Les bibliothèques, en action pour montrer la voie vers la science ouverte et l'éducation ouverte

Société apprenanteCompte-rendu du Congrès des professionnel.le.s de l’information 2023 selon la perspective d’une bibliothécaire spécialisée en éducation ouverte

Chaque année, le monde des bibliothèques se réunit en novembre pour prendre le temps de partager ses savoirs scientifiques et expérientiels, question de faire le point sur où nous en sommes rendus sur notre compréhension commune des savoirs bibliothéconomiques, le tout sous la perspective d’un thème. Celui de cette année : vers une optimisation des ressources et des services. Thème très juste, mais à mon humble avis, trop formulé de façon « informatique », pas assez de façon humaine, une des grandes forces du personnel des bibliothèques. Comme si nous craignions de montrer nos forces humaines, dans un monde scientifique trop souvent déshumanisé.

Si vous voulez énerver une personne travaillant dans le monde des bibliothèques, parlez-lui des jugements qu’on reçoit tous les jours sur notre travail. Et ces jugements nous font peur, nous empêche de nous assumer pleinement. Parce que ces jugements, nous les portons malheureusement encore un peu en nous. Mais le congrès de cette année m’a rassuré. Malgré son thème frileux, j’y ai vu de plus en plus de gens bien assumés et surtout, fiers! Fiers de leurs savoirs de haut niveau, construits et présentés avec beaucoup d’humanité. Et tout ça m’a rempli d’espoir. Parce que la science a besoin de nous! La science a grandement besoin de s’ouvrir et de s’humaniser. Et face aux jugements qu’on reçoit, nous devrions comprendre que nous savons des choses que les autres ne savent pas. Juger ces gens à notre tour n’est pas la bonne voie. Nous avons la responsabilité de transmettre nos savoirs, même s’ils confrontent, pour notre bien individuel et collectif.

J’ai donc envie de vous partager ce que j’ai pu observer de grandiose dans ce congrès, des actions concrètes en mode science ouverte et éducation ouverte. Je veux que vous réalisiez chers/chères collègues à quel point nous sommes déjà des actrices et acteurs de haut niveau en science ouverte et éducation ouverte. Et à tous ceux et celles qui me lisent qui ne sont pas du monde des bibliothèques, osez défaire vos préjugés et apprendre de nous, en toute humilité. Parce que nous, nous sommes déjà prêts et prêtes à apprendre de vous. Parce que le mot que j’ai dû entendre le plus souvent durant ce congrès c’est COCRÉATION. Parce que nous avons compris que la simple collaboration n’est plus suffisante dans cette quête des savoirs de qualité.

Voici donc ma perspective de bibliothécaire spécialisée en éducation ouverte sur un échantillon de conférences qui ont retenues mon attention :

Plénière d’ouverture, par Benoît Dubreuil

  • On y a entre autres parlé de l’importance des savoirs en français et du rôle important des bibliothèques dans la gestion, construction, diffusion de ces savoirs francophones. J’accueille avec grand enthousiasme toutes les initiatives pour augmenter les savoirs francophones dont cette idée d’intégrer plus d’outils de traduction pour faciliter l’accès aux articles scientifiques en français… mais j’ai osé ajouter que le monde des bibliothèques est déjà prêt aller plus loin. Parce que dans une langue, il y a aussi des niveaux de langages. Traduire n’est pas toujours suffisant pour être compris. Vulgariser, par des ressources éducatives libres (REL) permet davantage d’ouvrir les savoirs de qualité à toute l’humanité et contrer la désinformation qui nous menace. Et j’ajouterais la voie de ma collègue Laurie-Anne Gignac qui nous a rappelé l’importance de réapprendre à rédiger le français, en diminuant nos biais cognitifs, selon les recommandations, peut-être pas encore parfaites, des règles d’écriture épicène.

Ressources éducatives numériques (REN) et métadonnées, par Mylène Lebuis-Desjardins et Marilyne Côté

  • Une plateforme REN au primaire/secondaire, une autre en enseignement supérieur… en les comparant, on voit tout de suite comment la réflexion pour l’une peut aider l’autre! Par exemple, des métadonnées de qualité sont essentielles à la découvrabilité des savoirs. Le monde des bibliothèques est déjà prêt à briser les silos entre primaire/secondaire et enseignement supérieur et ces plateformes offrent un excellent contexte pour le faire! Heureusement que ces projets sont entourés de personnes compétentes des bibliothèques pour les faire évoluer en ce sens!

