1. Pourquoi articuler un récit sur l’ESS et la transition ?
Dans plusieurs pays, dont la France, on constate un écart entre les actions concrètes de l'économie sociale et solidaire (ESS) et la façon dont elles sont présentées comme projets. Cet enjeu de décalage est souvent attribué à l’absence de récit pour capturer l’attention et expliquer la portée de ce qu’on fait.
Les récits
Ce sont des narrations qui décrivent des expériences, des événements ou des visions du futur de manière engageante. Ils sont souvent utilisés pour présenter des situations concrètes et des défis que rencontrent les ESS. Ils servent également à créer une vision en racontant des histoires sur des futurs possibles ou souhaitables. Dans ce cas, les récits peuvent inspirer et motiver les gens à soutenir des actions ou des changements. Ils ont aussi le pouvoir d'éveiller des émotions, ce qui peut renforcer l'engagement et la solidarité autour des causes socioécologiques.
Il est nécessaire de développer des récits pour l’économie sociale et pour la transition car, actuellement, les personnalités politiques ont de la difficulté à exprimer clairement le projet politique de l’ESS et à montrer son importance et sa pertinence face aux grands enjeux économiques et sociétaux actuels. Les économistes et parlementaires considèrent parfois l'ESS comme un sujet secondaire, ce qui limite son intégration dans les politiques publiques.
Cependant, des efforts sont en cours pour améliorer la visibilité de l’ESS. Le Labo de l’ESS a décidé de mieux comprendre les enjeux liés au récit. L'organisme a notamment effectué un sondage auprès d’une vingtaine d’économistes pour évaluer leur compréhension et leur intérêt envers l’économie sociale. Un travail similaire est en cours de réalisation auprès de parlementaires pour comprendre pourquoi les politiques publiques n’intègrent pas suffisamment l’ESS. Sur le plan politique, on constate des évolutions intéressantes. Au niveau régional, les collectivités locales, telles que les régions et les communes, intègrent de plus en plus l'ESS dans leurs stratégies de développement économique. Des élus (vice-président régional ou adjoint au maire en charge de la politique de l’ESS) sont spécifiquement chargés de l’ESS, ce qui contribue à son développement local.
À l’échelle européenne, l’ESS gagne en importance. L’Europe a mis en place un plan d’action pour l’ESS demandant à chaque État membre de définir une stratégie nationale. L'ESS est désormais reconnue comme un écosystème économique, aux côtés d'autres secteurs industriels. Cette reconnaissance vise à soutenir l'économie locale et à répondre aux défis de la mondialisation, en favorisant des coopérations entre l’ESS et les petites entreprises locales.
Essentielles, les plaidoyers sont complexes à élaborer
Les activités de plaidoyers
Celles-ci peuvent être définies comme les efforts déployés pour influencer les décideurs politiques, les institutions et le public en faveur de politiques ou d'actions spécifiques. Elles sont souvent utilisées pour influencer les politiques publiques et suggérer de nouvelles régulations en faveur de la transition socioécologique. Cela peut inclure des actions comme la rédaction de lettres, la participation à des campagnes, ou la pression sur les élus. Les plaidoyers cherchent à mettre en avant des solutions spécifiques ou des initiatives qui doivent être mises en œuvre pour atteindre des objectifs socioécologiques. Enfin, ces activités visent également à éduquer et à mobiliser le public autour de causes spécifiques, en diffusant des informations et en encourageant la participation active à des initiatives de transition socioécologique.
- La représentation et les discussions avec les pouvoirs publics peuvent être relativement complexes à orchestrer en France, en raison de 1) les réalités historiques décrites précédemment et 2) en raison de la nature très variée des structures de l’ÉSS (les associations, les coopératives, les mutuelles et les fondations). Chaque type de statut peut avoir son propre plaidoyer, ses propres enjeux en plus de ses propres domaines d’activités (par exemple, les associations sportives, les banques coopératives, les coopératives agricoles, les coopératives de travailleurs, etc. n’auront pas les mêmes vues ou les mêmes intérêts). Cette réalité rend la notion de plaidoyer collectif complexe.
- L’échelle du plaidoyer est un autre facteur à prendre en considération: il y a le plaidoyer au niveau national, au niveau européen et aussi au niveau régional (qui est très important en France, notamment en raison du rôle des collectivités).
