Le 22 novembre 2023, Espace quartiers de Transition en Commun (TeC) et le groupe de travail « Vivre avec moins de voitures » conviaient le public à une première rencontre « Mobilité et surmotorisation dans les quartiers de Montréal » pour discuter de mobilité durable et réduction de la surmotorisation.
Le panel « Réalités et enjeux de mobilité dans les quartiers » a eu pour objectif de brosser un portrait des enjeux de mobilité dans plusieurs quartiers de Montréal. Il fut animé par Pauline Wolff (Solon), Luca Raimbault (Table de quartier Parc-Extension), Vicky St-Pierre (arrondissement de Verdun), ainsi que Francis Waddell et Tania Konicheckis (Demain Verdun).
Objectifs
Le panel a eu pour objectif de présenter les réalités et les enjeux de mobilité liés aux quartiers de Montréal, en particulier les arrondissements de Parc-Extension et Verdun.
Mise en contexte
Le panel a débuté par une introduction de la chercheuse Pauline Wolff (Solon), qui a mis la table sur le sujet. Selon elle, les enjeux de la mobilité sont nombreux et il est impossible de les généraliser. Il faut donc arriver avec quelque chose sur quoi on a de l'emprise ; il faut éviter d'aborder la question de façon systémique, mais de façon concrète. De plus, il faut agir à l'échelle des quartiers puisqu'on peut y faire quelque chose et que l'on y a un minimum de pouvoir.
Automobilité
On constate que le monde brûle et l'idée est que « les transports sont responsables » est présente en raison de leurs impacts sur l'environnement (imperméabilisation des sols, impact sur la qualité paysage, multiplication des infrastructures, etc.).
Une des raisons de la surmotorisation est qu'on a hérité d’un système, l'automobilité, dans lequel, depuis 120 ans, on investit collectivement de façon massive dans l’automobile. Il ne s'agit pas tant d'un choix individuel que de la nécessité de composer avec ce contexte qui configure l'espace qui nous entoure et ses infrastructures (réseaux des rues, des échangeurs, etc.). Il faut donc déconstruire l'idée de l'efficacité de l'automobile. Le système la rend efficace puisque tout y a été pensé pour la rendre ainsi, entraînant notre dépendance face à celle-ci. En parallèle, la vente des automobiles est synonyme de croissance et de bien-être économiques. Pourtant l’utilisation et la production de trains ou de bus devraient aussi l’être. Il s'agit en fin de compte d'une question de valeurs : bien souvent, la possession d'une automobile est culturellement associée à un certain niveau de vie.
L'automobile, un choix ?
En 2019, au Canada, le transport représentait la deuxième plus grande dépense des ménages (la première en termes d'importance était le logement). Les ménages dépensaient donc plus pour le transport que pour l’alimentation. Compte tenu de ces faits et devant les limites posées par l'autmobilité, a-t-on vraiment le choix en matière de mobilité ? La possession d'une automobile est souvent associée à des privilèges, mais les pôles d’emploi et les quartiers résidentiels sont souvent déconnectés.
Cette idée d'un choix supposé génère de la polarisation sur les questions de la mobilisation : c’est du quotidien, en lien avec le corps, qui impose un comportement autre qui n’est pas toujours choisi ; c’est intime comme question et touche à des considérations à propos de la qualité de vie, la sécurité des familles, la beauté, etc.
Pour sortir de l'impasse, il faut trouver ce sur quoi on peut s’ancrer ensemble ! On veut se sentir bien, en sécurité et que ce soit beau partout, pas juste dans les quartiers privilégiés.
Parc-Extension
Portrait de Parc-Extension
Suivant la présentation de Pauline Wolff, Luca Raimbault, de la Table de quartier Parc-Extension, a brossé un portrait de la situation dans son arrondissement. Le dossier de la mobilité et le développement des pistes cyclables à Parc-Extension ont suscité de nombreuses réactions médiatiques dernièrement. La venue de pistes cyclables provoque des réactions polarisées et vives chez les citoyen·nes du quartier.