Expérimentation d’un cocon de micro-sieste en bibliothèque universitaire : pour le bien être des usagers, par Valérie Bastien, Yan Vallée

  • Je retiens 2 éléments d’ouverture importants dans ce projet :
    • Laisser la place au personnel de bibliothèque pour initier et cocréer des projets innovants. Et le moteur de ce beau projet : l’empathie et la compassion… la touche humaine si importante pour augmenter la qualité des savoirs. Parce que l’intelligence humaine ne se définit pas que par l’intelligence « rationnelle ».
    • Briser les silos entre les sciences de l’information et les autres domaines de la connaissance, afin d’augmenter la qualité de nos savoirs bibliothéconomiques. Dans ce cas-ci, on s’est inspiré d’études sur l’impact positif des siestes sur la réussite scolaire.

Cyberattaque en bibliothèque : Pas de panique! par Julie Bouchard, Lora Baiocco

  • Cette présentation m’a rappelé quelque chose de majeur en pédagogie : l’erreur n’existe pas, elle est simplement une grande opportunité d’apprentissage, si on ose apprendre d’elle! C’est ça une société apprenante! C’est une société qui arrête d’avoir honte de ses « erreurs » pour enfin parler avec ouverture des apprentissages de l’erreur. Et quels beaux apprentissages ont été démontrés dans cette présentation! Entre autres, l’importance de tenir compte de toutes les parties prenantes de la bibliothèque, incluant les TI. L’importance de leur partager notre perspective et d’écouter la leur.
  • Face aux cyberattaques de plus en plus fréquentes, on pourrait être tenté de nourrir davantage la peur et la méfiance. Je retiens de cette expérience que oui, on peut mettre en place des mécanismes pour diminuer les problèmes lors de cyberattaques… mais que ces mécanismes seront d’autant plus efficaces si on les coconstruit dans la confiance avec les autres. En bref, face aux possibles menaces = osons investir dans la confiance.  

Les méthodes d’amélioration continue au service de l’optimisation du travail, par Sophie St-Pierre

  • Quel beau projet qui semble avoir été fait en réelle cocréation! Les éléments clés d’une cocréation réussie que je perçois : le niveau d’engagement élevé, le niveau de confiance, le plaisir ressenti, le désir de la gestionnaire de tenir compte des besoins individuels et collectifs, de tenir compte de l’ensemble des perspectives, etc. De ma perspective, j’avoue que ça m’aurait fait peur ce projet car j’ai une part de désorganisation dans ma vie qui est essentielle, qui m’aide à réfléchir et à créer en lien avec mes tâches de bibliothécaire spécialisée en éducation ouverte. Bref, je retiens surtout la beauté du processus car seules les parties prenantes concernées peuvent juger du résultat.

Optimisation des ressources par une synergie de travail efficace, l’expérience de l’INSPQ dans un contexte de télétravail, par Josée Berthelette, Virginie Houde

  • Un autre beau partage qui met l’emphase sur l’inclusion et le développement de l’intelligence relationnelle et de la confiance au sein d’une équipe, tellement un moteur important pour arriver à mieux travailler ensemble. Arrêtons de voir ces moments d’échanges comme des pertes de temps au travail, mais plutôt comme un investissement payant pour amener le personnel à cocréer des savoirs de plus haut niveau.

5 savoir-être essentiels pour des techniciens.nes en documentation acteurs de changements dans leur milieu : des stages réinventés au Collège Lionel-Groulx, par Isabelle Roy, Julie Dupaul

  • Depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle, on ne fait que parler de l’urgence de développer la pensée critique des humains. C’est aussi au cœur de la science ouverte et de l’éducation ouverte. Quelle belle évolution que de mettre l’emphase sur le développement de ce savoir-être chez les technicien.nes en documentation!

La bibliothèque publique comme troisième lieu et le potentiel de la recherche partenariale : le cas d’une collaboration avec une équipe universitaire, par Chantale Bellemare, Marie-Pier Rivest

  • Ce projet nous a démontré encore une fois que les bibliothèques sont prêtes à sortir du cadre bibliothéconomique et cocréer de haut niveau, avec les acteurs et actrices de la science, pour arriver à générer de nouveaux savoirs de qualité, pour le bien commun. Quel bel exemple de science ouverte où on brise les silos entre les disciplines, entre la science et la population citoyenne! On tente de sortir des biais cognitifs et jugements, pour mettre l’emphase sur l’inclusion et trouver de réelles solutions à des problèmes complexes. Les défis concrets de la bibliothèque nourrissent la science et la science tentent d’apporter ses solutions. Très inspirant comme présentation!

