JDSO 2023  - Témoignage d’une bibliothécaire spécialisée en éducation ouverte

Crédit: Melanie Lambrick

Cette note est un témoignage de Marilou Bourque réalisé suite à sa participation à la Journée des savoirs ouverts 2023. Pour voir l'ensemble des témoignages, accédez au carnet Témoignages des participant·es à la Journée des savoirs ouverts 2023.

En tant que bibliothécaire spécialisée en éducation ouverte à l’Université Laval, pour l’instant la seule au Québec avec ce titre, je dois vous avouer que j’avais bien hâte de participer à cette journée! J’ai l’habitude d’échanger de savoirs ouverts avec mes collègues du monde de l’enseignement supérieur, mais j’ai rarement l’occasion de pouvoir entendre des perspectives différentes que celles de l’enseignement supérieur sur ces questions. Et tout est encore à construire dans ce domaine en innovation alors j’ai grandement besoin de ces confrontations d’idées! De plus, je crois aussi beaucoup à l’importance de se rassembler dans cette quête vers des savoirs plus ouverts. Quelle agréable surprise pour moi de voir tous ces gens, beaucoup de nouveaux visages, d’une richesse de perspectives, avec des objectifs et valeurs en commun. Ça m’a apporté une touche d’espoir dont j’avais besoin dans cette quête parfois exigeante.

Cette journée était aussi rafraichissante dans son format décontracté, propice à l’ouverture vers l’autre. Dans mon monde universitaire, on est habitué aux congrès et colloques traditionnels, pas toujours propices aux échanges ouverts. J’ai grandement apprécié la cohérence entre le format de l’événement et le sujet abordé. Selon mes savoirs expérientiels, le climat d’échange est un facteur important, trop souvent négligé, pour faciliter l’ouverture et ainsi, atteindre ensemble de plus hauts niveaux de qualité de savoirs.

La première présentation à laquelle j’ai assisté était celle sur les universités populaires. Ces projets tentent de contourner les barrières liées à l’élitisme des universités traditionnelles. On tente de donner une voix aux savoirs et aux personnes normalement exclus de ces institutions traditionnelles. Au Brésil, par exemple, ces universités tentent de faire de la place aux savoirs autochtones. Au Québec, on semble vouloir mettre l’accent sur les savoirs respectant le féminisme et l’anticapitalisme. Mais il reste la question de la reconnaissance de ces savoirs acquis en dehors du « système ». Pas de diplôme pour ces savoirs. Et de mon humble perspective, on semble générer un nouveau silo à côté du silo actuel. En maintenant ces silos, l’un ne peut pas s’enrichir de l’autre. Mais c’est peut-être une étape transitoire dans ce processus pour faire évoluer ce système trop fermé. J’ai aimé l’analyse de ma collègue Émilie qui liait l’apparition de ces universités populaires à des crises de société, comme si le besoin de comprendre et d’apprendre est plus fort que le moule parfois trop serré du système. Mais mon constat final en lien avec mon domaine d’expertise, l’éducation ouverte : il faut selon moi arrêter de produire les savoirs humains en mode « compétition ». Lutter contre le patriarcat par le féminisme? Lutter contre le capitalisme par l’anticapitalisme? Pour moi, ces stratégies sont incohérentes car le féminisme et l’anticapitalisme promeuvent justement de cesser les rapports de compétitions. L’humanité doit arriver à comprendre que chacun a une perspective sur les savoirs, une pointe de la tarte. Cette pointe de tarte est incomplète et elle contient une part de vrai et une part de faux. Cette part de faux est inconsciente et donc, de chercher un coupable n’aidera pas. C’est en unissant nos perspectives qu’on peut arriver à mieux percevoir le vrai et le faux et se rapprocher d’une perspective plus complète.