Le quartier est très bien situé, puisque central, et desservi par 2 stations de métro. Paradoxalement, il s’agit aussi d’un quartier enclavé. Historiquement, il abrite des classes populaires et, encore aujourd’hui, le territoire est marqué par des indicateurs socioéconomiques similaires. Il accueille aussi aujourd’hui, de par sa situation géographique centrale, de nombreux anglophones et différentes diasporas culturelles.
Enjeux de mobilité
La mobilité durable et la création de nouvelles pistes cyclables sont des enjeux du quartier. Les arguments en faveur de cette démarche, surtout en contexte de crise climatique, se heurtent à plusieurs critiques. Celles-ci concernent notamment l'impact de la création de plus de pistes cyclables sur les places de stationnement disponibles pour les automobilistes. La question de la sécurité routière et de la cohabitation entre les automobiles, les vélos et les piétons pose aussi problème.
D'un point de vue social, une critique est que peu de gens font du vélo. De ce fait, dédier plus d'espace aux cyclistes reviendrait à favoriser une minorité au détriment de la majorité de la population. L'enjeu de la gentrification est sous-jacent de cette critique, l'ajout de pistes cyclables étant perçu comme de la gentrification verte par des groupes citoyens, ce qui laissait présager la conflictualité à ce sujet entre plusieurs citoyen·nes.
Un autre enjeu est le manque de consultation auprès des citoyen·nes qui se produit parfois. Il serait donc utile qu'il y ait de la concertation sur tous ces enjeux, afin de surmonter la difficulté à faire rencontrer les « pour » et les « contres » et mettre tout le monde ensemble pour discuter de ces enjeux.
Verdun
Vicky St-Pierre de l'arrondissement de Verdun, ainsi que Francis Waddell et Tania Konicheckis de Demain Verdun ont ensuite présenté la situation dans l'arrondissement de Verdun.
Portrait de Verdun
Vicky St-Pierre, agente de développement dans l'arrondissement de Verdun, a débuté la présentation en brossant un portrait d'un arrondissement varié qui se compose de trois « verduns » : un coeur dynamique, un quartier résidentiel et l'Île-des-Soeurs.
L'arrondissement est aussi caractérisé par son ancienne planification urbaine sur le modèle de la cité-jardin où existe beaucoup de fluidité entre les vélos et les automobiles. Verdun comporte beaucoup d’espaces verts et est un point de convergence de plusieurs pistes cyclables où cohabitent plusieurs types de cyclistes (cyclistes sportifs versus familles).
Le quartier fait face à plusieurs enjeux :
- La piétonnisation estivale de l'avenue Wellington pose des enjeux d'accessibilité universelle, de livraison, alors que des citoyen·nes espèrent que l'avenue demeure piétonne à l’année.
- En lien avec la piétonnisation, l'augmentation de l'utilisation des ruelles vertes pour les déplacements rend la cohabitation entre les voitures et les citoyens plus difficile.
- Afin d'assurer la sécurité des cyclistes, il faut réaménager les saillies des trottoirs.
- En tant que lieu de convergence, bien que le territoire soit souvent pensé en termes d'arrondissement, il faut aussi travailler en collaboration avec les arrondissements limitrophes.
Demain Verdun
Francis Waddell et Tania Konicheckis ont ensuite présenté Demain Verdun et ses initiatives. Demain Verdun est un mouvement citoyen, local, optimiste et non partisan. Sa mission est de sensibiliser le public à la transition socio-écologique en faisant le pont entre les organismes qui y travaille et en mettant en lumière les projets citoyens qui la soutiennent.
Les initiatives de Demain Verdun s'articulent autour des pôles de la solidarité, de la nature et de l'économie. Parmi ces initiatives, il y a la « tasse bleue », le « Mégo Fest », LocoMotion, le partage de remorques fabriquées par les citoyen·nes, l'initiative « pimp ta remorque avec le Bâtiment 7 (B7) » et des campagnes jeunesse emploi autour de l'utilisation du vélo.
