Négationnisme systémique - Hommage à Edgard Gonzalez Gaudiano

Edgar Gonzalez Gaudiano, un pilier mondial de la recherche en éducation relative à l’environnement (ERE), découvert lors du dernier colloque du Centr’ERE , m’a permis de mettre des mots sur ma lecture de centaines d’articles sur le sujet : Dans l’esprit du personnel de l’éducation comme des bibliothécaires qui évoluent dans le cadre du paradigme majoritaire du développement durable, l’éducation relative à l’environnement réfère à une vision très limitée de celle-ci. Cette vision évacue les questions sociales, ne peut avoir d'impact et conforte même, selon Gonzalez Gaudiano une forme de négationnisme systémique des changements climatiques.

Voici deux extraits récents du blogue d’E. Gonzalez Gaudiano . Sa réflexion porte sur ce qu’il observe de son université au Mexique mais pourrait fort bien se référer aussi à ce qui se passe mondialement dans la majorité de nos institutions, y compris nos bibliothèques (ma traduction) :

  • 24 août 2021 :

"/.../  la durabilité a presque toujours été abordée comme un signifiant modernisateur du discours institutionnel, mais sans être réellement mise en pratique. /.../ Le concept dominant de durabilité que l'on peut observer dans la plupart des projets publics se limite à la durabilité environnementale. En d'autres termes, bien qu'en théorie elle soit considérée comme une dimension qui articule les aspects du maintien de la qualité de l'environnement et de l'intégrité des écosystèmes avec ceux de l'équité sociale et économique, on continue à penser que la durabilité se réfère uniquement aux aspects environnementaux.

Avec cette façon de voir les choses, la durabilité devient une approche restrictive qui ne permet pas de développer des mesures appropriées contribuant réellement à prévenir, atténuer et corriger nos problèmes réels. Les problèmes environnementaux ne sont pas seulement écologiques, ils sont aussi socio-environnementaux.

Pour cette raison, ce qui est généralement fait dans les établissements d'enseignement supérieur à cet égard se limite à promouvoir la gestion écologique du campus, par la gestion des déchets, l'aménagement paysager, l'eau et parfois aussi l'énergie. Non pas que ces actions soient superflues ; bien sûr que non. Mais réduire la portée d'une politique de durabilité à la mise en œuvre de ces seules mesures revient à appliquer un modèle pédagogique de réalisations minimales, qui ne tente même pas d'analyser les causes profondes des problèmes qui leur sont associés.

C'est ce qui s'est passé dans notre université de Veracruz au cours des dix dernières années, depuis que le plan directeur pour la durabilité a été approuvé. Les efforts nécessaires n'ont pas vraiment fait l’objet d’investissement au niveau du budget et de la politique académique pour évoluer vers une université durable, qui rayonne de manière exemplaire dans la société au sens large /…/

Il y a eu une peur du changement, de la confrontation avec les traditions disciplinaires, souvent dépassées, ainsi qu'avec les coutumes et les habitudes institutionnelles qui résistent à l'innovation, car elles sont considérées comme des menaces pour les niches de travail et les zones de confort. Dans l'équilibre "Tradition et Innovation", la tradition a pesé beaucoup plus lourd ces huit dernières années ; mais pas celle qui est un héritage à honorer, mais la mauvaise tradition, celle qui nous fait rester soumis à un modus operandi inefficace, paroissial, et à une conception de l'université hors du champ de la pertinence sociale et dépassée »

  • 6 juillet 2021 :

« Au cours des trente dernières années, le concept de durabilité a occupé un espace croissant dans la vie économique, politique et sociale. Cependant, il s'agit d'une notion tellement ambiguë qu'elle peut signifier pratiquement n'importe quoi.

L'origine la plus connue du concept vient du développement durable, proposé par le rapport Brundtland en 1987, mais face au flot de critiques qu'il a suscité, la durabilité (viabilité) a commencé à être séparée du développement et à prendre un sens différent.

