdent une culture de collaboration entre les acteurs sociaux ou une concertation en développement social bien implantée ont réussi à mettre en place rapidement et efficacement des cellules de crise et des actions concrètes en réponse à la pandémie. Ces régions font preuve de résilience. Elles misent sur de nouvelles formes de gouvernance, renforcent les collaborations entre les secteurs communautaire, municipal, institutionnel et étatique, posent des actions innovantes; bref, ces régions interviennent efficacement en développement social. Elles sont équipées pour affronter les prochaines crises autant que les difficultés quotidiennes.

L’approche du développement social propose des solutions collectives à divers enjeux en matière de pauvreté, de sécurité alimentaire, de transport et de logement, et en lien avec un certain nombre de thématiques ou de clientèles (réussite éducative, aînés, femmes, jeunesse etc.). Ces interventions sur des déterminants sociaux de la santé impactent nécessairement l’économie, l’environnement et la culture à une échelle populationnelle et territoriale.

De nombreuses initiatives de lutte à la pauvreté remetent en question la notion de développement elle-même, définissant les perspectives de meilleures conditions de vie par des logiques circulaires plutôt que par une logique de croissance. La logique circulaire permet notamment de considérer les intersections entre différentes inégalités. Par exemple, sur la question de la saine alimentation et de la sécurité alimentaire, la création d’un système alimentaire durable permet de considérer à la fois les impacts nocifs du transport pour favoriser un meilleur accès et protéger les producteurs locaux, de la surconsommation et du gaspillage pour mieux répartir les aliments entre les personnes, de la transformation alimentaire tout en valorisant les déchets. Un tel système repose sur une gouvernance intersectorielle, partagée, de proximité et de solidarité sociale.

Le gouvernement s’active présentement à la transition énergétique. Cete transition est certes nécessaire et urgente. Toutefois, elle laisse de côté l’aspect écologique (biodiversité, protection du territoire agricole, etc.) et l’aspect social (habitudes de vie, organisation des modes de vie, consommation, etc.) qui sont intrinsèquement liés aux changements climatiques qui eux, ne font pas la différence entre riches et pauvres, entre sobriété et excès.

La pauvreté est reconnue pour être multidimensionnelle et avoir ses racines dans plusieurs conditions de vie telles que l’éducation et la litératie, l’accès géographique aux soins et aux services, l’origine ethnique, le genre, le réseau de soutien social, la situation familiale et autres. Alors que la mesure du panier de consommation considère la capacité à acquérir des biens, la société civile - ne pouvant atendre l’augmentation du revenu minimum - organise les milieux de vie pour créer une véritable solidarité sociale au quotidien. La tendance courante cherche à collectiviser les biens par le partage, le prêt, l’échange, la cuisine collective, la cohabitation intergénérationnelle, l’achat local, l’accès aux loisirs, aux sports, à la culture et au transport collectif tout en promouvant la réutilisation, la rénovation, le recyclage. Cela pallie bien souvent les situations de pauvreté matérielle et structure le filet social de manière à agir également sur les autres dimensions du développement durable, touchant l’organisation des modes de vie pour assurer un avenir meilleur aux générations suivantes tout autant que la cohésion sociale et la justice climatique.

C’est pourquoi nous portons à votre atention la théorie du beigne élaborée par l’économiste Kate Raworth4 et utilisée notamment par Oxfam et le G15+, groupe formé par le gouvernement Legault pour le conseiller sur la création de solidarité et de prospérité verte. Le G15 a récemment utilisé cete théorie pour développer son indice du bien-être. La théorie présente un plafond environnemental respectant 9 limites pour assurer l’avenir de la planète et un plancher social comportant 11 besoins de base pour que chaque personne puisse s’épanouir.

Cete théorie permet de tenir compte de paramètres plus élaborés et plus réalistes que la mesure du panier de consommation. Elle invite de surcroit à penser les politiques publiques non plus en silos, mais en interrelations les unes avec les autres, un peu à l’image de l’action intersectorielle.

Recommandation 2 : Considérant que plusieurs politiques, plans d’action et stratégies gouvernementales interministérielles portent des objectifs communs5 en matière de développement social, favoriser l’arrimage de différents leviers financiers dans les régions en incitant les décideurs à mettre en commun les leviers à leur disposition pour soutenir les actions d’un plan de communauté (plan régional concerté, plan territorial de développement social…) et optimiser les actions d’inclusion économique et de participation sociale.

