Aller du bord de l'exclusion : Conditions d'application et effets de l'approche de proximité (entretien)

Cette note résume des concepts soulevés lors de la 2e phase du processus de recherche-action « Aller du bord de l'exclusion » effectuée par COSMOSS entre 2013 et 2015, dans le but de proposer des moyens et outils pour mieux rejoindre les personnes vulnérables et éloignées des services de soutien.

 

Afin de favoriser la mise en place de stratégies pour favoriser l'atteinte des personnes vulnérables par une approche de proximité, des conditions d’application ont été mises en évidence. Tout d’abord, il y a l’importance de créer un lien de confiance avec les personnes puis de l’entretenir. Ce qui implique d’être à l’écoute des personnes dans un premier temps, puis des besoins des personnes et enfin du milieu. Ce dernier point suppose le développement de liens de partenariat dans la communauté.

Le fait de disposer d’une marge de manœuvre organisationnelle dans le travail est également facilitant pour aller rencontrer les personnes, adapter les interventions et créer des stratégies innovantes. L’approche de proximité implique pour les intervenants d’avoir une philosophie basée sur le respect des individus, ainsi que de posséder des caractéristiques liées au savoir-être, permettant d’oser être créatif et expérimenter. Enfin, il est important dans une démarche comme celle-ci de savoir faire face aux défis et de persévérer dans ses stratégies.

 

Créer un lien de confiance

La création de liens de confiance est une condition propice à l’actualisation d’une approche de proximité. Pour construire la relation de confiance, les intervenants évoquent notamment la nécessité de prendre en compte les vulnérabilités des personnes dans les interactions avec elles, de porter attention aux jugements et de soigner l’accueil. Ces personnes sont fréquemment des « gens blessés », souvent « seuls », qui peuvent alors devenir « méfiants » : « ils s’isolent ». Dans certains cas, « ce sont des familles, des personnes qui ont tellement été stigmatisées […] qu’elles ne veulent plus se mêler au monde […] », développant par conséquent un réflexe « d’autoprotection ».

En continuité avec la nécessité de considérer les vulnérabilités des personnes, des répondants insistent sur l’importance de porter attention aux jugements qui pourraient émerger lorsqu’ils interviennent avec ces dernières :

💬 « Ils m’ont invitée, et j’ai eu le droit d’aller, parce que j’ai pas de préjugés, ils l’ont pas senti en tout cas ». (Entrevue 13)

💬 « Des fois, les gens disent : “comment est-ce qu’on fait pour aller chercher le monde?”. Les gens, ils ont besoin d’être accueillis. Accueilli, c’est un ben beau mot, mais des fois, c’est pas facile parce que quand je vais accueillir les personnes, j’accueille les gens que j’aime, généralement on accueille les gens qu’on aime, qu’on reçoit bien, on fait attention. Mais accueillir quelqu’un qui est pas facile à accueillir, c’est pas simple ». (Entrevue 15)

💬 « Faut vraiment voir l’intégration comme un moment important, et pas nécessairement juste bonjour, je t’explique la démarche, et voilà ». (Entrevue 9)

 

Entretenir le lien de confiance

En outre, lorsque les intervenants bénéficient de la confiance des personnes, ils peuvent contribuer à canaliser leur colère lorsque celles-ci se trouvent aux prises avec un changement de situation imprévue telle qu’une séparation de couple, une maladie ou une perte d’emploi, et qu’elles doivent s’adresser aux services pour recevoir de l’aide :

💬 « J’amène la personne à être en mode réflexif, et à se mettre dans une posture que ça peut êtrequelqu’un qui peut m’aider, et que j’ouvre des portes. C’est un peu ça mon travail quand je lesenvoie vers l’extérieur ». (Entrevue 13)

 

Être à l'écoute des personnes

Être à l’écoute des personnes permet non seulement de détecter leurs difficultés, mais d’en déceler la gravité. Dans l’extrait d’entrevue qui suit, un répondant donne un exemple d’une situation vécue où il ne s’est pas satisfait du « ça va… » émis par une personne en réponse à sa salutation de routine :

💬 « Puis là, on jase pour me rendre compte que […] le monsieur allait prendre son auto pour se rendre à la voie ferrée, puis regarde… ». (Entrevue 15)

 

Dans un autre ordre d’idées, le fait de prendre acte des propos des personnes permet d’élaborer des programmes et des outils qui leur sont adaptés, car « si on fait nos outils à partir de ce qu’on a entendu des gens, c’est sûr qu’ils vont se retrouver dedans », de documenter les problématiques à partir du vécu des personnes qui en sont directement touchées et de centrer l’intervention sur leurs intérêts :

💬 « Non, ils ont des intérêts aussi ces gens-là. C’est pas parce que tu es à faible revenu que tu es obligé de prendre tout ce que les organisations t’offrent. […] Tu vas aller vers tes intérêts. Je pense qu’il ne faut pas avoir d’attentes. Il ne faut pas développer des activités pour les intervenants, pour qu’ils soient contents de leurs rapports d’activités. Il faut développer des activités par rapport aux besoins et intérêts des personnes ». (Entrevue 10)

 

De plus, en étant à l’écoute « des gens que l’on a en face de nous », les intervenants sont en mesure de s’adapter à ce qui se passe en réalité, au moment où ça se passe, plutôt que d’appliquerà la lettre l’ordre du jour prévu initialement, ce qui, par la même occasion, augmente la portée de l’intervention. 

