Balado n° 4 | Communs et vieillissement : une avenue prometteuse

Contexte 🔭 : Cette note est publiée dans le cadre du balado La Relance | Pour vieillir en commun, proposé par Présâges. Il s'agit d'une retranscription du 4ème épisode. Nous vous invitons à prioriser l'écoute des balados puisque le contenu a été pensée spécialement pour ce format. 

Lien vers le balado (19 min) :
Spotify : https://creators.spotify.com/pod/show/la-relance--pour-vieillir/episodes/Communs-et-vieillissement--une-avenue-prometteuse-e301331 
YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=k1sY00lrhoQ&list=PL3_J-NgjBniHCoHVNZ4ZuJgSoVuwngFSu&index=6 

Dans cet épisode, je souhaite explorer comment les aîné·es, avec leur bagage d’expériences, peuvent enrichir les réflexions sur les communs, en apportant une perspective qui est ancrée dans des expériences de vie, personnelles et professionnelles, qui peuvent se traduire en savoir-faire précieux. Et, à l’inverse, je veux savoir comment les communs peuvent nourrir les réflexions qui entourent plusieurs enjeux liés au vieillissement. Pour m’aider à amener mes réflexions encore plus loin, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Luc Audebrand, membre du CRITIC, professeur d’économie sociale et solidaire à l'Université Laval et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur l’engagement social. Nos échanges m’ont permis de confirmer que Présâges tient de très bons filons que Luc nous a aidé à bonifier. Je suis bien contente de les partager avec vous aujourd’hui! 

Comme je l’ai mentionné dans le premier épisode, au départ, l’équipe de Présâges s’est intéressée aux communs à travers leurs apports potentiels au milieu communautaire. Nous avions l’impression que les communs pourraient nous permettre de repenser la façon dont on offre des services, par exemple l’aide à domicile, l’accompagnement transport, les popotes roulantes, etc. Ça permettrait aussi de trouver de potentielles solutions à certains défis, dont l'essoufflement des équipes et des bénévoles, les difficultés de recrutement ou même le manque de collaboration entre les organismes.

Finalement, avec le temps une autre avenue s’est dessinée et c’est la possibilité de proposer une forme d’engagement social aux aîné·es qui est peut-être différente des offres de bénévolat plus traditionnelles. 

Et c'est à partir de cette idée qu'a commencée ma conversation avec Luc. Je lui ai demandé de me parler de ce qui, d'après lui, pouvait être des particularités de l'engagement des ainé·es dans les communs. On a ainsi pris le temps de faire le tour de la question en tentant de mieux définir ces trois aspects : l'engagement, les aîné.es et les communs.

Engagement, ainé·es et commun

Luc : Donc la tâche qu'on s'est donnée à la chaire de leadership en enseignement sur l'engagement social, c'est de se donner une définition de ce qu'est l'engagement, parce qu’aussi drôle que ça puisse paraître, il n’y avait pas nécessairement beaucoup de choses d’écrit sur ce concept-là. La définition, je vais te la donner, je vais la lire parce qu’elle est longue : « C'est un ensemble de gestes volontaires et concrets par lequel une personne, un groupe ou une organisation consacre, entre autres choses, une partie de son temps, de son expertise, de son argent, de ses biens matériels ou de sa notoriété à une cause, conforme à ses valeurs et aspirations, afin de contribuer au mieux-être de ses proches, d'une communauté, de l'humanité ou plus largement de la vie sur terre. » 

Camille : La définition que propose Luc souligne l’importance de penser l'engagement social de manière plurielle. C’est un peu la même chose quand on tente de définir ce qu’est un·e aîné·e! Ça réfère à des réalités et à des parcours pluriels. Tenter de regrouper les personnes de 65 ans et plus sous l’étiquette « aîné·e » ça veut dire qu’on inclut des personnes qui peuvent avoir des parcours de vie, des conditions sociales, des conditions physiques très différentes. Ce n’est pas homogène tout ça! À travers le balado, nous allons tout de même nous attarder sur certaines caractéristiques qui peuvent être liées à l’avancée en âge. Et finalement je laisse Luc vous rafraîchir la mémoire à savoir c’est quoi un commun.

