Le paradigme du climatoscepticisme

Ces derniers temps, nous entendons beaucoup parler de la croissance de l’écoanxiété et de son lien avec l’alliance du pessimisme médiatique à l’inaction gouvernementale. Mais qu'en est-il de l’évolution du déni climatique ? Comment ces deux tendances sont-elles reliées, voire cumulatives ? L'OVSS s'interroge.

C’est ce thème qu'explore le webinaire « Le nouveau déni climatique - Comprendre l'évolution des narratifs sur les plateformes numériques » de la communauté de pratique en communication climatique au Québec, mené par Imran Ahmed du Center for Countering Digital Hate (CCDH).

Il est bien connu que la désinformation déstabilise l’action politique concrète. Ce phénomène ne fait que s’intensifier avec la dépendance croissante envers les plateformes de réseaux sociaux et les sites internet pour obtenir de l'information, ces dernières devenant des déterminants principaux de notre perception du monde. Ces plateformes nourrissent non seulement les théories du complot, mais en tirent des bénéfices financiers.

D’après le dernier rapport du CCDH, YouTube, par exemple, obtient 13,4 millions de dollars par an grâce aux revenus publicitaires de contenus faisant la promotion de théories complotistes sur les changements climatiques. Ces contenus prennent beaucoup d’ampleur en raison de leur nature : dans les algorithmes, les réactions (bonnes ou mauvaises) stimulent l’engagement, ce qui attire les gens sur les plateformes. La controverse devient donc un marché très profitable pour à la fois l’entreprise et les créateurs de contenu.

Les tactiques de propagation de désinformation évoluent et font évoluer les algorithmes en retour. Par exemple, la CCDH a mis en évidence un ciblage de mots liés au développement durable par de grandes entreprises dans l’algorithme SEM (marketing de moteur de recherche) de Google. Les algorithmes, en revanche, ne sont ni adaptés à cet écoblanchiment ni mis à jour – une tendance inquiétante.

La nature du climatoscepticisme évolue également : les conséquences tangibles des réchauffements climatiques rendent le déni total de son existence impossible. Là où l’ancien paradigme affirmait que les changements climatiques n’existaient pas ou que les humains n’en étaient pas la cause, le nouveau paradigme détourne cette méfiance envers les solutions de science climatique, les effets négatifs de ses conséquences, et l’authenticité des mouvements politiques pro-climat. Ce nouveau paradigme représentait 70% des contenus climatosceptiques en 2023, comparé à 35% en 2018. Il est quand même ironique de noter que cette méfiance technologique naît des technologies digitales – comme quoi, la méfiance est assez sélective.

Les liens vers les preuves s'ouvrent dans le pdf

pdf Le nouveau déni climatique CCDH, traduction par l'OVSS 2024

Ce changement de discours démontre l’utilisation de la désinformation comme moyen de retardation de l’action politique. Cette méthode représente deux des cinq « D » du mouvement « d’inactivisme » : désinformation, qui sème les graines du doute et de la méfiance ; et délai, qui cherche à retarder l’implémentation des contremesures en faisant croire que l’alarme climatique est exagérée. Les autres « D » incluent déviation, où les grandes entreprises détournent l’attention des solutions systémiques en convainquant le public que les changements climatiques ne sont pas le résultat de leurs politiques mais de l’action individuelle ; division, qui tente de créer des tensions entre militants climatiques et militants sociaux en propageant l’idée que l’action climatique nuit particulièrement aux communautés minoritaires (plus vulnérables à ce genre de désinformation) ; et enfin le doomism, la croyance nihiliste qu’il est trop tard, ce qui cultive le désespoir et rend ainsi l’action climatique futile.

Le doomism est particulièrement fort chez les jeunes, principaux utilisateurs et consommateurs des plateformes sociales tel que TikTok. Cette paralysie psychologique est due au sentiment d’incapacité d’agir tout en sachant que leur génération vivra toutes les conséquences de l’inaction, nourri par une surexposition démoralisante aux mauvaises nouvelles. Le doomism est une prophétie auto-réalisatrice : la croyance que rien ne peut nous sauver est notre condamnation.

Bien que le déni climatique ait des répercussions plus importantes sur les avancées politiques, le défaitisme a un impact direct sur le public à l’échelle exponentielle des réseaux sociaux. Comme un virus contagieux, il se propage très rapidement et est beaucoup plus difficile à contrer que le déni. Bien qu’opposé à la logique du déni climatique, il l’alimente en dérivant vers les théories du complot affirmant que les gouvernements et les organismes scientifiques minimisent le problème - et donc que les technologies sont insuffisantes et inutiles.

Contrer l’incertitude existentielle n’implique pas forcément d’augmenter le niveau de certitude, mais plutôt de cultiver nos capacités d’agir face à l’incertitude. Il est nécessaire de développer la communication comme moteur de changement, en diminuant les sentiments de désespoir (qui, nous le savons maintenant, sont contre-productifs) et de solitude. Les sentiments d’espoir et de contrôle peuvent aussi être cultivés en créant des ponts aux soutiens des communautés. Bien qu’il soit essentiel d’attaquer les barrières systémiques au changement, agir à l’échelle locale offre un réconfort bien nécessaire à beaucoup, un qui est tangible et visible.

En ce qui concerne la désinformation, il est crucial de mobiliser un mouvement intersectoriel. Les théories du complot ne satisfont jamais l’incertitude épistémique et sont favorables à l’hybridation (le rabbit hole). Le CCDH souligne l’importance d’adapter nos technologies de filtration digitale (ou au moins de limiter la monétisation de la désinformation), de tenir les grosses entreprises de tech responsables, et de cultiver la résilience digitale des secteurs à travers des formations. Le numérique est au cœur de notre société, et nous attendons avec impatience le prochain évènement de la communauté de pratique en communication climatique pour continuer d’évoluer dans nos réflexions.

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Transition socioécologique - Enjeux, leviers et stratégies
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Intégré par Léna Garreau, le 21 juin 2024 10:57
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Intégré par Léna Garreau, le 10 juin 2024 09:34

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Publication

10 juin 2024

Modification

21 juin 2024 11:31

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Pour citer cette note

Léna Garreau. (2024). Le paradigme du climatoscepticisme. Praxis (consulté le 5 novembre 2024), https://praxis.encommun.io/n/9SHnMZfkEP57sEY0ZGplqQli_68/.

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