Le nouveau plan de lutte à la pauvreté a le potentiel de décupler l’effet de ces stratégies, politiques et plans d’action gouvernementaux dans la mesure où ils sont articulés ensemble, favorisant une redistribution des richesses plus juste et un accès universel aux services. Ce faisant, nous exprimons le souhait que le prochain Plan n’entre pas en conflit avec les engagements politiques comme ce fut le cas récemment avec l’abolition du programme Accès-logis et l’abandon du programme de maternelles 4 ans, pour ne nommer qu’eux.

Orientation 2 : Reconnaitre la prise en charge des milieux par la mission de concertation

Recommandation 3 : Se doter d’une vision d’avenir en assurant le financement à la mission de la concertation et de l’action intersectorielle en reconnaissant son rôle de partie prenante incontournable des Alliances pour la solidarité et plus largement du développement social au Québec.

Le développement social est une composante essentielle du développement durable de nos communautés et de nos régions. Il vise à ce que toutes et tous puissent répondre à leurs besoins de base - se nourrir, se loger, se vêtir, se déplacer - et avoir accès à des services de qualité - services de garde, services de santé, d’éducation, de transport, etc., en installant des structures sociales et des infrastructures publiques qui le permettent. De plus, le développement social vise l’inclusion et la participation sociale et économique de tous les individus. Dans nos milieux, le développement social épaule le développement économique par la création d’emplois directs, la formation et l’accompagnement des travailleuses et des travailleurs vers l’emploi et le développement de milieux de vie attractifs pour les travailleuses et les travailleurs. Une Plan de lutte à la pauvreté passe par une reconnaissance collective de l’importance du développement social pour nos milieux.

Le renouvellement du Plan de lutte à la pauvreté représente une occasion exceptionnelle, à ne pas rater, de créer un projet de société inspirant et mobilisateur pour l’ensemble de la population du Québec tout en étant plus respectueux de l’environnement. Dans les régions et dans les communautés, des centaines d’organisations offrent des services à vocation sociale, dont les organisations communautaires, les institutions publiques (santé, éducation, employabilité), les municipalités et les MRC. De plus, ces acteurs collaborent et se concertent déjà autour de tables de concertation, de projets de politiques municipales et de projets collectifs, afin de faire plus et mieux ensemble.

La réorganisation de la concertation intersectorielle, qui s’est produite à la suite de l’abolition des CRÉ et qui se poursuit encore aujourd’hui malgré l’absence de financement gouvernemental à cete mission, montre clairement la résilience de la société civile et la nécessité d’une telle approche du développement social. L’occasion est parfaite avec le renouvellement du Plan pour reconnaitre enfin la légitimité du travail intersectoriel et son impact structurant sur l’amélioration des conditions de vie des Québécoises et des Québécois.

Le RQDS demande au gouvernement de s’engager à une reconnaissance forte des démarches intersectorielles régionales de développement social, qui poursuivent leur travail sans financement récurrent de la part du gouvernement depuis l’abolition des Conférences régionales des élus en 2015. Avec le renouvellement du Plan de lutte à la pauvreté porté par une ministre dédiée à l’action communautaire et à la solidarité sociale survient ce momentum de prendre un leadership pour rassembler d’autres ministères tels que le Ministère de la Santé et des Services sociaux, le Ministère des Affaires Municipales et de l’Habitation, le Ministère de la Famille et le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs. Ces derniers auraient tout avantage à se mobiliser autour des instances de concertation intersectorielle pour en assurer le financement, complétant ainsi l’engagement du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Complémentarité de l’action intersectorielle avec l’action communautaire autonome

Recommandation 4 : Distinguer l’action intersectorielle et l’action communautaire autonome en reconnaissant la contribution de l’action communautaire en matière de lutte contre la pauvreté et la responsabilité partagée associée à l’action concertée intersectorielle, pour favoriser la collaboration plutôt que la concurrence.

