Le cas des territoires de La Côte-de-Gaspé : Comprendre sans coller d'étiquettes, une étude sur la stigmatisation sociale

Le contenu de cette note est une composante de « Comprendre sans coller d'étiquettes : étude qualitative sur les préjugés et la stigmatisation envers les personnes en situation de vulnérabilité dans la MRC de La Côte-de-Gaspé » réalisée par l'Alliance pour la Solidarité en 2016. 

 

L'absence d'anonymat qui nourrit la stigmatisation : le cas des territoires de La Côte-de-Gaspé et le phénomène de village 

Nous avons tiré plusieurs généralités quant à la question de la pauvreté, de l’exclusion sociale, de la vulnérabilité et de la stigmatisation. Les écrits et définitions sur lesquels nous avons basé nos analyses proviennent de partout dans le monde, le plus souvent de recherches ou constats établis dans la région de Montréal. Si nous établissons déjà des parallèles entre notre travail de terrain dans La Côte-de-Gaspé et ces écrits (et une certaine cohérence entre les deux), en quoi la situation concernant les préjugés et la stigmatisation sociale seraient-ils particuliers dans notre MRC, voire dans un territoire rural ?

Toujours en partant prioritairement des constats du terrain, nous avons noté une particularité importante : ce que nous appelons ici l’absence d’anonymat.

💬 « On culpabilise souvent la victime, ce qui va l’empêcher de parler, de dénoncer, et faire d’autres victimes. Les victimes savent qu’elles vont se faire juger, par la famille, les amis, la communauté. Surtout dans un petit milieu comme Gaspé. Les femmes le savent bien, mais en plus de ça, ça va perpétuer la problématique. C’est un cercle vicieux. »

(extrait d’entrevue)

💬 « Comme organisme communautaire, ont vit beaucoup de préjugés de la part de la population [...], de rumeurs qui peuvent empêcher une personne de nous contacter quand elle en aurait besoin »

(extrait d’entrevue)

💬 « And we live in a small community so everybody knows almost everyone. People can be ashamed also. »

(extrait d'entrevue)

 

Perceptions et interprétations au coeur des villages

La MRC de La Côte-de-Gaspé peut se diviser géographiquement et socioéconomiquement en trois territoires :

  • Le centre-ville de Gaspé et sa périphérie (excluant le secteur de Rivière-au-Renard)
  • L’Estran (de Grande-Vallée à Rivière-au-Renard)
  • Murdochville

Dans ces trois secteurs, les quantités de populations sont faibles. Les habitants se connaissent facilement. L’utilisation des services de proximité (épicerie, banque, dépanneur, CLSC, école) permet le plus souvent de rencontrer des personnes connues de nos réseaux et facilement identifiables.

Si cette donnée peut présenter des avantages pour la mise en place de réseaux d’entraide, par exemple, il peut y avoir en contrepartie une plus forte stigmatisation des situations de vulnérabilité. À plusieurs reprises et de la part de différentes personnes, nous avons entendu dire qu’il n’est pas toujours facile de faire son épicerie, par peur d’être reconnu voire stigmatisé. Dans le cas d’une stigmatisation internalisée, c’est la peur de parler ou d’avouer une problématique dans un milieu où l’on est connu (par exemple dans le cas des violences conjugales).

 

Les stigmas « d'hérédité »

Dans d’autres cas, la pauvreté peut être perçue comme héréditaire. On attribue dans une communauté comme Murdochville des noms de famille pour identifier des personnes vivant différentes problématiques sociales ou ayant un faible revenu. D’après nos entrevues, c’est également le cas dans une communauté plus grande en termes démographiques, comme Gaspé.

💬 « I heard, at school, a teacher talking about a boy and saying ‘he will probably end up like his father and his granfather. There was nothing to do with them’... Just because of his name! He was seven at that time ! »

(extrait d’entrevue)

Nous pouvons supposer que dans un contexte urbain plus peuplé, et donc plus anonyme, cette situation présenterait moins d’impact supplémentaire sur les risques de stigmatisation de personnes en situation de vulnérabilité.

💬 « Les gens eux-mêmes étaient gênés de dire d’où ils venaient, surtout des jeunes. Ils étaient stigmatisés par leur adresse. »

(extrait d’entrevue)

 

🔎 Études de cas sur le territoire

 

La situation de Murdochville

Dans la MRC de La Côte-de-Gaspé, la situation de la ville de Murdochville est particulière. Ce territoire fait l’objet de nombreux discours à propos de la pauvreté et de l’exclusion sociale qui peuvent y être vécues.

Sur le terrain, plusieurs personnes et organisations ont confirmé la présence d’une situation qui correspondrait à plusieurs foyers dans la municipalité. Des personnes viennent s’installer à Murdochville car les maisons y sont peu chères et les emplois plutôt rares. En ce sens, une personne peut avoir plus de chances de maintenir son droit à l’aide financière de dernier recours en vivant à Murdochville, loin de certains marchés du travail. On retrouve également plusieurs familles ayant choisi de s’éloigner des grands centres mais qui vivent plusieurs problématiques, rendant leurs enfants vulnérables.