Les initiatives en matière de mobilité prises par Demain Verdun répondent aux enjeux auxquels le quartier fait face. Plusieurs inégalités socioéconomiques existent dans le quartier, alors que des réalités différentes se côtoient. 1 Verudnois·e sur 3 n'a pas de voiture dans un quartier desservi par 3 stations de métro (Lassalle, de l'Église, Verdun), alors que d'autres, situés dans la portion résidentielle, possèdent une maison et un stationnement. Le plein droit à l'automobile et aux espaces de stationnement se heurte aux enjeux de la pollution et de chaleur extrêmes.
Les alternatives se réalisent de façon progressive (incrémentalisme), ce qui se heurte à la crise. La notion de convivialité semble dépassée. Pour citer Catherine Dorion, le politique doit shaker la cabane et faire autrement. Le politique et les institutions ne sont pas les seuls responsables, mais tout ne doit pas reposer sur les épaules des citoyens.
Malgré tout, y’a de l’espoir !
Période de questions
Le panel s'est conclu par une période de questions :
- Q.1. Pas simple de changer nos comportements. La Ville de Montréal a pris le taureau par les cornes pour faciliter l’accès aux écoles ; il faut maintenant que les jeunes puissent rouler jusqu’à l’école ; on a aussi oublié ce qu’était la marche. Quels seraient les moyens pour stimuler les déplacements des enfants vers l’école ?
- Réponse de Vicky St-Pierre : l’école peut aussi amplifier ces comportements avec des cours pour apprendre à faire du vélo. Il faut apprendre aux jeunes pour que l’option existe.
- Q.2. La voiture est intéressante en cas de pluie, pour la protection personnelle, c'est un lieu de refuge ( contre le harcèlement, etc.).
- Réponse de Pauline Wolff : la voiture est l'extension de chez soi; une extension du salon (chaussette, musique, etc.).
- Témoignage : En Oregon, à Portland, modèle à part modale de l’usager du vélo en contexte de crise du logement et des opiacés, les gens utilisent davantage la voiture, parce qu’ils ont peur des gens dans la rue. Il y a un lien entre la situation sociale et le sentiment de sécurité.
- Comité « Justice, Équité, Diversité, et Inclusion » de Transition en Commun y portera une attention particulière.
- Q.3. Aux abords des écoles, les cyclistes sont avertis et des rues sont fermées (Ahuntsic - Saint-Benoît), ce qui a été testé avec le Centre d'écologie urbaine de Montréal - CEUM). l'automobile est rapide et facile à utiliser (pas efficace). Pourquoi ne pas la rendre difficile et lente pour inciter les gens à prendre d’autres moyens de transport et influencer positivement la mobilité active ?
- Réponse de Vicky St-Pierre : même si on veut les rendre difficiles, certaines règles et normes du Ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTQ) ralentissent ce changement. On doit passer à travers certains jalons pour y arriver.
- Q.4. Les pistes cyclables avec des bollards, ce n’est pas suffisant, ça prend des pistes sécurisées. Les voitures sont stationnées dans les pistes cyclables ; il faut dire aux arrondissements qu’on veut des pistes cyclables protégées.
- Q.5. Ces 120 ans d’investissement pour l’automobile, ne se sont-ils pas fait par une frange de la population ? Qui a influencé la situation, qui voulait ça ? On va à contre-courant, mais ne sommes-nous pas la frange majoritaire ?
- Réponse de Pauline Wolff : Documenter la mise en place de l’automobile ne s’est pas déroulée sans anicroches. On a oublié ce contexte historique.
Pour jouer sur les valeurs ; publicité ! Véhiculer les bons messages et arrêter que l’ensemble de la société valorise l’automobile.
- Réponse de Pauline Wolff : Documenter la mise en place de l’automobile ne s’est pas déroulée sans anicroches. On a oublié ce contexte historique.