Dans son récent billet, « Protecting the Flame, Circles of Radical Shared Presence in Times of Collapse ” - toujours aussi brillamment illustré par Kelvy Bird dont je me permets encore de diffuser ici le travail avec reconnaissance - Otto Scharmer acte une conscience mondiale de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes collectivement plongés tout en faisant la synthèse de réponses possibles. Participant à de nombreuses instances mondiales, Il y constate l’appréciation commune qu’il y a aujourd’hui :

1) une accumulation de faits témoignant qu’un effondrement est en cours

2) une incapacité à répondre à ces faits par incapacité à avoir une conversation partagée sur ce qui se passe

3) En association à ces 2 premiers points, un pic mondial de problèmes de santé mentale.

Comme l’indique une des commentatrices du billet, constater que cette prise de conscience, vécue intimement, se produit aussi à l'échelle mondiale est « étrangement réconfortant ». Reconnaître publiquement que ces pensées et sentiments associés nous habitent est en effet le premier pas salutaire sans lequel rien ne se peut. Il serait si bon de le généraliser le plus vite possible au-delà de ces think-tank mondiaux... : Non, il ne s’agit pas ou plus d’accompagner la transition mais bel et bien de vivre tant bien que mal la mort d’une civilisation et espérons-le, la naissance d’une autre.

Pour O. Scharmer, dépasser l’état dépressif lié à la sortie progressive de notre état de déni ouvre – enfin ! – une réelle opportunité, une ouverture, une brèche salutaire vers une autre étape, qu’on peut espérer plus féconde (note 1), et qu’il formule comme suit : « La perception profonde et la co-créativité (« Deep sensing and co-creativity ») c’est-à-dire «  réussir à rester dans le moment présent, en maintenant fermement le regard, puis lâcher prise (de l'ancien) pour permettre l'émergence de nouvelles possibilités. » Procéder ainsi conduirait souvent à de nouvelles façons radicales de collaborer et de co-créer tout en agissant à partir d'une conscience partagée de l'ensemble.

Cette invitation me conforte, moi et d’autres, à continuer de mon mieux à « protéger la flamme » pour un possible renouveau dans la tempête. « Protéger la flamme », comme on tient la bougie dans une main, et que l’on protège la flamme avec l'autre - en la tenant très près du cœur ».

Je ne suis pas la seule à tenter de mon mieux ce genre d’exploration, « bougie près du cœur à la main ». À elle toute seule, l’existence de « Passerelles/Projet collectif » témoigne éloquemment que nombreux sont ceux et celles qui sont ainsi à l’œuvre au Québec. Et, oui, je peux maintenant moi aussi témoigner, qu’une attention plus soutenue à ce qui se passe réellement en moi-même et dans mon milieu de vie, donne, après plus de 2 ans d’efforts, certains « résultats » : nouvelles voies à explorer, rencontres aussi inattendues que prometteuses qu'il vaut de faire fructifier pour ma communauté de vie et moi-même.... La marche est cependant bien haute et le découragement guette à chaque pas. Nous sommes tous et toutes bien nu-es et isolé-es dans cette ultime épreuve douloureuse et d’autant plus sidérante que nous avons toujours davantage conscience que nous contribuons toujours individuellement et collectivement à la créer et qu’il s’agit là d’une affaire bien inégale poursuivie sans remords ou presque depuis plusieurs siècles…

Dans son billet, O. Scharmer prend le point de vue d’un observateur martien qui nous regarderait aller aujourd’hui, nous les humains qui nous armons jusqu’aux dents pour combattre un ennemi exterieur alors que celui-ci est surtout interne, nous qui dotons encore nos déjà très coûteux systèmes de santé en nouvelles solutions techniques qui persistent à attaquer uniquement des symptômes, nous qui avons si bien divisé le travail pour satisfaire nos rêves de productivité que nous ne savons plus comment coordonner nos efforts… Ce martien constaterait le « décalage étonnant entre la forme et la fonction des institutions qui sont censées soutenir le bien-être de nos citoyens » et n’aurait pas de mal à conclure que pour combler ce fossé, ces pauvres humains devraient « se reconnecter à leur aspiration et capacités humaines profondes de développement intérieur et de vie en harmonie avec leur planète et avec les autres ».

L’article propose plusieurs outils (note 2) et informations utiles dont l’existence de l’intéressant « World Ethic Forum ». L’invitation de ce nouveau groupe va comme suit : « La terre est notre maison et notre raison de vivre. Ensemble, nous jouons la musique de la vie. Voulez-vous nous rejoindre ? ». Le groupe partage les principes suivants :

  • Nous comprenons la production et la consommation de nourriture comme un travail partagé par toutes les espèces pour rendre la biosphère plus fertile. Ce "travail pour la vie" accroît la diversité. Il rend les paysages plus beaux et procure du plaisir à tous.
  • Nous concevons la production économique comme faisant partie de la productivité de la biosphère, et ne la dirigeons plus contre notre vitalité partagée.
  • Nous concevons l'éducation comme aidant les gens à approfondir leur vitalité en synergie avec tous les autres êtres et comme aidant à apprendre à nourrir des relations porteuses de vie.
  • Nous limitons le développement économique, en abandonnant l'objectif d'augmenter le produit national brut et en orientant l'économie vers l'extension des biens communs de la vie partagée, de la créativité et de la connaissance.
  • Nous créons un système juridique qui traite les non-humains comme des sujets à part entière.
  • Nous faisons de la décision politique une activité de routine susceptible de renforcer la vitalité.
  • Nous encourageons l'imagination culturelle et la recherche scientifique pour explorer de nouvelles façons de créer l'expérience d'être pleinement vivant et développer de nouveaux domaines culturels comme contribution des humains à la productivité du cosmos.
  • Nous cultivons la spiritualité comme moyen inné de se connecter à l’essence d'un monde créatif et porteur de vie.

Il n’est pas bien difficile d’y adhérer, n'est-ce pas ? Alors allons-y résolument et de préférence en nous serrant les coudes.

Note 1 : Sur la fécondité potentielle du passage par le désespoir total, et l’importance d’embrasser pleinement cet état plutôt que de se jeter à corps perdu dans de vaines actions supposément correctrices voir aussi cette inspirante conversation vidéo entre Bayo Akomolafe et Toni Spencer « Que faire quand il n'y a plus d'espoir ? ». Les millions de personnes qui ont subi dans leur chair la condition de vaincus, puis d’esclaves, puis de colonisés, puis de « développés », ont bien évidemment une longueur d’avance sur la compréhension qu’il est futile d’espérer échapper par l’espoir et l’action à l’injustice sociale et la violence sur plusieurs générations sans transformations profondes, sans emprunter le chemin de traverse du fugitif, sans sortir du connu.

Note 2 : Parmi ces outils proposés par Scharmer l'action collective à partir d'une conscience partagée (Collective Action from Shared Awareness, CASA) et l’outil associé des objectifs de développement intérieur ( Inner Development Goals , IDG).

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Réflexions d'une bibliothécaire qui veut en faire plus pour la transition
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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 11:17

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9 septembre 2022

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28 août 2023 13:34

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