Cependant, il apparaît que ce sont des cas isolés. Plus encore, certains soulignent avec regret une importante stigmatisation des communautés habitant Murdochville comme étant plus pauvres et en manque de ressources. Ces derniers souhaitent que l’image de la ville change, au profit d’une meilleure résilience sociale et économique.

💬 « On ne peut pas rester ici et aimer ça ? J’ai vécu à plein de places et je ne resterais pas ailleurs. Je voulais tellement revenir ici. Je tiens à ma place, comme tout Gaspésien. J’ai été voir ailleurs. Je suis d’ici. Et ça me fait mal ce discours. On a hâte que ça arrête, on veut attirer de jeunes familles, que ce discours de pitié arrête. Ailleurs, ils le trouvent l’argent. Faut aller le chercher, travailler pour.»

(extrait d’entrevue)

 

Le logement communautaire au centre-ville de Gaspé

Depuis plusieurs années, le Centre de Ressourcement, de Réinsertion et d’Intervention (CRRI), qui oeuvre en santé mentale, est promoteur (2016) d’un projet d’unités de logements communautaires intégrant son centre d’accueil de jour. L’immeuble qui sera composé de 25 unités se trouvera à proximité du centre ville de Gaspé et de ses services, dans un quartier résidentiel.

L’annonce du projet a suscité d’importants débats à Gaspé dans les deux dernières années. Beaucoup on encore en mémoire des discours stigmatisants envers les personnes présentant des problèmes de santé mentale.

💬 « J’ai fait les rencontres publiques, à la Légion, pour le projet de logements. J’ai entendu pas mal d’affaires assez horribles. Quand des rumeurs sont parties dans le quartier, comme quoi ce seraient des pédophiles, des voleurs… ! Voyons donc ! Un problème de santé mentale peut arriver à n’importe qui. Ça peut être une dépression, des troubles d’anxiété à cause de la perte d’un emploi, une séparation… Ça peut arriver à n’importe qui d’être fragilisé. Le projet de logement va pouvoir offrir une opportunité à bien des gens.»

(extrait d’entrevue)

Dans les dernières rencontres publiques qui ont eues lieu et suite à la formation d’un comité de suivi avec des citoyens du quartier, le CRRI a apporté plusieurs faits concernant les personnes ayant le droit d’occuper un logement de ce type lorsque le projet verra le jour. De l’avis de plusieurs citoyens du quartier dans lequel le bâtiment sera implanté, les perceptions ont beaucoup évolué et sont majoritairement positives quant au projet et à la clientèle qui en bénéficiera.

Un tel projet demande du temps et la participation de plusieurs acteurs, comme la ville, les organismes oeuvrant dans le logement communautaire, les porteurs du dossier et les citoyens. Des tensions entre diverses parties prenantes autour du projet tendent aujourd’hui à s’adoucir et le projet ira de l’avant. Il s’avère que de tels logements constituent un important besoin dans la MRC de La Côte-de-Gaspé.

💬 « Tu es mieux d’avoir un logement inadéquat dans un environnement social fort qu’un logement adéquat dans un environnement social faible : loin des services et des centre villes. »

(extrait d’entrevue)

Le logement constitue une réponse aux besoins essentiels d’un individu, tout autant que le besoin de s’alimenter. Il s’agit d’un besoin de sécurité. Un logement adéquat en termes de prix, de salubrité et de proximité avec les services assure une meilleure santé physique et mentale1. Or, pour beaucoup de personnes en situation de vulnérabilité, le logement ne répond adéquatement aux besoins : insalubrité, éloignement par rapport aux services, coûts trop élevés. D’après nos sources sur le terrain, de nombreuses situations de logements inadéquats sont vécues dans la MRC de La Côte-de-Gaspé.

Source : Santé publique Canada.

De plus, le logement peut devenir un facteur de stigmatisation sociale (phénomène de ghettoïsation) et de stigmatisation internalisée. Dans ce cas, une personne qui n’a pas les moyens de changer de logement n’osera pas faire de réclamations si le logement qu’elle loue est insalubre, par peur d’être évincée et de ne pas pouvoir retrouver de foyer. L’estime de soi peut passer par la qualité de la perception du logement habité.

En ce sens, le logement constitue un enjeu majeur dans la lutte à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Selon le comité LPES, il est important de travailler sur cet enjeu, en identifiant notamment les principales difficultés vécues actuellement dans la population.

 

En savoir plus 

📗 Accéder à des constats recueillis sur le terrain
📘 Briser les mythes et lutter contre la stigmatisation
📙 Reconnaître... pour lutter contre le désir de distance sociale

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Intégré par Eve Chevalier, le 13 janvier 2025 16:06

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Localisation

Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, QC, Canada

Publication

13 janvier 2025

Modification

15 janvier 2025 10:59

Historique des modifications

Visibilité

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Pour citer cette note

Véronique Larose, Emily Mack, Joël Nadeau, Anne-Sophie Thomas, Gédéon Verreault. (2025). Le cas des territoires de La Côte-de-Gaspé : Comprendre sans coller d'étiquettes, une étude sur la stigmatisation sociale. Praxis (consulté le 6 février 2025), https://praxis.encommun.io/n/06SE_BF6LfzPVyVr1w5sDXgvgjw/.

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