
Un levier principal pour l'action publique vis à vis de la crise du logement c'est de fixer les règles du jeu. On peut inciter ou contraindre et éventuellement sanctionner les délinquants qui feront toujours preuve de beaucoup de créativité pour contourner les lois et en exploiter les failles.
L'augmentation de la délinquance liée à l'immobilier (offre de location frauduleuse, agent immobilier véreux, AirBnB sans permis...) est un des symptômes bien observé de la crise.
Ces règles censées nous protéger nous sont malheureusement largement inconnues en plus d'être souvent insuffisantes. Il est très difficile pour un ou une habitant-e de savoir lesquelles existent, lesquelles sont des contraintes, lesquelles sont véritablement contraignantes et surtout lesquelles sont pertinentes et efficaces vis à vis de la crise actuelle et dans le cas particulier de notre quartier.
Quand on interroge à ce propos un fonctionnaire municipal, par exemple au cours d'une consultation publique de l'OCPM, on obtient rarement une réponse détaillée et franche... ce qui fait, à tort ou à raison, qu'on a parfois le sentiment que la puissance publique ne défend pas tant que ça le bien commun. Parfois un politicien confirme lui-même cette impression :
Certains élus ne voteront jamais contre un projet de promoteur. Jamais. J’en ai même connu un qui définissait carrément son rôle comme celui de représentant des gens d’affaires. Alors que je venais d’être élu maire, un ancien élu m’a dit, en montrant du doigt un promoteur immobilier : « Ton rôle, c’est que ce gars-là soit content. » Pour eux, l’intérêt collectif passe par la satisfaction des entrepreneurs. Pour eux, le développement ne peut être qu’économique. Maxime Pedneaud-Jobin, La Presse, 2 mai 2024.
Qu'on ignore généralement la loi et son impact réel est donc un premier problème qui fait toute la validité de l'action des "Comités logement" présents dans chaque arrondissement de Montréal. Ceux-ci interviennent le plus souvent en mode urgence et ont si fort à faire en ce moment - avec bien peu de moyens - qu'il leur est très difficile de faire beaucoup d'éducation populaire préventive à ce sujet.
Ce problème de méconnaissance générale des règles semble aggravé par le fait qu'une partie d'entre-elles semble changer en fonction des arrondissements. Si, dans un arrondissement, on arrive à mettre en place un règlement véritablement protecteur, il semble que ce n'est pas pour autant que ce règlement sera transferé à un autre arrondissement.
Ceci sans parler du fait que, vestige sans doute de son passé colonial, le droit au Canada servirait davantage la propriété que les personnes.
Le droit d'occuper l'espace public quand on a aucun autre choix, serait lui aussi, à examiner de près tant il semble mis à risque.
Certains règlements sont aussi et parfois inutilement contraignants voire totalement obsolètes et contre-productifs. Par exemple le fait d'interdire la création d'un nouveau logement à même un logement existant s'il n'est pas accompagné d'une place de parking supplémentaire.
Bien sûr, avoir une réglementation plus efficace pour juguler la crise est un levier majeur et les citoyen-nes que nous sommes pourraient être bien plus vigilants à ce niveau. La crise du logement est mondiale et certains pays et municipalités qui s'y sont confrontés avec succès peuvent contribuer à nous alerter et nous inspirer.
L'histoire du droit au logement est bien sûr, elle aussi, pleine d'enseignements.
DESCRIPTION DU LEVIER ET EXEMPLES
Levier 5 : Les règles : incitations, sanctions et contraintes
Encadrement de la location et de la reprise de logements :
- Obligation à tous les propriétaires de 8 logements et plus d'inscrire le montant des loyers au registre des baux. Ce registre sera mis en place progressivement de 2023 à 2027
- Comme en France, mettre en place un plafonnement des loyers et des prix de vente. En principe, le gouvernement établit le loyer maximum pour chaque territoire et les propriétaires ne peuvent le dépasser, même entre les baux. La stabilisation du loyer détermine le pourcentage permis de la hausse pour une durée déterminée (38/87).
- Sur le modèle de plusieurs grandes villes des USA, Inspection proactive des loyers et de l'état des logements. Les propriétaires sont obligés d’enregistrer leurs unités locatives dans un système qui fournit la base des inspections périodiques (9/87)
- Mettre en place un contrôle et un suivi obligatoire des évictions forcées pour empêcher la prolifération des évictions et reprises frauduleuse et malveillantes
- Comme à New Westminster, une ville de la banlieue de Vancouver, obliger le propriétaire à fournir une habitation alternative pendant la durée des travaux et à garantir le droit de retour dans le logement sans augmentation du loyer. Le propriétaire contrevenant risque de perdre sa licence commerciale. Dans cette ville, les rénovictions sont passés de 333 de 2016 à 2018 à zéro depuis 2019.
