Le 6e Colloque international 2021 du CRISES - 8 et 9 avril

Dans un contexte de transition sociale et écologique, l’Équipe TIESS a participé à quelques conférences du Colloque portant un regard sur notre modèle politique et économique ainsi que sur les arrimages organisationnels et territoriaux. L’équipe Passerelles vous présente un extrait des notes de l'Équipe TIESS.

Pour plus de détails :

DÉMOCRATIE ET SYSTÈME DE PRODUCTION SOUS TENSION

Pour Loïc Blondiaux, on assiste à un effondrement des piliers démocratiques, notamment les élections (abstention, populisme), le pouvoir législatif (peu représentatif avec dominance de l’exécutif), les partis politiques (lieux pour fabriquer des victoires électorales) et la presse (sous influences et menacée par les réseaux sociaux).

Sous l’effondrement d’un système soumis aux conflits autour des ressources naturelles, des migrations, des crises sanitaires, etc., la démocratie pourrait bien se transformer en modèle dictatorial (un individu décide) ou scientifique (des experts décident).

L’avenir de la démocratie reste encore à écrire. Cette démocratie, qui promettait la croissance et l’accumulation illimitée de richesses pour chacun, a rompu son pacte. Autant pour l’humain que pour la nature, la situation n’est plus tenable.

Nancy Fraser estime que le système de production (exploitation et expropriation), dans lequel l’injustice est enracinée, s'auto-cannibalise provoquant des crises qui ne peuvent être réglées de façon isolée. Si par le passé les mouvements sociaux ont permis de grandes avancées sociales, ces mouvements sont moins présents aujourd’hui. Trop d'éléments se croisent. Les efforts se dispersent et on ne comprend pas qui sont les alliés naturels de chaque cause pour mobiliser les efforts dans un seul mouvement. L’idéal serait de s’unir autour d’une cause claire soutenue par les pouvoirs publics comme pourrait l'être la lutte au réchauffement climatique. En attendant, un mouvement plus radical semble nécessaire pour éviter de ne regarder que l’injustice créée plutôt que la justice absente.

Rafael Ziegler regrette que les transformations souhaitées rejoignent trop souvent l'accélération ou l'adaptation aux transformations déjà en cours plutôt que de proposer de réelles alternatives.

Face à ce système démocratique qui s’effondre, Loïc Blondiaux voit 3 échappatoires possibles :

  • la réforme délibérative (changement des systèmes électoraux), exemples :
    • ne pas sélectionner, mais évaluer les candidats aux élections,
    • le référendum d'initiatives citoyennes,
    • le financement de la vie politique,
    • le référendum délibératif comme la Citizens’ initiative review .
    • la ''vague délibérative'' comme la convention citoyenne sur le climat (France) basée sur la notion centrale de ''mini-publics'' et d'intelligence collective émancipatrice.
  • la voie éthique (échelle de mœurs : manières d'être, attitudes…) favorisant la vie collective et non élitiste, compétitive et individualiste.
  • la voie locale proposant une politique préfigurative par appropriation de l’espace (vivre, produire, habiter, gouverner autrement) à travers les élections ou hors du cadre électoral sous forme d'auto-organisation, de gestion des communs (exemples des villes en transition…).

LES RÉCITS LOCAUX DE TRANSITION

René Audet milite pour la voie locale à partir de l’expérience des récits transformateurs visant à définir une vision partagée, inclusive et désirable de la transition à l’échelle locale. De tels récits offrent l’opportunité de bâtir un modèle contrastant avec la pensée unique et néolibérale, en renforçant le pouvoir d’agir individuel et collectif. Le récit doit être inclusif, hélas il ne rejoint qu' une minorité. Le défi est de trouver comment diffuser ces récits afin qu’ils rejoignent le plus grand nombre et qu’ils inspirent.

Yves-Marie Abraham propose plusieurs pistes pour mobiliser le plus grand nombre autour d’une transition :

  • démocratiser le modèle de production,
  • écrire collectivement des récits précis qui aident à faire ressortir le positif tout en permettant de faire des choix concrets. Surtout, éviter de rester dans les idéaux flous et dans les discours creux. Calquer les récits sur le quotidien des personnes en faisant des liens entre la promesse d'une transformation de la société et la justice sociale,
  • créer les conditions politiques pour que tout le monde puisse participer, notamment au niveau du temps d’implication. Sur ce point, attention de ne pas exclure les populations vulnérables (incapacité à participer). Quand on parle de décroissance, ces dernières craignent de manquer encore plus de tout.