Pour résumer très brièvement, les critiques du développement durable étaient principalement orientées vers l'association de deux notions jugées antagonistes (développement et viabilité), ce qui générait un oxymore. Aussi, parce que le développement durable a été rapidement métabolisé par le statu quo, perdant ainsi son potentiel de transformation socio-environnementale.

Le développement durable (DD) et la durabilité ont tous deux généré des pressions pour être intégrés dans les systèmes éducatifs. Plutôt le DD car il est soutenu par des agences multinationales comme l'UNESCO, mais aussi par l'ONU dans son ensemble. Par exemple, il y a les 17 objectifs de développement durable, une proposition dans laquelle chaque objectif est indépendant des autres et même antagoniste ; contrastez, par exemple, l'objectif 8 sur le travail décent et la croissance économique avec l'objectif 13 sur l'action climatique. Si le premier est atteint, le second est impossible à réaliser.

Mais l'un des problèmes de l'intégration de la durabilité dans le système éducatif, et plus particulièrement dans l'enseignement supérieur, est qu'elle nécessite de modifier les profils socioprofessionnels à des degrés divers, ce qui génère diverses formes de résistance au sein des programmes diplômants.

Par conséquent, les programmes de durabilité se limitent généralement à modifier certains domaines liés à la gestion du campus (espaces verts, approvisionnement en énergie et en eau, tri des déchets, achats écologiques, etc.), mais les fonctions essentielles d'enseignement et de recherche restent inchangées.

En d'autres occasions, des centres ou des instituts sont créés, ou de nouveaux cursus orientés vers ces objectifs, mais les options dites traditionnelles restent les mêmes, offrant tout au plus une matière optionnelle sur le sujet.

Comment est-il possible que dans une université comme celle de Veracruz, il n'y ait pas suffisamment d'options de premier et de deuxième cycle pour assumer un véritable engagement institutionnel face à ce grave problème ? Où sont les avocats spécialisés dans l'environnement, par exemple ?

La durabilité de l'éducation implique un changement de paradigme qui, s'il n'a pas lieu, reste une proposition rhétorique, une déclaration de bonnes intentions qui ne sont pas mises en pratique.

C'est ce dont regorgent de nombreuses universités, qui se prétendent vertes pour se vendre, mais évoluent dans une ambivalence où la majorité de leurs diplômés n'ont aucune idée de ce qu'est une évaluation de l'impact environnemental, une gestion des déchets dangereux, une étude des risques ou un programme d'éco-citoyenneté ou d'éco-féminisme. »

Référence sur le sujet citée par M. Gonzalez Gaudiano dans sa conférence du 13 octobre 2021 :

Henderson, J., Long, D., Berger, P., Russell, C., & Drewes, A. (2017). Expanding the Foundation : Climate Change and Opportunities for Educational Research. Educational Studies: Journal of the American Educational Studies Association, 53(4), 412‑425. http://dx.doi.org/10.1080/00131946.2017.1335640

Résumé :

Le changement climatique causé par l'homme est un défi mondial majeur. Contrairement à d'autres disciplines et domaines, la recherche en éducation en général, et les fondations éducatives en particulier, n'ont encore accordé qu'une attention limitée au changement climatique. L'éducation est essentielle pour aider l'humanité à atténuer le changement climatique et à s'y adapter, et les chercheurs en éducation travaillant dans diverses traditions disciplinaires et méthodologiques et dans un large éventail de contextes de recherche doivent s'engager dans ce défi des plus pressants. Nous soutenons que le domaine a besoin d'un nouvel engagement envers une forme de justice éducative adaptée à l'ampleur du défi auquel nous sommes confrontés. Nous abordons cette lacune en examinant la pensée actuelle sur les dimensions humaines du changement climatique et en résumant les recherches menées dans le domaine de l'éducation au changement climatique afin d'identifier un éventail de possibilités pour la recherche et la pratique éducatives.

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Réflexions d'une bibliothécaire qui veut en faire plus pour la transition
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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 14:04

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17 octobre 2021

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30 août 2023 18:31

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