Luc : Et moi ce que je dis, c'est qu'un commun, c'est d'abord une communauté de personnes qui se donne collectivement des critères, des règles de gouvernance et de gestion, afin d'utiliser et de préserver une ressource particulière, donc, c'est la fameuse définition en 3 parties d'Éléonore Ostrom. Ce qui est particulier dans la manière que j’aie de le présenter, c'est que je ne présente pas la ressource en premier. T'as pu remarquer que je ne dis pas : c'est une ressource et ensuite des communautés. Je mets l'accent davantage sur la notion de : il y a une communauté de personnes. C’est le coeur, je crois, de la définition des communs.

Camille : OK et maintenant si on jumelle tout ça, à quoi ça pourrait ressembler un commun aîné.

Luc : Ben qu'est-ce qu’une communauté de personnes aînées aurait envie de protéger, parce que c'est quelque chose qui a une certaine valeur pour eux et autour de laquelle ces personnes ont, disons, un intérêt de préserver cette chose. Une fois qu'on a dit ça, les types de communs qui peuvent être créés par des personnes aînées sont infinis. Ça dépend vraiment des besoins que vont avoir ces personnes-là, qui vont se réunir, qui vont faire communauté. Ça peut être un espace vert où marcher, ça peut être un lieu où se rencontrer, ça peut être très concret, ça peut aussi être quelque chose à préserver qui est de nature davantage d'un savoir ou d'une connaissance d'un patrimoine ou d'un matrimoine pour le dire dans 2 sens que l'on veut préserver. Je prends par exemple, ces temps-ci on voit beaucoup des communautés de sœurs qui, pour des raisons de vieillesse, ne peuvent plus s'occuper de leur patrimoine. Et elles se disent, il faut qu'on trouve un moyen pour préserver cela parce que c'est un savoir qui n'est pas uniquement un savoir qui appartient à nous comme sœurs. Une réflexion de ce genre s'est faite chez les Augustines, à Québec, notamment autour du monastère des Augustines. C'est une réflexion qui se fait aussi chez les sœurs du Mont Pasteur. Donc, elles n'ont pas uniquement un terrain à léguer, elles ont aussi un matrimoine à léguer et donc le commun peut aussi être ça, qu'est-ce qu'on fait pour préserver ça.

Camille : Dans les exemples de Luc, il est beaucoup question de préserver des biens ou des espaces. Mais le désir de créer un commun peut aussi émerger d’un besoin ou d’une aspiration. D’ailleurs, dans le prochain épisode je vais vous présenter la coop multiservice de Tewkesbury qui a vu le jour parce qu’un groupe d’ainé·es a fait le constat d’un important besoin de déneigement dans la région, besoin qui n’était pas comblé ni par la municipalité ni par une entreprise privée.

Autoproduction et vieillissement

Camille : Depuis que je réfléchis au commun et aux aîné·es, je réalise qu’il est beaucoup question d’autoproduction, de faire soi-même, mais je me suis toujours demandé à quoi pourrait ressembler la participation dans un commun en fonction de l’âge, de l’énergie, des capacités tant physiques que cognitives des membres. En échangeant avec Luc, j’ai pu réaliser qu’il y a bien des formes de contribution possibles … je le laisse nous raconter tout ça.

Luc : En fait, l'implication ou l'engagement des personnes dans un commun se fait toujours à différents niveaux. Le plus important, ou le plus fondamental, c'est de s'assurer que les personnes puissent participer aux décisions qui les concernent. Donc ce sont les règles de gestion, les règles de gouvernance, qui fondent un peu l'organisation, qui fondent le commun. Ensuite, évidemment, concrètement, les personnes peuvent aussi participer à ce qu'on appelle la production du service. Par exemple, il y a des personnes aînées qui conduisent, peuvent conduire, mais elles peuvent mettre la main à la pâte, mettre les pieds sur les pédales ou les mains sur le volant, puis participer à la production concrète, ça, c'est cette idée d'autoproduction, mais l'autoproduction dans le commun est aussi important que l'auto-institution et l'autorégulation; l'auto-institution, c'est de s'assurer que tout le monde participe à l'institution des règles. L'autorégulation c'est comment ces règles vivent au quotidien. Puis l'autoproduction, c'est comment on offre les services. Donc ça implique pour moi, de s'investir au sens d'investir ces organisations-là, qui sont censées nous aider, de les investir pour s'assurer qu'elles restent continuellement à notre service et qu'elles préservent la ressource par, pour et avec nous.

