On observe dans le milieu municipal la présence de nombreux conseiller·ères municipaux·ales et maire·sses qui remettent en question le modèle actuel et qui souhaitent impulser un virage démocratique et écologiste à l’échelle locale. Parmi eux, plusieurs sont des femmes et des jeunes progressistes. Il n’est pas rare que ces personnes se sentent isolées face à des défis de taille et à des cultures institutionnelles parfois rigides. Heureusement, des espaces de dialogue et de collaboration existent.
En tant que conseiller municipal dans un petit village rural, j’ai la chance d’évoluer dans un environnement dynamique et de travailler avec un conseil sensible aux enjeux, une chance qui n’est pas partagée par tou·tes. J’ai cependant rarement l’occasion de discuter avec d’autres élu·es et d’apprendre de leurs réflexions et actions. C’est donc avec enthousiasme que je me suis inscrit à l’événement « Nouvelle vague écologiste au municipal », qui a réuni 200 personnes à Gatineau le 13 septembre 2024. Je redoutais un peu que les discussions restent superficielles, comme cela peut arriver lors d’autres événements municipaux. Au contraire, les échanges ont été riches et inspirants.
Cet événement se voulait également une réflexion sur les liens entre la «société civile» et les municipalités. Le public était composé de représentants de divers réseaux (économie sociale, développement des communautés, participation citoyenne), de fonctionnaires municipaux et de chercheur·euses. Pour ma part, je me sentais privilégié de pouvoir écouter en portant mes deux casquettes, car de nombreuses réflexions ont nourri mes idées en lien avec les activités de Projet collectif.
Avant même que l’événement ne débute, on pouvait ressentir un certain plaisir chez les participant·es à l’idée de se rencontrer, d’avoir un espace de mise en commun, d’échanger et de surmonter un sentiment d’isolement généralisé. Les présentations étaient empreintes de témoignages sincères et d’un partage d’apprentissages authentique, parfois personnel et sensible, comme si les masques des politicien·nes étaient tombés, permettant de nommer sans détour les obstacles et d’exprimer des souhaits pour l’avenir.
Je crois que cet événement a permis de ressentir qu’une véritable communauté est en train de se former, en dehors des fédérations municipales. À tout le moins, cela a montré que des collaborations sont possibles. Je pense également que les participant·es sont reparti·es revigoré·es, dans un contexte où beaucoup se sentent dépassé·es par l’ampleur des défis sociaux et écologiques actuels. Plusieurs ont d’ailleurs exprimé une grande fatigue, étant « à une bataille de trop avant de devoir partir », voire une véritable détresse, alors que nous ne sommes qu’à la mi-septembre.
Tisser des liens peut certainement redonner de l’élan. D’ailleurs, Maxime Pedneaud-Jobin écrivait dans un mot de retour sur l’événement: «Quelques-uns d’entre vous nous ont même dit avoir été sur le point de démissionner ou d’annoncer que vous ne vous représenteriez pas aux prochaines élections, mais que cette journée vous avait donné de l’espoir et vous a donné envie de continuer encore un peu.»
Pour Laure Letarte-Lavoie, conseillère municipale à Sherbrooke, la nouvelle vague au municipal en est une de conviction et de vision qui porte une volonté de changement, ce qui est parfois mal vu. Faire partie d’un mouvement permet d’avancer, de donner de l’espoir, d’ouvrir les possibles.
Jonathan Durand Folco écrit quant à lui (voir son retour sur l'événement ici) : «Dans mon livre À nous la ville! (2017), je rêvais d'une sorte de réseau d'action municipale visant à accélérer la transition socioécologique et la démocratisation des institutions à l'extérieur des structures corporatistes comme l'Union des municipalités du Québec (UMQ) et de la Fédération québécoises de municipalités (FQM). Or, hier fut le premier événement politique du genre à rassembler autant d'élu.e.s d'une même "famille idéologique" à l'extérieur de de l'UQM et la FQM. Ce n'est pas rien.»
Je vous partage ici en vrac quelques notes prises au fil des présentations, ateliers et discussions, suivis de quelques réflexions.
Notes en vrac
Rôle et compétences
- 10% des élu·es municipaux·ales ont démissionné pendant le mandat en cours. Selon Maude Marquis-Bissonnette, mairesse de Gatineau, une des cause serait le manque de moyens face à l’ampleur des responsabilités.
- Evelyne Beaudin, mairesse de Sherbrooke, croit que ce manque de moyen amène le repli et la désolidarisation entre les municipalités.
- Des participant·es constatent aussi une difficulté à délimiter de manière claire le rôle des municipalités et à le faire comprendre.
- D’autres mentionnent le manque de compétences, la difficulté de s’approprier les enjeux et le manque de formation continue.