- Comme en Colombie Britannique, Si un propriétaire veut mettre fin à un bail pour effectuer des rénovations majeures, exiger qu'il demande au TAL un permis de possession. Le TAL décidera si la terminaison du bail est la seule façon de terminer ces travaux (36/87).
- Moratoire sur les reprises de logements en période de faible taux d'inoccupation
- Règlement sur les logements vacants (Ville de Montréal, 24 octobre 2023)
- Escouade AirBnB (projet pilote de Ville de Montréal sur 3 arrondissements dont le-Marie. Les citoyen-nes peuvent appuyer l'action de surveillance via leur Comité logement.
- Interdiction complète des plateformes de type d'AirBnB car les mesures d'encadrement de l'hébergement touristique sont facilement contournables faute notamment de surveillance
- Comme à San Francisco, mettre en place un cadre législatif clair pour contrôler ce type de location. Le règlement peut toucher la durée maximale de location durant l’année, séparer la location des chambres et celle des unités complètes, exiger un permis, etc (34/87).
Encadrement de la vente de logements :
- Sur le modèle de Washington, "Right of first refusal", permettre au locataire d'un immeuble de négocier en premier avec le propriétaire de l'immeuble qu'il habite quand le propriétaire décide de le mettre en vente. Il peut être combiné avec des aides financières pour la mise de fonds (8/87).
Encadrement de la construction et logements neufs:
- Mieux contrôler les entreprises immobilières qui ont reçu des subventions publiques. Par exemple, gel des exemptions de taxes et autres subventions aux entreprises immobilières qui ne rénovent pas leur logements.
- Lorsque les promoteurs choisissent de ne pas respecter les règles de la municipalité, ils doivent compenser par une somme permettant le rachat et la réparation de logements existants afin d'augmenter le parc de logements sociaux
- Retirer la clause F du bail qui permet d'augmenter sans limites le loyer d'un logement neuf pendant les 5 premières années de sa location. Le projet de loi 37, déposé le 25 mai 2022, propose de réduire de 5 à 3 ans la période d’adaptation. On pourrait facilement retirer cette clause du bail (35/87).
- "Prime de densité pour les bénéfices et les services communautaires négociés". Il s'agit de permettre à des promoteurs de construire plus dense que les limites quand ils acceptent en contrepartie de financer eux-mêmes une part des services requis par cette densification. (44/87).
Règles existantes dont la modification est demandée :
- Comme Toronto, réduire drastiquement, voire éliminer les ratios minimaux de cases de stationnement pour voitures (30/87).
- Réviser les plans d'implantation et intégration architecturale (PIIA) pour les rendre plus flexibles pour la densification (31/87).
- Designer des zones de grande densification (Le Groupe d’étude sur le logement abordable en Ontario propose une densification de droit de 6 à 11 étages dans les rues utilisées par le transport en commun) (32/87).
- Comme le projet de modification du règlement d'urbanisme de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal en cours en oct. 2024, faciliter la construction de bâtiments de logements sociaux ou communautaires sur un groupe de plusieurs emplacements (terrains de stationnement, immeubles, cour de matériel...) achetés à cet effet par la ville en dérogeant aux obligations du règlement d’urbanisme qui les encadraient précédemment et notamment : usage d’habitation ; nombre de logements supérieur à 8 ; nombre d’étages supérieur à 3 ; occupation d’un local situé au rez-de-chaussée par un logement.
Lorsque la puissance publique est en défaut, les citoyen-nes peuvent prendre leurs responsabilités. Comme nous le rappelle l'historien montréalais François Saillant (par exemple dans l'ouvrage "Lutter pour un toit, 12 batailles pour le logement au Québec"), lorsque le droit au logement a réellement avancé c'est que plusieurs personnes se sont mobilisées pour que ça soit le cas.
Il faudrait vérifier jusqu'à quel point l'action collective est peu encouragée par nos institutions. Si certaines villes reconnaissent les associations de locataires, après la création de la Régie du logement, le contrat entre propriétaires et locataires a été traité comme un processus individualisé.
Voici quelques actions citoyennes visant à inciter, sanctionner et contraindre mises en oeuvre dans les quartiers centraux de Montréal.
- Ligue des vétérans squatteurs (1946-1948)
- Lutte non-violente des locataires contre les propriétaires abusifs qui ne réparent pas leurs logements par exemple y compris par une grêve des loyers versés à une fiducie.
- Occupation de bâtiment public, de friche ou de bâtiment privé
- Recours judiciaire du Comité Sauvons le Mont-Carmel, pour défendre les droits des locataires de cette RPA menacé-es par les tentatives d'éviction de l’entreprise dirigée par Henry Zavriyev. Toujours en cours.
- Camp de protestation contre le démantèlement des camps d'itinérants au Parc des Faubourgs (1er-5 juillet 2024)