Camille : La participation dans un commun ça peut prendre plusieurs formes! De savoir la participation comme pouvant être modulée selon les capacités de chacun·e, ça offre une avenue intéressante pour répondre aux besoins d'aîné·es qui souhaitent s'impliquer dans un commun, mais qui ont potentiellement certaines limitations.

Mixité des âges dans les communs

Camille : Finalement, une des avenues intéressantes dans les communs c’est la mixité des âges et/ou le plurigénérationnel, des concepts qui nous sont chers chez Présâges, qui se concrétisent aujourd’hui avec notre projet Briser les silos de l’âge, que je vous invite à aller découvrir sur notre site Web. Et je crois comme Luc que dans le cadre des communs c’est d’autant plus pertinent de retrouver une diversité d’âge car ça apporte une multitude de perspectives, de besoins, d’expertises, de capacités et façons de voir le monde.

Luc : Jusqu'à maintenant, j'ai parlé de cette communauté comme étant une communauté qui était formée de personnes aînées, mais évidemment la communauté peut être plurigénérationnelle. Il peut y avoir dans un commun, des personnes aînées, mais aussi des personnes plus jeunes et encore plus jeunes qui vont ensemble vouloir mettre en place un projet. Un projet qui va être pertinent pour cette diversité de personnes qui se retrouvent dans cette communauté-là par exemple, une ruelle verte ou un jardin, un espace collectif entre des maisons, des logements. Mais il va nécessairement y avoir des personnes de différentes générations, qui ont des expériences différentes. Et il est important d'aller chercher et de respecter l’expérience particulière que peuvent avoir eu des personnes aînées dans leur jeunesse, de création d'un espace de ce genre-là à un moment donné dans leur vie. Et donc c'est important de se donner des règles de vie, les règles de gouvernance et les règles autour du projet, de se donner l'espace pour accueillir le savoir, l'expertise, l'expérience de personnes aînées. Comment je m'assure que la richesse de ce que chaque personne à offrir, qu'elle soit aînée ou non, puisse être prise, on ne peut pas se dire naturellement ça va se faire. Non c'est pas vrai, ce n’est pas naturel en fait, y'a rien de naturel, l'humanité est une création, on se créer, on s'auto créer, on se recréer. Et donc il faut mettre en place des pratiques, puis s'assurer qu'elles sont pertinentes pour nous qu'elles continuent d'être respectées.

Camille : Si on résume, on pourrait dire que les communs aîné·es peuvent prendre plusieurs formes, selon ce que ces personnes souhaitent en faire, selon leurs besoins, mais aussi leurs aspirations. Ce n’est donc pas nécessaire d’être un expert pour s’impliquer dans un commun, ou d’avoir une énergie inépuisable, ni des connaissances spécifiques… le degré d’implication peut s’adapter aux capacités, aux compétences et aux savoirs de chacun·e. Et finalement, les communs c’est un bel espace pour encourager la mixité des âges!

Les aîné·es acteur·rices de leur vie

Camille : Avant de mettre fin à ma conversation avec Luc, j’avais envie de faire l’exercice contraire : se demander ce que les communs peuvent apporter en lien avec le vieillissement. Premièrement ça permet de remettre les aîné·es au cœur des décisions qui les concernent. 

Luc :  Et je crois que c'est très important pour les personnes aînées de s'investir, de s'engager pour que ça soit véritablement présent dans les organisations qui vont s'occuper d'elles. Et ça, ça devrait être autant important pour elles que la qualité des soins qu'elles reçoivent parce qu’il faut que les deux soient présents si on veut que ça soit un véritable commun. Puis si on veut aussi s'assurer que les personnes aient leur mot à dire et soient impliquées dans ce qu'il leur arrive. Et je trouve que c'est une manière de continuer d’accroître, de continuer à fleurir comme personne même si l'on vieillit. Et donc le commun nous offre cette vision-là parce que le commun, avant d'être une série de règles et de définitions, l'idée de commun, c'est d'abord une philosophie, c'est un rapport au monde qui est un rapport où on est acteur, actrice plutôt que spectateur, spectatrice, c'est pour moi ultimement, c'est ça le commun, c’est je suis acteur de ma propre vie, tout le temps, jusqu’à la fin.