- Enfin, il faut considérer la relation avec les institutions. Quand la place donnée à l’ESS au sein du gouvernement est significative (par exemple, le fait d’avoir un ministre en charge de l'économie sociale), cela permet d'avoir plus de résultats. Même si la représentation politique de l'ESS a varié dans le temps, le Conseil supérieur de l’Économie Sociale et Solidaire (CSESS) est un organe qui coconstruit certaines politiques avec le gouvernement. Composée d’une quarantaine d’individus issus de l'économie sociale, des ministères et des collectivités locales, sa mission est d’assurer le dialogue entre les acteurs de l’ESS et les pouvoirs publics nationaux, et de consolider, avec les différentes familles de l’ESS, la dynamique de développement de l’activité et des emplois du secteur.
Différentes échelles de plaidoyers chez ESS France
Un des défis pour réaliser des plaidoyers efficaces est la capacité à rallier des organisations et des réseaux très différents autour de thématiques communes. Malgré la diversité des membres, ESS France mise sur la transversalité pour resserrer les rangs au sein des adhérents. Par exemple, une sensibilisation sur les modèles de gouvernance de l’ESS permet de montrer les éléments communs entre une coopérative et agricole, une mutuelle, etc. Force est de constater que, souvent, à taille égale, les problèmes sont les mêmes. La pertinence de s’associer prend tout son sens aussi au niveau européen. Par exemple, bien qu’il n’existe pas de statut associatif au niveau européen, les associations s’aperçoivent qu’en s’affiliant à l’ESS elles peuvent obtenir plus de choses. Miser sur les dénominateurs communs est donc une stratégie payante. ESS France articule trois niveaux de plaidoyers :
- Le premier niveau de plaidoyer consiste à coordonner les plaidoyers des membres concernant des sujets spécifiques – par exemple, les questions fiscales, des prises de position concernant l’évolution de statuts juridiques, des projets de fiscalité ou de finance.
- Le deuxième niveau de plaidoyer s’articule au niveau des métiers ou filières : c’est le cas des entreprises qui œuvrent en transition socioécologique et qui ont parfois besoin de soutien. Pour faciliter cette dissémination, ESS France a notamment outillé les chambres régionales et organisé des rencontres sur l’achat social et responsable. À ce niveau, un des défis est la prise en compte de l’ESS dans les budgets gouvernementaux. Une des stratégies de plaidoyer consiste, à chaque élection, d’amener des propositions aux candidats aux élections au lieu de simplement envoyer des questionnaires aux candidats et d’évaluer les propositions que les candidats font. ESS France travaille aussi avec le Conseil supérieur de l’ES afin d’identifier des espaces de positionnement où l’ESS à un rôle significatif et/ou distinctif à jouer pour le meilleur de la société, des territoires et de l’économie.
- Le troisième niveau de plaidoyer à une portée nationale et européenne. Avant 2020, il n’y avait pas de politiques liées à l’ESS au niveau européen. Mais il y a eu depuis plusieurs années, des changements politiques importants qui ont fait évoluer les réflexions de l’UE en faveur de l’ESS :
- o La pandémie a montré la rapidité d’adaptation des structures EÉS aux besoins de la population;
o D’autres événements à teneur plus politique tels que le Brexit, la guerre en Ukraine etc. ont révélé la vulnérabilité des chaînes de valeur mondiale d’où l’importance pour l’UE de se doter - notamment au niveau de l’EC et du numérique - d'une certaine autonomie. L'ESS étant ancrée auprès des citoyens, elle est considérée comme une voie intéressante à explorer.
La Commission de l’UE s’est donc dotée d’un Plan d’action, qui pose les bases d’une définition de l’ESS au niveau européen. C’est un levier important pour affirmer la spécificité de l’ESS et pourrait permettre à l’ESS de recevoir des mesures dérogatoires pour accéder à certains marchés ou négocier des améliorations au niveau de la fiscalité, etc. Ce changement de contexte en faveur de l’ESS vient aussi de l’adoption de loi ESS dans des pays membres (Espagne, Portugal, Belgique, Grèce, Irlande, Allemagne) - tous développent activement des départements ministériels ou des plans d’économie sociale.