J’ai ensuite assisté à la présentation sur la communauté de pratique en proche aidance l’Amalgame. Je retiens de cette présentation l’importante réflexion sur la cohabitation des types de savoirs : expérientiels, pratiques et scientifiques. Mon constat ici : notre société occidentale n’accorde-t-elle pas une trop grande importance aux savoirs scientifiques VS les savoirs expérientiels et pratiques? Et si telle est le cas, d’où vient ce décalage et quels en sont les impacts? Mes hypothèses : on accorde selon moi une trop grande importance aux savoirs scientifiques car ceux-ci sont créés selon des protocoles rigoureux, dans un souci de recherche d’informations objectives… mais on commence de plus en plus à comprendre que malgré ce cadre rigoureux, celui-ci a des trous! Ces savoirs sont produits par des humains imparfaits qui ont entre autres des biais cognitifs en eux. Et pour faire un lien avec la présentation sur les universités populaires, on peut constater que les savoirs scientifiques sont produits par l’élite de la population seulement et ainsi, on tient peu compte des savoirs des exclus de la société. Et je me permets de rappeler que dans ces exclus, il y a en partie des femmes. Encore aujourd’hui, malgré la réussite des femmes dans leurs études universitaires, plusieurs études démontrent l’inéquité homme-femme dans le monde de la recherche scientifique, dont cette excellente étude : Equity for women in science de Cassidy R. Sugimoto et Vincent Larivière.

Et pourquoi accorde-t-on moins d’importance aux savoirs expérientiels et pratiques? Peut-être parce qu’actuellement, il n’y a pas de cadre assurant leur qualité et leur diffusion et tout comme les savoirs scientifiques, ceux-ci sont aussi produits par des humains imparfaits. Ma conclusion : et si on acceptait tout simplement que la quête de la qualité des savoirs passe par la complémentarité de ces savoirs? Comme déjà mentionné, chacun de ces savoirs est une perspective incomplète! Travaillons à mettre en place des mécanismes pour que tous ces savoirs puissent être unis sur un même pied d’égalité afin de pouvoir en faire émerger des savoirs de plus haut niveau! Les idées échangées pour y arriver : promouvoir la cocréation de ressources éducatives libres (REL) avec les différentes parties prenantes possédant les savoirs scientifiques, expérientiels et pratiques; augmenter les opportunités de diffusion des savoirs expérientiels (ex. : « emprunter » un humain (ex. : un astronaute, un moine, etc.) en bibliothèque pour pouvoir échanger avec lui.), mettre davantage en lumière les biais de la science pour développer notre pensée critique, etc.

Enfin, j’ai assisté aux présentations en lien avec les savoirs ouverts et l’apprentissage tout au long de la vie. J’ai adoré le format de la conversation participative, dans une ambiance de confiance et de plaisir! Les propos de l’un alimentaient les propos de l’autre. On a pu voir une évolution réflexive tout au long de la présentation et constater la complémentarité de nos perspectives. J’en retiens qu’il devrait y avoir ce genre d’activité dans tous les colloques et conférences. Il faut augmenter les occasions d’unir les perspectives pour générer des savoirs de qualité. Côté contenu, j’ai aimé l’idée que l’on apprend pour s’adapter, face aux erreurs, aux émotions, aux souffrances que l’on rencontre par exemple. Pour moi, la souffrance et les émotions font partie du langage de l’intelligence intuitive dont on parle encore trop peu. J’en retiens que nos systèmes d’éducation ont tendance à développer notre intelligence « rationnelle », mais encore trop peu nos intelligences émotionnelle, intuitive, relationnelle et spirituelle. Et pourtant, pour apprendre, nous avons besoin de l’ensemble de ces outils. Peut-être parce que ces intelligences ont longtemps été associés aux savoirs expérientiels des femmes et que trop de biais persistent encore sur ces savoirs.

En terminant, je ne peux m’empêcher d’honorer les savoirs ouverts des bibliothécaires lors de cette journée, dont cette dernière présentation de collègues de la Grande bibliothèque de BAnQ. Très fière de voir qu’on souhaite y développer un Réseau d’acteurs et actrices pour bâtir cette société apprenante dont on a tant besoin. Les bibliothèques sont selon moi un lieu inclusif important pour rassembler et coconstruire avec tous les membres de cette société apprenante.      

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Tous les savoirs ancrés dans une perspective féministe
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Intégré par Marie-Soleil L'Allier, le 20 février 2024 18:00
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Savoirs, éducations, apprentissages, Réfléchir, rechercher, Blogs et articles d'opinion
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Témoignages des participant·es à la Journée des savoirs ouverts 2023
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Intégré par Marilou Bourque, le 11 décembre 2023 10:29

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Publication

11 décembre 2023

Modification

30 avril 2024 11:29

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