Il regrette que la plupart des décisions prises passent outre les conséquences ou ne prennent pas le temps de les analyser.

Bonno Pel estime qu’il est important de reconnaître qu’il y a des transitions et non une seule. Au pluriel, on élargit les futurs possibles. Le défi est d’articuler ces transitions autant dans les processus que dans les conditions sociétales.

RENVERSER LES RAPPORTS DE POUVOIR AUTOUR DE L’ÉTHIQUE DU CARE

Julie Battilana affirme que les changements s'opèrent en renversant les rapports de pouvoir dans les organisations et dans la société en général, notamment autour de 3 axes : démocratiser les entreprises, démarchandiser le travail et sortir notre économie du pétrole .

Dominique Méda propose de substituer le paradigme occidental d’exploitation et de conquête par un nouveau système de logique : le  « prendre soin » (éthique du care). Les actions publiques et privées s'orientent ainsi vers une post-croissance en adoptant de nouveaux indicateurs de richesse. Ce qui oblige de repenser les fondements et l’articulation des disciplines et d’engager la reconversion concrète des activités grâce à des innovations radicales parmi lesquelles la démarchandisation et la démocratisation du travail.

Si la transition sociale et écologique émane d'innovations sociales émancipatrices encore faut-il que nos modèles de gestion organisationnelle évoluent. Marc D. Lachapelle, lors d’un atelier de co-construction non enregistré, estime qu’il faut développer de nouvelles pratiques de gestion et de nouvelles habiletés cognitives, sociales ... Soumis à l’éthique du care, le modèle de gestion ne peut qu’évoluer d’une simple technique de gouvernement des personnes pour accomplir une activité vers :

  • le mise en organisation de relations et de subjectivités entre les participant.e.s et leur environnement,
  • la formation d’un collectif,
  • une identité collective.

Gérer en collectif, dans une optique de care (Gilligan, 1982), devient alors à la fois le souci de soi dans le souci d’autrui, à travers une activité collective.

Dans ce sens, Juan-Luis Klein soutient que toute transition ne se fera qu’en augmentant les capacités locales d’apprentissage et de réflexion collectives . Ce sont ces capacités qui permettent aux acteurs de ne pas se contenter de réagir face aux problèmes, mais de les anticiper, de bien identifier les défis et de mettre en place des innovations sociales permettant d’infléchir les facteurs qui bloquent la construction du bien-être collectif. Par exemple, les ETA (espaces-test agricoles) rassemblent des acteurs à la manière des espaces de coworking ou des fablab. Les opportunités de rencontres permettent la construction de communs et le développement du capital social qui sont à leur tour repris par les différents acteurs territoriaux.

ÉCONOMIE DE PARTAGE ET ÉCONOMIE SOCIALE, LES BONS REMÈDES?

Nolywé Delannon et Olivier Rafélis de Broves abordent l’ économie du partage ou économie collaborative (partage ou échange entre particuliers de biens, de services ou de connaissances, avec ou sans échange d'argent sur des plateformes numériques) comme une alternative à l’économie traditionnelle, mais Nolywé Delannon estime qu’elle ne parvient pas à réaliser ses 5 promesses:

  • l'universalité de l'accès,
  • le regain de pouvoir d'achat de la classe moyenne,
  • une durabilité (écologique) inhérente,
  • une prise de contrôle des travailleurs sur les paramètres de réalisation de leur travail,
  • une extension de l'esprit de communauté aux activités économiques.

Pour qu’elle puisse exprimer pleinement ses potentiels d'émancipation, notamment par le coopérativisme de plateforme , Rafélis de Broves mentionne que plusieurs éléments sont incontournables :

  • un soutien plus large du secteur public,
  • une intercoopération entre les initiatives,
  • une vision d'ensemble,
  • repolitiser l'espace public et la place de la société civile, par exemple en restant connecté aux bases des mouvements sociaux.
  • changer les règles du jeu et repenser les principes mêmes des modèles.

Myriam Michaud, Luc K. Audebrand , Rafael Ziegler, Martine Vézina et Suzanne Tremblay abordent les tensions existantes entre les fondements de l'économie sociale et l’obligation de rendements capitalistes, notamment à travers la microfinance, l’économie circulaire et la gouvernance des entreprises d’économie sociale (EÉS).