L’action intersectorielle, avec ses expertises et sa mission de concertation, s’inscrit en complémentarité avec l’action communautaire autonome mais s’en distingue. À la suite de l’augmentation du financement de l’action communautaire autonome par le Plan d’action gouvernemental en action communautaire de 2022, il convient désormais de faire de même avec l’action intersectorielle et sa mission de concertation. Il est crucial de favoriser les retombées de l’action collective au niveau régional et local et ainsi insuffler une dynamique cohérente, participative, collaborative et inclusive entre la société civile et les décideurs.

Nous tenons à préciser que le financement octroyé dans le cadre des Alliances pour la solidarité est un financement important mais qu’il figure parmi plusieurs autres financements, surtout dans le contexte de l’action intersectorielle dont le rôle de concertation sert à optimiser les leviers en mutualisant des pans de leur action avec leurs partenaires. Il s’agit là de l’un des avantages incontournables de la concertation intersectorielle. Il peut donc arriver que des projets soient déposés par des instances régionales dans le cadre des Alliances pour assurer la nécessaire concertation intersectorielle. Si ces instances étaient financées pour leur mission de concertation, leurs projets seraient sans doute différents. Cela induit un saupoudrage de financement qui fait en sorte de ne pas ateindre le potentiel de changement voulu.

Il est essentiel de financer la mission de l’action communautaire autonome mais également celle de l’action intersectorielle, qui inclut les organismes communautaires avec la valeur ajoutée de les concerter avec les instances publiques, institutionnelles, municipales, et plus largement. Ce travail de concertation prend du temps, des efforts, des ressources, des expertises qui ne sont plus consenties par le gouvernement du Québec alors que le travail s’est poursuivi sans relâche depuis l’abolition des CRÉ. Il est temps de reconnaître l'impact structurant du travail réalisé au sein des concertations intersectorielles, qui évitent les dédoublements et le travail en silo et au contraire favorise la cohérence des actions déployées au sein des territoires.

Puisque la pauvreté et l’exclusion sont l’affaire de tous et qu’elles ont un impact sur tous, il est temps de reconnaitre le travail de concertation intersectorielle à sa juste valeur!

Orientation 3 : Intégrer la concertation dans le processus et la mécanique de déploiement des Alliances pour la solidarité

Recommandation 5 : Reconnaitre les besoins de financement pour l’accompagnement (en plus de la gestion) des Alliances pour la solidarité et y atribuer les fonds adéquats de manière à éviter la précarisation des ressources humaines et des ressources dans les collectivités.

Les initiatives sociales créées dans le cadre des Alliances ayant démontré un impact social et collectif ont besoin de soutien financier dédié à la consolidation.

Pour un effet structurant, un impact social à long terme et un Québec sans pauvreté, le RQDS souhaite une reconnaissance du double mandat relié aux Alliances pour la solidarité, soient la gestion et l’accompagnement. Dans certaines régions, le mandataire confie le déploiement à une autre organisation, soit l’instance de concertation.

La concertation intersectorielle n’étant pas formellement reconnue par le gouvernement du Québec depuis l’abolition des CRÉ, les mandataires des Alliances se retrouvent à bénéficier d’un montant pour en assurer la gestion mais pas pour en accompagner le déploiement. Dans la réalité, l’accompagnement prend énormément de temps, s’agissant presque de mentorat. Les ressources devant être mises à contribution dépassent largement la simple gestion. Dans certaines régions moins bien nanties, cela accentue l’iniquité interrégionale.

Notons que les frais de gestion n’ont pas été indexés depuis 2010 et ce sont les organisations du terrain qui absorbent les déficits qui s’en suivent. Cela nuit également à l’attractivité des emplois proposés. Le roulement de personnel qui en découle ne fait qu’accentuer la pression sur les mandataires et les organisations qui en assurent l’accompagnement lorsque différentes.

Recommandation 6 : Renforcer les capacités à structurer un réseau en accompagnement des processus de consultation et de concertation : priorisation des enjeux; analyse différenciée et intersectionnalité; structuration de l’action concertée; évaluation des effets pour les personnes concernées et des impacts sociaux; consolidation des pratiques et des initiatives.

Des organisations ont parfois soumis un projet pour obtenir un financement dédié à l’accompagnement du déploiement des Alliances, se demandant pourquoi cela ne serait pas reconnu d’emblée. L’ajout d’un montant standard pour chacune des régions qui estiment en avoir besoin de s’en prévaloir, permettrait l’ajout d’au moins une ressource humaine supplémentaire.