Les implications et les applications de l’intelligence artificielle dans les bibliothèques universitaires, par Sandy Hervieux, Amanda Wheatley

  • Cette présentation nous a démontré comment une simple REL sur l’intelligence artificielle peut contribuer à briser les silos entre anglophones et francophones et entre institutions de différentes tailles! Un guide en anglais sous licence CC fait par l’Université McGill, maintenant traduit en français en partie et adapté par l’ETS, tout ça disponible pour les autres! Quel bel exemple d’entraide et de libre circulation des savoirs!

Travailler ensemble pour une description respectueuse des Peuples Autochtones : la collaboration entre le RVM et les CSH, par Annie Wolfe, Susanne Brillant

  • Cette présentation fait partie de mes coups de cœur. J’en retiens une phrase simple, mais oh combien essentielle dans la quête de la cocréation de savoirs de qualité avec les Peuples Autochtones : l’importance d’avancer au rythme de la confiance. Instaurer ce climat de confiance demande du temps, mais ce temps est loin d’être du temps perdu. C’est l’ingrédient majeur qui permet ensuite d’être productif ensemble. Tant de biais inconscients sont venus brouiller nos relations entre « occidentaux » (est-ce le bon terme pour nous décrire?) et Peuples Autochtones dans le passé. Pour en sortir, vaut mieux prendre le temps d’instaurer la confiance pour qu’une réelle écoute de part et d’autre puisse s’installer et faire place à la magie de la cocréation de haut niveau. Et pourquoi ce constat me semble important? Parce que je constate le même dans tous nos rapports de cocréation humaine. Peur et méfiance = freins majeurs dans notre quête vers des savoirs de qualité.

Enquête RÉDI sur les métiers et les professions documentaires au Québec, par Marie D. Martel, Christine Dufour, Jennifer Ricard, Julie Lise Simard, Micheline Brûlé

  • Je retiens de cette présentation l’importance d’être cohérent avec ce qu’on promeut pour augmenter notre leadership. Les bibliothèques veulent être des lieux inclusifs et il faut d’abord s’assurer que nous appliquons ces principes d’inclusion au sein même du personnel des bibliothèques. Les résultats préliminaires nous démontrent malheureusement que malgré nos bonnes intentions, nous n’y arrivons pas toujours. Pour moi, ça démontre l’aspect inconscient et « invisible » des biais cognitifs qui sont en nous et l’importance de mettre des mesures en place pour s’en prémunir.

Mieux communiquer et interagir avec les aînés en bibliothèque : des recommandations, par Marie D. Martel, Sophie Chesneau, Guylaine Le Dorze, Marie-Christine Hallé, Caroline Malo

  • La pandémie nous a fait voir à quel point nous avons tendance à oublier certaines perspectives, comme celle des personnes ainées. La réconciliation avec les premiers peuples nous met aussi en lumière qu’on peut apprendre d’eux sur cette question. Très soulagée de voir qu’on ose être davantage à l’écoute des personnes ainées dans le monde des bibliothèques.

La science ouverte et les bibliothèques, par Rémi Quirion

  • Quel honneur d’avoir eu la chance d’entendre Rémi Quirion nous parler de science ouverte. Et c’est avec beaucoup d’humilité que j’ai osé lui partager ma perspective de ne pas oublier l’éducation ouverte et les ressources éducatives libres (REL) au sein de la science ouverte, comme recommandé par l’UNESCO, un élément majeur pour contrer la désinformation.

L’offre de service en synthèses des connaissances à la Bibliothèque de l’Université Laval : optimiser les processus par l’engagement de tous les membres du personnel, par Emmanuelle Paquette-Raynard

  • J’ai particulièrement apprécié cette présentation de ma collègue Emmanuelle! J’y ai vu beaucoup d’éléments importants en lien avec la science/éducation ouverte. Synthèses des connaissances = mise en commun de perspectives de plusieurs recherches. C’est important et le personnel de recherche a tant besoin de notre soutien dans le processus. Elle a aussi démontré sa pensée critique face aux propos de ses gestionnaires sur la concentration des synthèses de la connaissance par domaine et a pris le temps d’aller chercher des données pour appuyer ses hypothèses, pour notre bien commun. On a pu voir aussi la richesse de collaboration entre les différents acteurs et actrices de la bibliothèque. On a même pris le temps de réfléchir sur la notion de reconnaissance de ces personnes et pu voir qu’il y a encore du travail à faire à ce niveau. Et enfin, comme Emmanuelle est la seule qui a un rôle aussi large en synthèse de la connaissance au Québec, elle reconnait qu’elle peut redonner aux autres, d’où son guide sous licence CC qui s’en vient bientôt et son appel à le coconstruire!