  • La microfinance (crédit communautaire) s’est financiarisée/commercialisée alors qu’elle n’était que solidaire à l’origine, ancrée dans l’ÉS et le communautaire. Aujourd’hui, le micro-crédit sert à démarrer des petites entreprises le plus souvent individuelles. Toutefois, soutenir l’empowerment des individus via le micro-crédit est central dans le développement local et territorial.
  • L’économie circulaire est le plus souvent portée par l’entreprise privée pour opérer sa transition écologique. Dans ce contexte, on se demande quelle organisation territoriale et démocratique peut porter l’ÉC? Plusieurs ÉES jouent un rôle d’insertion au travail autour de l'économie circulaire. Est-il possible de créer d’autres synergies sociales autour de l’ÉC?
  • La gouvernance des EÉS est soumise aux impératifs de performance, ce mode opératoire universel qui se fait au détriment de l’inclusion et qui se répercute autant au niveau des processus, des employés que des CA. Une tension se crée entre expertise et représentativité/démocratie. Elle entraîne une dérive de la mission sociale vers plus de stratégies capitalistes. Toutes les stratégies pour atténuer ces tensions, créent d’autres tensions. Plutôt que d’essayer d’uniformiser les pratiques d’ÉS, il y aurait avantage à les adapter.

Les EÉS sont hybrides par nature, leur enjeu principal est de maintenir la tension entre mission sociale et rentabilité. Le défi d’opérationnalisation naît quand le pôle minoritaire est rejeté par le pôle majoritaire. Hélas, on constate que c’est souvent le pôle capitaliste qui l’emporte.

L’économie sociale a perdu de son mordant initial qui consistait à faire ce que ni le public, ni le privé ne voulaient faire. On a voulu faire de l’économie sociale un joueur qui ne se contente pas des espaces vides. En fait, l’ÉS devrait être un projet de société soutenu par de véritables politiques publiques, au même titre que des politiques publiques soutiennent le modèle capitaliste.

LA CO-DIRECTION COMME MODÈLE ÉMERGENT D’ÉMANCIPATION DES ORGANISATIONS

Valérie Michaud et Myriam Saucier se sont intéressées au modèle de gestion dit de co-direction, un modèle organisationnel émergent dans lequel deux leaders disposent d'une autorité formelle et se rapportent au CA (différent du mode de co-gestion qui conserve la hiérarchie).

La co-direction a des avantages, notamment elle :

  • répond à un besoin social bien défini, notamment l'enjeu de relève,
  • peut prendre différentes formes,
  • permet l’avancement professionnel (quand il vient de l'interne),
  • décuple l'action et les retombées,
  • permet les apprentissages et développe la confiance,
  • permet une réorganisation du travail avec un accès formel au pouvoir d’au moins deux personnes,
  • favorise la gestion participative et la redistribution des pouvoirs (avec l'équipe de travail, avec les membres...),

C’est un modèle plus coopératif en phase avec des valeurs collectives qui donne une meilleure qualité aux décisions, une meilleure capacité d'adaptation, une fonction DG plus complète avec moins de stress et de burn out chez les dirigeants, car il y a un partage des responsabilités et plus de disponibilité.

Ce qui n’empêche pas les défis, notamment parce que c’est un modèle peu documenté (peu de références) qui laisse entrevoir une augmentation des risques de conflits puisqu’un même rôle est partagé entre plusieurs personnes.

IMBRICATION VIE PRIVÉE ET PROFESSIONNELLE COMME CONSÉQUENCE DU TÉLÉTRAVAIL

Diane-Gabrielle Tremblay et Sophie Mathieu ne pouvaient pas passer sous silence la montée du télétravail dans les organisations et son impact sur la vie personnelle/professionnelle des employé.e.s. Elles soulignent que nous sommes passés du conflit travail/famille, au niveau du rôle et du temps, à la conciliation, voire à l'articulation (imbrication) du travail dans la famille autour de la théorie de l'enrichissement : les deux sphères travail et famille peuvent s'enrichir quand on est présent en simultané dans les deux sphères.

En complément sur Passerelles : Quel avenir pour le télétravail? (voir les nombreux commentaires).

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Métamorphose socioécologique - Enjeux, leviers et stratégies
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Intégré par Équipe En commun, le 28 mars 2023 14:49
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Décroissance - Analyses, enjeux et stratégies
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Intégré par Marie-Soleil L'Allier, le 22 mars 2023 15:33
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Post-capitalisme, Réfléchir (rapport, analyse, veille, opinion), Crise écologique et climatique
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Transition socioécologique - Enjeux, leviers et stratégies
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Publication

26 juillet 2021

Modification

2 octobre 2023 11:16

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