 

Être à l'écoute des besoins

Prendre en considération les besoins des personnes, exprimés à voix haute ou détectés grâce à une présence attentive, permet d’intervenir au moment adéquat, de cibler la nature des besoins et d’ajuster l’intervention en conséquence. 

Par ailleurs, en demeurant à l’affût des besoins, les intervenants peuvent non seulement évaluer la pertinence d’implanter un nouveau service, mais également l’utilité d’étendre une offre d’activités et de services dans tous les milieux.

💬 « La première chose, c’est de répondre à un besoin, pas de créer un besoin. Je me dis, déjà le besoin, l’analyse est faite, et de pas passer ces étapes-là. On a souvent tendance à les dépasser, mais après, de quoi on parle? » (Entrevue 11)

 

Être à l'écoute du milieu

Une lecture attentive contribue à cibler les personnes clés de la communauté. Elle permet également de discerner les dynamiques en cours et les contraintes liées aux différentes réalités, ce qui augmente l’efficacité de l’intervention.

💬 « Il faut s’adapter beaucoup à leur réalité […] T’es mieux de vraiment aller à prioriser toute leur réalité et pas avoir peur de consulter les journaux, de regarder ce qui se passe ». (Entrevue 7)

💬 « Faut vraiment que tu modélises ton approche en fonction de ce qui se fait déjà dans le milieu […] C’est bien important de positionner ce que tu es venu faire, mais il faut que tu écoutes le milieu beaucoup aussi ». (Entrevue 4)

 

Développer des liens de partenariat dans la communauté

Les liens de partenariat favorisent et permettent :

  • la mise en place et la réalisation de projets;
  • augmentent les possibilités de rejoindre toutes les tranches de population;
  • décuplent les opportunités de couvrir l’ensemble du territoire;
  • d’avoir une meilleure connaissance des problématiques;
  • de favoriser la synergie nécessaire pour rejoindre les personnes visées;
  • de multiplier les références;
  • de réduire les obstacles à l’accessibilité aux services par l’instauration de mesures adaptées.

Leurs interactions se traduisent de différentes manières et avec divers types d’organisations : contrats de service, ententes de collaboration, interactions informelles, etc.

💬 « Avec le CSSS, on a fait un protocole d’entente […] Ils étaient partie prenante du projet aussi, donc ils savaient où est-ce qu’ils s’en allaient. C’est une condition facilitante ». (Entrevue 7)

💬 « On va avoir des partenaires, caisse populaire, plein d’autres organismes, Club optimiste, les fermières, etc. Tous les gens qui peuvent nous aider ». (Entrevue 14)

 

La concertation du milieu permet en outre de développer une meilleure connaissance des problématiques et, comme le mentionne explicitement un des répondants, de mettre en place la synergie nécessaire pour rejoindre « la personne qui est très loin et très vulnérable », car « elle a besoin de tout le monde ».

💬 « Ici, l’école est vraiment importante. Quand j’organise une activité, faut que je passe par l’école.Si je ne passais pas par l’école, j’aurais pas autant de participation. Si l’école refusait de distribuerl’info, ça irait pas aussi loin, j’en suis certaine ». (Entrevue 3)

 

Par ailleurs, lorsque des organisations s’associent et que « les gens embarquent », il devient parfois plus aisé de mettre en place des solutions visant à réduire les obstacles à l’accessibilité aux services, ou à adapter les façons de faire quand la situation requiert « plus de souplesse », entre autres en matière de statistiques et de plans d’intervention.

 

Disposer d'une marge de manoeuvre

Disposer d’une marge de manœuvre en termes d’organisation du travail et d’horaire, permet d’adapter l’intervention en fonction des réalités des personnes visées, notamment en respectant leur rythme et l’étape où elles sont rendues dans leur cheminement. Une latitude en matière de gestion de temps et de tâches offre donc l’opportunité aux répondants d’adapter leur intervention en fonction des réalités des personnes visées :

Par conséquent, faire attention de ne pas « tomber tout de suite dans l’intervention » parce que « ça devient louche », prendre le temps d’installer un climat de confiance parce qu’au fond, « c’est juste ça, y’a pas de miracle », et « s’inscrire dans la durée », car les changements « c’est toujours long », et cela permet de respecter le rythme des personnes :

 

Avoir une philosophie de pratique basée sur le respect des personnes

Le respect contribue entre autres à assurer une réponse aux besoins le plus rapidement possible, à adapter l’approche selon les conditions vécues par les personnes, à reconnaitre leurs capacités et à respecter les choix qu’elles effectuent. En outre, prendre en considération les aptitudes des personnes permet d'axer l’intervention sur la valorisation de leur potentiel, d’instituer les conditions facilitant leur pleine participation dans des démarches portant sur des problématiques en lien avec leurs conditions de vie et de respecter leur dignité. 