Recommandation 7 : Soutenir la structuration des milieux : Ouvrir le financement des projets qui ont des impacts structurants à des phases subséquentes pour éviter certaines conséquences néfastes de la notion d’innovation et offrir la possibilité d’un financement de projets sur les 5 ans du Plan et en incluant des dépenses en infrastructures.

Pour assurer une structuration des milieux afin d’améliorer l’accès aux ressources pour répondre aux besoins de base des personnes en situation de vulnérabilité tels que l’alimentation, le logement, le transport, la sécurité et la santé, la concertation intersectorielle est une véritable fabrique de tissus social. Toutefois, les initiatives qui composent le tissu social devraient pouvoir évoluer en fonction des besoins et se maintenir tant que les besoins sont présents. Pour accueillir ces initiatives, certaines dépenses en infrastructures seront indispensables.

Le développement d’initiatives de lutte à la pauvreté devrait aussi permetre l’exploration de situations émergentes. Or le caractère innovant exigé par les critères du fonds ne permet pas le temps requis pour faire cete analyse et l’expérimentation.

Les 17 nuances de l’Alliance

Recommandation 8 : Faire preuve de souplesse et de cohérence dans la mécanique de distribution des fonds en respectant la diversité des concertations et leurs modes de prise de décision en révisant le cadre normatif et les modalités de communication, en soutenant l’analyse différenciée selon les sexes et l’intersectionnalité, en créant des incitatif à l’évaluation.

Il a été porté à notre attention que le cadre normatif et les modalités de communication présentaient trop souvent des incohérences dans l’application et des différences entre les régions, favorisant ainsi une forme d’iniquité. Par exemple, les dépenses admissibles comportent l’achat d’un four pour une cuisine collective mais pas de comptoir car ce serait considéré comme une amélioration locative, tout comme l’équipement permettant l’accessibilité universelle. On ne peut acheter un véhicule mais l’essence est une dépense admissible. Dans certaines régions, il est permis d’utiliser les revenus d’intérêts et dans d’autres, non. Ces incohérences poussent les acteurs des projets à rechercher des stratégies pour étirer les règles ou des sources complémentaires de financement alors que ce n’est pas leur mandat. La question du pourcentage de territoire défavorisé est également sujette à interprétation. Il se trouve que des personnes vulnérables sont présentes dans tous les territoires au Québec et il serait important de le reconnaitre pour ne laisser personne derrière. Rappelons qu’il y a une grande différence entre la défavorisation sociale et matérielle. Par exemple, une personne ainée peut être riche financièrement mais complètement isolée.

Nous encourageons le gouvernement du Québec à davantage de souplesse dans l’application des normes et des modalités.

Recommandation 9 : Assurer que les décisions de financement se fassent en concertation et non seulement par les élus pour leur éviter d’être à la fois juges et parties, en prenant appui sur les plans de communautés ou plans d’action concertés, par exemple en s’y référant pour s'assurer que la distribution du financement ne passe pas directement par des appels à projets qui ne sont pas ancrés dans une vision territoriale. Respecter les processus et les décisions sur les priorités régionales et veiller à l’adéquation des programmes, des mesures et des priorités.

Une adaptation aux réalités régionales découle de la capacité du gouvernement à faire preuve de souplesse et de cohérence. Pour une reconnaissance de la capacité des régions à choisir leurs priorités, des acteurs de tous les secteurs devraient être parties prenantes dans les faits. Certains mandataires sont des tables de préfets ou de MRC et l’expérience nous a montré que les autres acteurs des milieux qui sont concertés avec les élus, tels que les organismes communautaires et les partenaires des concertations intersectorielles, sont également les experts de leurs réalités.

Recommandation 10 : Inclure l’élaboration du plan de lutte à la pauvreté subséquent dans le plan actuel pour éviter les délais entre les deux. Procéder avec la création d’un espace officiel de co-construction, d’échanges et d’apprentissages entre les régions et le ministère pour assurer le bilan et son évaluation.