Soutenir l’instauration d’une culture de la gestion des données de recherche dans nos établissements universitaires : plein feu sur les initiatives du GT-GDR du PBUQ, par Sonia Seck, Dominique Papin, Maryse Laflamme

  • Présentation très inspirante! Je retiens le haut niveau de qualité des ressources éducatives libres (REL) que ce groupe arrive à produire ensemble. J’ai adoré la vidéo présentée.

Sensibiliser au droit d’auteur selon les différents publics en bibliothèque, par Marjorie Gauchier

  • Une autre présentation d’une grande richesse qui nous a fait prendre conscience que les besoins en droit d’auteur ne sont pas prêts de diminuer et peuvent parfois générer de l’anxiété chez nos usagers comme chez le personnel en bibliothèque. Si on veut que les humains puissent libérer efficacement leurs savoirs, il faut les outiller en savoirs sur le droit d’auteur pour le faire. Encore une fois, c’est avec beaucoup d’humanité que Marjorie tente de partager ses savoirs à ses usagers et usagères en tenant compte de leur perspective et aussi, à l’ensemble des humains par plusieurs ressources éducatives libres (REL) de qualité, réutilisables et adaptables par d’autres institutions qui n’ont pas la chance d’avoir un ou une bibliothécaire en droit d’auteur.

Développement des services de bibliothèques postsecondaires à Madagascar, par Mylène Lavoie, Marie-Josée Lauzière

  • Cette présentation m’a fait voir qu’en tant que pays riche, on a tant à donner à des populations plus pauvres, pour notre bien commun à tous. Mais on oublie trop souvent que nous avons aussi à apprendre de leur perspective. La cocréation est un échange, pas une relation à sens unique. Je retiens de la perspective du peuple de Madagascar l’importance de cultiver la douceur, la lenteur, le lâcher prise… des concepts parfois difficiles dans notre monde occidental.  

Mes conclusions

En terminant, j’aurais pu continuer encore longtemps car toutes les présentations étaient inspirantes! J’en profite pour remercier les personnes qui ont contribuées à l’organisation de ce congrès et l’ensemble des conférencières et conférenciers. Vous m’avez nourrie de savoirs de qualité et inspirée à poursuivre dans la même voie que vous!

En résumé, je retiens que pour créer des savoirs de qualité en mode science ouverte et éducation ouverte, il ne faut pas seulement miser sur les données, les infrastructures et les protocoles. Il faut mettre en place des mécanismes structurés qui vont faciliter l’ouverture humaine à la perspective de l’autre. Il faut apprendre aux humains à cocréer efficacement, en prenant le temps d’instaurer un climat de confiance. Et comment instaurer cette confiance de manière scientifique? En prenant conscience qu’il y a des biais cognitifs en chacun de nous qui ont tendance à nous faire générer de la fausse information, de la peur et de la méfiance, malgré nous. En prenant conscience que nous ne sommes pas responsable de la présence de ces biais cognitifs en nous, mais que maintenant que nous savons qu’ils sont là, nous avons la responsabilité d’en tenir compte dans nos processus de création des savoirs.

Le mouvement de la science ouverte (et ses domaines connexes comme l’EDI, le développement durable, le droit d’auteur, etc.) nous apporte des solutions à ces grands défis : des processus structurés de cocréation dans la confiance avec des humains de différentes perspectives, le libre accès aux savoirs scientifiques pour faciliter la confrontation des perspectives, des mécanismes de validation des savoirs plus ouverts, des licences ouvertes, des savoirs sur les biais cognitifs, la vulgarisation des savoirs par des ressources éducatives libres, l’écriture épicène, des infrastructures technologiques facilitant l’ouverture aux savoirs, etc. Personne ne possède la vérité absolue, nous avons donc la responsabilité d’unifier nos perspectives pour s’approcher de réelles vérités. L’arrivée de l’intelligence artificielle nous amène à nous comparer avec la machine, afin de voir ce qui nous distingue d’elle et ce qui caractérise notre intelligence humaine. Cette intelligence artificielle apprend de nous, de nos données, de nos « erreurs » et les biais cognitifs qu’elle met en lumière nous font peur… ne devrait-on pas s’intéresser à comprendre pourquoi ces biais sont là chez les humains et comment les réduire ou les éliminer? On parle de plus en plus des risques de la désinformation/mésinformation comme une menace à notre démocratie.

Il est selon moi urgent de faire évoluer la science en mode ouverture et ce congrès m’a démontré que le monde des bibliothèques a l’expertise, les connaissances et les compétences techniques et humaines pour montrer la voie vers la science ouverte et l’éducation ouverte à toute l’humanité.

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Intégré par Marilou Bourque, le 16 novembre 2023 12:04

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16 novembre 2023

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30 avril 2024 11:31

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