💬 « L’important, c’est d’être présent pour la personne au moment où elle appelle, tout dépend de l’urgence aussi. Mais, en général, même si c’est pas urgent urgent, j’essaie d’y aller la journée même. Je déplace des choses dans mon horaire, et les gens, ils apprécient. Ça arrive que des personnes m’appellent à 15 h, et à 16 h, je suis chez eux ». (Entrevue 7)

 

Développer des types de pratique concordants

Développer des types de pratique concordants avec une philosophie basée sur la proximité et sur le respect des personnes incite les répondants à rejoindre le plus grand nombre possible de personnes, tous types confondus, à les aborder comme des individus à part entière et à leur offrir des espaces d’implication, de consultation et de décision où autonomisation et approche citoyenne sont mises de l’avant. 

💬 « On a toutes sortes de monde. Y’en a certains qui ont différents problèmes, d’autres pour qui c’est d’autre chose. Y’a pas de recette miracle, c’est des humains! ». (Entrevue 5)

💬 « Une [personne] qui rentre, c’est un être humain […] sans vouloir dénigrer certains réseaux. Elle n’est pas un dossier, pas un numéro, y’a pas juste à compléter un formulaire, puis on se revoit dans six mois ». (Entrevue 1)

 

Posséder des caractéristiques liées au savoir-être

Certaines caractéristiques liées au savoir-être semblent propices à la pratique d’une approche de proximité, soit :

  • être créatif;
  • innover;
  • oser expérimenter et revoir ses stratégies quand les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes;
  • associer passions, intérêts, valeurs et traits de caractère personnels avec le travail effectué;
  • se reconnaître comme un être humain agissant avec d’autres êtres humains. 

💬 « Faut essayer des affaires, faut être capable de s’évaluer. Faut être humble. Ouhhh, on a passéà côté, on essaie autre chose […] Tu vois, y’a des activités… on est en questionnement. Peutêtreque l’année prochaine on pourrait le faire ailleurs, on va tester ». (Entrevue 1)

💬 « […] prendre un risque un peu sans déroger à la rigueur ou à l’éthique, mais aller dans ce qui est pas la pratique habituelle, ce qui est pas formaté, ce qui est pas convenu. Quand on fait juste faire un pas en dehors de ce qui est la pratique conventionnée, c’est là qu’on a des réussites.Comment on va faire ça, je ne sais pas, mais faut oser aller dans cet espace-là ». (Entrevue 13)

 

Dans certains cas, la profession des répondants, ou leur implication, leur permettent d’incarner des valeurs personnelles ainsi que certains traits de caractère. Certains n’hésitent pas à mettre de l’avant qu’en fin de compte, tout le monde est « un humain comme toi »,et qu’à ce titre, toutes les personnes peuvent se prévaloir des mêmes dispositions que n’importe qui d’autre.

💬 « J’aime le monde. Je suis toujours emballée de voir comment les gens… ils en ont des idées, ilsont du potentiel ». (Entrevue 11)

 

Faire face aux défis

Tous les répondants font face à des défis dans leur pratique, en dépit des réussites qu’ils obtiennent auprès des personnes visées. Ils évoquent notamment la grandeur du territoire à couvrir, la difficulté de préserver la confidentialité et l’anonymat dans les milieux, les préjugés et la méconnaissance qui entourent leur pratique, ou qui touchent les personnes visées, et les modèles d’intervention inadaptés.

Plusieurs insistent toutefois sur la nécessité de demeurer réaliste en ce qui concerne les résultats souhaités et de laisser le temps aux processus de générer des bénéfices en dépit du fait qu’en règle générale, ils sont difficilement quantifiables.

💬 « Le but, c’est pas d’être aimé de tout le monde, c’est normal. Y’en a qu’on atteindra jamais. C’est d’y aller vraiment graduellement, situation par situation ». (Entrevue 7)

💬 « Moi, c’est plus le processus que le résultat. Quand je vois que le monde avec qui je travaille ont développé des acquis, ont développé un sens un peu plus grand de la responsabilisation, ont eu du plaisir, sont venus sans forcer la note pour assister aux rencontres ». (Entrevue 11)

 

 

En savoir plus 

🟣 Consulter l'entretien sur les stratégies indirectes pour rejoindre les personnes
🟠 Accéder à l'entretien sur les stratégies de visibilité pour rejoindre les personnes
🟢 Poursuivre la lecture vers l'aide-mémoire pour faciliter les rencontres

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Aller du bord de l'exclusion : Rapport de recherche-action
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Intégré par Eve Chevalier, le 11 décembre 2024 12:49
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Phase 2 de la recherche-action, Consultation et entretien, Concepts et stratégies

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Publication

11 décembre 2024

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16 décembre 2024 13:39

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Pour citer cette note

Véronique Larose, Emily Mack, Joël Nadeau, Anne-Sophie Thomas, Gédéon Verreault. (2024). Aller du bord de l'exclusion : Conditions d'application et effets de l'approche de proximité (entretien). Praxis (consulté le 23 juin 2025), https://praxis.encommun.io/n/7TiZ5vFDqnqxbGZz6Xom_DtGSF8/.

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