La mixité des âges pour repenser notre rapport au vieillissement

Camille : Et si on prend le pari que les communs permettent de favoriser une mixité des âges, les expériences plurigénérationnelles ont aussi beaucoup à nous apporter. 

Luc : Ces expériences-là si elles sont menées par des personnes aînées, avec aussi cette idée d'inter ou de plurigénérationalité, j'ai l'impression que ça peut aussi nous amener collectivement à revoir notre rapport au monde. Parce qu’une des fatalités c'est que nous allons tous vieillir. Idéalement, on veut vieillir plutôt que mourir dans un accident de voiture et donc c'est inéluctable et d'avoir des exemples de personnes qui vieillissent, mais qui vieillissent en étant toujours capable de créer, de s'autoréguler, de s'autoproduire, pour une personne plus jeune, ça peut lui dire ah tiens, la vieillesse n'est pas quelque chose qui est nécessairement triste ou y a quelque chose de beau parce qu'on va continuer à créer, on va continuer à s'investir dans le monde, mais d'une autre façon, peut être plus lentement. Et donc moi je pense que pour la société avoir des personnes aînées qui s'impliquent dans des projets ça peut presque donner envie de vieillir. Et donc c'est bénéfique aussi pour la santé des personnes aînées, mais c'est aussi bénéfique pour les personnes qui ne sont pas encore rendues là parce que ça leur permet d'envisager cet événement inéluctable de façon plus sereine.

Injonction de l'autonomie avec l'avancée en âge


Luc : Les communs, ça permettrait aussi de repenser l’injonction à l’autonomie qui semble s’imposer avec l’avancée en âge. Dans notre société moderne on a individualisé, on a un drôle de rapport à l'autonomie parce qu’on regarde les deux, au début et à la fin de vie, on se dit, ah au début on n'est pas autonome, tout d'un coup on devient autonome, puis à un moment donné on devient plus autonome. C'est vraiment presque comme si c’est on-off, y’a pas de subtilité dans le rapport à l'autonomie. Parce que l'autonomie elle peut être perçue à la fois comme quelque chose qui est individuel, c'est-à-dire que moi comme individu, je suis plus ou moins autonome pour effectuer certaines tâches. On se dit si mon autonomie individuelle, si elle est compensée, complétée par l'autonomie d'une autre, l'aide d'une autre personne et que moi je peux aider, mais tout d'un coup on vient d'augmenter notre conception de l'autonomie et on peut être autonome en groupe. Et donc continuer à être tout à fait pertinent parce qu'en groupe, on est capable de faire des choses qu’individuellement, on ne pourrait pas faire. Et donc le commun, autour d'une communauté de personnes qui sont à différents moments de leur vie ou qui se donnent des règles ensemble pour s'entraider autour d'un objet qui est important pour elles, on a plus besoin de regarder l'autonomie comme étant quelque chose qui est uniquement individuel. 

Conclusion

Camille : Je tiens à remercier Luc d’avoir permis d’approfondir toutes ces idées-là. Je pense justement que les réflexions autour des communs ont tout à fait leur place pour réfléchir au vieillissement parce qu’il me semble bien qu’une société des communs ce soit une société où vieillir à sa place et fait sens. 

Les communs ce n’est pas un miracle ou une recette magique, c’est un idéal, quelque chose vers quoi on veut tendre. Mais ce n’est pas une utopie non plus, parce que ça existe déjà, qu’on a de plus en plus d’exemples pour s’inspirer. Justement je vous en présente un au prochain épisode : la coopérative multiservice de Tewkesbury.

À bientôt !

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Intégré par Camille Sanschagrin, le 28 février 2025 14:38

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Publication

28 février 2025

Modification

13 mars 2025 11:16

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Pour citer cette note

Équipe Présâges, Camille Sanschagrin. (2025). Balado n° 4 | Communs et vieillissement : une avenue prometteuse. Praxis (consulté le 25 avril 2025), https://praxis.encommun.io/n/0mAGkulHFTikbC6psxTPbfGS7DI/.

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