- Un climat toxique semble prendre racine dans une combinaison de causes, dont la désinformation, la haine et la complexité des dossiers.
- Pour François William Croteau, maire de Rosemont-La-Petite-Patrie, il y a également un enjeu de temps : «sur un mandat de quatre ans, on passe la première année à jeter les bases et la dernière en élections».
Politique
- Selon Evelyne Beaudin, les affrontements au municipal dépassent les tensions entre la gauche ou la droite, «ils reposent sur la conception même du rôle des élu·es», c’est un «choc de visions».
- Plusieurs soulignent le fossé possible entre les élu·es et l’équipe administrative, ainsi que les tensions que cela peut générer.
- Pour François William Croteau, l’alliance entre le maire et la direction générale est essentielle. Chaque ville a sa manière de faire et sa culture, qui peut être un levier - ou non. «Il faut danser avec la machine». Il faut communiquer nos rêves et donner du sens pour que chacun·e puisse insuffler le changement, incluant pour mobiliser les expertises citoyennes. «Si votre collectivité va plus vite que vous, vous avez réussi.»
- Paul Germain, maire de Prévost, croit qu’il peut s’installer une «saine tension».
- Selon Maude Marquis-Bissonnette, pour qui «il faut être fixe sur les objectifs mais souple sur les moyens», si une relation de confiance s’installe avec l’administration, ça donne beaucoup de force.
- Stéphane Boyer, maire de Laval, invite à simplifier les structures pour faciliter l’agilité et accélérer les changements, avec efficacité et plaisir.
- Un participant souligne que les relations avec le gouvernement provincial sont également difficiles, en raison d’une posture paternaliste et infantilisante.
Démocratie
- Certain·es insistent sur l’importance du tissu social, de l’inclusion et du vivre-ensemble comme condition essentielle à une démocratie forte.
- «Une consultation n’est pas suffisante pour créer du lien.»
- Il est important de tisser des liens de confiance et des réseaux de collaboration avant que des crises surviennent.
- La collaboration entre les élu·es et la société civile, incluant les organisations du milieu, est incontournable. Il s’agit de mobiliser les forces, les compétences et l’intelligence du milieu. Il s’agit aussi de partager les risques.
- Catherine Hamé, mairesse de Sainte-Anne-des-Lacs, croit d’ailleurs dans l’importance de bien penser les processus de consultation citoyenne, voire de se faire aider dans une telle démarche. Cela exige parfois du temps pour assurer l’acceptabilité, pour maintenir le dialogue, pour désamorcer les réactions émotives. «La flexibilité et la souplesse peuvent être vues comme une faiblesse», il faut déconstruire cette perception.
- Une personne souligne la tension entre l”urgence d’agir et l’importance de prendre le temps.
- Une participante estime que «les rêveurs, ce sont ceux qui croient qu’on peut continuer à faire comme avant»; il ne faut pas avoir peur de bousculer, gentiment, puisqu’on a le devoir de le faire et la science qui nous appuie. «On n’a pas le droit d’abandonner».
- Pour Stéphane Boyer, tout et dans l’art de communiquer et de diminuer les appréhensions. «Les gens sont d’accord avec les changement en autant que ça ne les impacte pas». Il faut fédérer les gens qui sont prêts à bouger. Il s’agit aussi de miser sur les changements progessifs, acceptés et durables plutôt que les changements drastiques qui polarisent et qui peuvent être renversés deux années plus tard.
- La faiblesse des médias locaux, l’absence de journalistes spécialisés dans le monde municipal et le manque de capacité d’analyse politique sont considérés comme des enjeux réels pour la démocratie municipale.
Réflexions
La municipalité est un « gouvernement de proximité » qui joue un rôle majeur face aux enjeux sociaux et écologiques actuels et futurs. Cependant, il est évident que ces structures doivent être repensées pour pouvoir pleinement assumer ce rôle et garantir une forte participation citoyenne. Bien qu’il existe de nombreuses initiatives inspirantes et que l’on observe des transformations culturelles à plusieurs endroits, il sera également nécessaire de réinventer le fonctionnement des municipalités.
Il faudra aussi réfléchir aux alliances avec la « société civile », comme plusieurs l’ont mentionné. Cela implique de penser aux conditions favorables au dialogue, mais aussi aux façons de gérer les tensions. De plus, il semble essentiel de repolitiser l’espace municipal.
Cet espace de rencontre, de discussions franches et de collaboration est indispensable pour l’avenir. Il est crucial de réfléchir à la pérennité de tels espaces. Le Caucus écologiste au municipal aura sans doute un rôle à jouer, tout comme Multitudes, dont le lancement a été annoncé pour novembre prochain, en conclusion de la rencontre.