Le gouvernement a l’habitude d’attendre la fin d’un plan d’action avant de procéder aux consultations nécessaires à l’élaboration du prochain. L’incertitude qui prévaut entre deux moutures du Plan de lutte à la pauvreté déstabilise l’ensemble des initiatives et nuit résolument à leur caractère structurant. Ajoutons que les annonces de financement et de mécanismes permettant de faire le pont entre deux plans d’action arrivent au compte- goute, multipliant les allers-retours dans l’appareil administratif, juridique et politique. Dans les meilleurs cas, cette situation provoque chez les parties prenantes une recherche de solutions de contournement, de financement alternatif pour sécuriser les projets, créant ainsi une pression énorme sur plusieurs plans et trop souvent, de l’essoufflement. Dans les pires cas, le projet se termine simplement avec la fin du financement et les ressources sont mises à pied. Le Québec est bien chanceux de pouvoir compter sur des appuis philanthropiques dans l’intervalle où le gouvernement se réorganise mais soulignons qu’il s’agit dans tous les cas de financement ponctuel. Ce n’est toutefois pas nécessaire de déstabiliser les milieux à ce point, il suffit de réaliser les consultations avant la fin d’un plan.

Soulignons en appui à cette recommandation que les fonds prévus au Plan de lutte à la pauvreté 2018-2023 ont été disponibles seulement en 2020, ce qui a sérieusement amputé sa mise en œuvre. Nous appelons le gouvernement du Québec à considérer les plans comme étant une suite logique dans une vision sur le long terme et dont la portée ne serait pas la rentabilité, mais la diminution de la pauvreté dans tous ses aspects.

Conclusion

Il ressort clairement de notre consultation auprès des membres du RQDS un besoin manifeste de reconnaissance à la fois de l’action intersectorielle, de la légitimité de la voix de la société civile et du caractère structurant des décisions régionales concertées. Ces concertations contribuent incontestablement à faire une différence dans l’amélioration des conditions et de la qualité de vie des populations. C’est pourquoi nous souhaitons vivement que le renouvellement du Plan soit l’occasion de renforcer la cohésion entre les orientations gouvernementales et les besoins des populations vulnérables à travers les instances qui mettent les solutions collectives en oeuvre.

Le RQDS souhaite contribuer auprès du gouvernement et notamment de la ministre de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire à l’atteinte des objectifs québécois en matière de développement social, jouant ainsi son rôle d’interlocuteur privilégié.

Il est plus que jamais nécessaire que le gouvernement mette en place des incitatifs qui invitent au renforcement du travail collaboratif et à repenser la place du social dans nos communautés. Il est essentiel que le gouvernement soutienne la capacité des organisations à intervenir, mais aussi à collaborer pour le développement social. De plus, il est primordial que le gouvernement entame une réflexion profonde sur la façon dont il déploie son intervention et son soutien en développement social pour assurer la meilleure collaboration possible avec les organisations régionales et locales. Une meilleure harmonisation des programmes sociaux est nécessaire pour favoriser une plus grande efficacité de l’action publique en lutte à la pauvreté et aux exclusions sociales.

Il deviendra difficile d’envisager la pauvreté avec une perspective de croissance économique dans le contexte des changements climatiques. Nous invitons le gouvernement du Québec à des gestes d’innovation structurelle par l’exercice d’un leadership rassembleur, afin d’augmenter notre capacité d’adaptation des structures à cette conjoncture qui promet de durer.

1 htps://rqds.org/

2 htps://www.mtess.gouv.qc.ca/grands-dossiers/alliances/index.asp

3 htps://www.tncdc.com/publications/memoires/?ticlid=IwAR1UJubYxAHvT8Xvr- vfGzdGPfYre9F_plrt8mdNrRl9k4EcH3L22h31c1o

4 htps://oxfam.qc.ca/publication/focus/economie-du-beigne/

5 Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire; Politique nationale de prévention en santé et son plan d’action; Plan d’action gouvernemental en action communautaire; Stratégie gouvernementale pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires; Stratégie gouvernementale pour le développement durable; Loi sur la protection du territoire agricole; Stratégie nationale sur le logement; etc.

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Intégré par Véronique Larose, le 1 novembre 2024 12:13
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Publication

1 juin 2023

Modification

1 novembre 2024 12:13

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Pour citer cette note

Véronique Larose, Emily Mack, Joël Nadeau, Anne-Sophie Thomas, Gédéon Verreault. (2023). Mémoire sur le PLP4 RQDS 2023. Praxis (consulté le 22 juin 2025), https://praxis.encommun.io/n/-2za7i6WsXiLgLK-J0JKY-6vBzo/.

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