Un répertoire d'articles qui fait réfléchir sur les probabilités d'une transition écologique

Passerelles vient de publier un répertoire d’articles qui traitent essentiellement de l’impact de la COVID-19 sur la triade qui intéresse tout particulièrement les membres du TIESS, à savoir l’économie, la société et l’environnement. J’ai lu une bonne partie des articles en question. Nombre d’auteurs se disent optimistes car ils jugent le moment propice à une transition écologique plus ou moins radicale. Les autres se montrent en revanche sceptiques.  L’actualité, du moins au Québec, peut-elle nous aider à les départager? Pour l’instant, tout dépend des faits que l’on retient.

DES TENDANCES EN APPUI AUX OPTIMISTES

Dans le domaine économique, de multiples changements se dessinent pour appuyer la vision optimiste. Je citerai comme exemples : l’accroissement de la production et de la consommation de proximité, la réduction du transport surtout aérien (tourisme de loisir et d’affaires (dans ce dernier cas lié au télétravail), l’innovation sociale et organisationnelle qui mobilise un nombre inusité de communautés, d’entreprises et d’organismes. Les fonds d’investissement durable grossissent. Le rendement relatif des énergies renouvelables ne cesse de s’améliorer. Un comité ministériel fédéral est chargé de concevoir un plan de relance économique visant à accélérer le virage vert du pays. L’aide fédérale accordée aux très grandes entreprises est déjà conditionnelle à leur engagement dans la lutte aux changements climatiques. Le comité québécois responsable d’une nouvelle stratégie industrielle semble partager des préoccupations similaires.

Dans le domaine social, la réduction des inégalités apparaît comme la priorité absolue. À ce sujet, les initiatives novatrices et solidaires foisonnent. Le TIESS en témoigne à plus d’un titre. Les gouvernements (surtout le fédéral) ont été généreux jusqu’à maintenant (suffisamment pour que soit relancée l’idée d’un revenu minimum garanti).  Le sort des itinérants a été pris en charge de manière inédite.

D’AUTRES CONFORTENT LES SCEPTIQUES

Mais d’autres phénomènes nous rendent sceptiques. Ainsi, on nous fait remarquer que deux ans après la crise des subprimes, la pollution atmosphérique a dépassé les niveaux antérieurs. De plus en plus d’entreprises privées s’associent aux mouvements écologiques. Pour passer du discours aux actes, elles devraient avoir commencé à modifier leurs procédés de production. Or, on en entend peu parler. Elles adoptent davantage des réflexes de survie. Le secteur financier semble essentiellement préoccupé par l’évolution de la Bourse ou les faillites anticipées. Par ailleurs, des auteurs prédisent un déclassement de l’environnement parmi les priorités gouvernementales.

En termes d’équité sociale, un auteur mentionnait que la fortune des milliardaires américains s’était accrue au cours des derniers mois. Et les ménages, surtout les plus vulnérables, subiront encore longtemps l’impact d’une baisse de leurs revenus : pertes d’emploi, prêts, oui, mais remboursables, voire faillites. Il leur sera encore plus difficile d’adopter des comportements éco-responsables (auto électrique, consommation locale et bio…) parce que plus coûteux. La réduction du budget des organisations philanthropiques amplifiera le problème.  Le nombre de décrocheurs risque d’augmenter en réduisant leurs chances d’accéder à un statut socio-économique plus enviable.

LA PAIX SOCIALE, UNE QUESTION NÉGLIGÉE

Une question moins bien couverte transcende les préoccupations antérieures, à savoir la paix sociale. D’une part, la solidarité, l’entraide, la valorisation des travailleurs de première ligne (en grande majorité des femmes), une confiance renouvelée envers nos dirigeants politiques sont à mettre au bilan des tendances positives. À l’opposé, des médias ont relevé une hausse des incivilités, des comportements racistes, de la violence et des fausses nouvelles dans les médias sociaux, des déviances dans la sphère publique (d’autant plus prévisibles que les normes du vivre-ensemble se multiplient). Plus les individus doivent maîtriser une information complexe et volatile avant d’agir, plus des groupes vulnérables risquent d’être largués, notamment les analphabètes complets ou fonctionnels, les immigrants ne parlant ni français, ni anglais… À l’échelle internationale, la grogne des pays du Sud ne peut que s’accentuer car ils se sentent abandonnés, non seulement par la fermeture des frontières aux migrants mais aussi sur les plans financier et sanitaire. Les théories du complot, la vente d’armes personnelles, les positions politiques extrêmes gagnent en popularité, et pas seulement aux États-Unis. La déliquescence des organisations internationales multilatérales, couplée à un nouvel équilibrage géopolitique (favorable à la Chine mais défavorable à l’Europe), amplifié par le comportement de Trump, ne présagent rien de bon pour une planète malgré tout interdépendante.

POINT DE CONVERGENCE : L’ENGAGEMENT DE TOUS LES ACTEURS

Outre la durée des mesures sanitaires (parce qu’elles ancrent les nouvelles habitudes), les auteurs se rallient pour affirmer que l’ampleur des changements à venir dépendra  de l’engagement de tous les acteurs : citoyens, consommateurs, entreprises, communautés et gouvernements. L’intervention de ces derniers est particulièrement cruciale puisqu’Ils sont les seuls à être responsables du Bien Commun. Or les gouvernements du Québec et du Canada n’ont pas encore annoncé leurs couleurs pour l’après-pandémie (sauf celui du Québec qui dit renoncer à des hausses d’impôt). Ce n’est pas un reproche puisqu’ils ne savent pas encore s’il y aura une deuxième vague d’ici la fin de l’année. Mais ils ont créé d’énormes attentes qui ne pourront pas être satisfaites. Citons celles des industries du tourisme, du transport, de la culture qui veulent sortir du marasme actuel; celles de l’agroalimentaire, de la fabrication d’équipements sanitaires, du commerce de détail qui réclament un soutien financier pour se réorienter; ou encore les municipalités et les organismes communautaires en difficultés financières. Sans oublier les investissements massifs que le gouvernement du Québec devra consentir notamment en santé physique et en santé mentale. Même si la situation budgétaire des deux paliers de gouvernement est enviable en termes relatifs, ces derniers vont nécessairement opter pour des engagements mitoyens entre l’austérité budgétaire pure et le niveau actuel de soutien, intenable à long terme. L’accroissement de l’endettement public va donc augmenter, au détriment des générations futures.

PISTE D’ACTION

Pour accroître la vraisemblance de la posture optimiste, il faudra une prise de parole citoyenne généralisée et consensuelle afin de contrebalancer la puissance des lobbies économiques. Une prise de parole qui promeuve une société plus égalitaire, plus juste, plus frugale, plus respectueuse de la nature. Et qui se rappelle malgré tout qu’une majorité d’électeurs considère depuis longtemps l’emploi comme l’une des premières, sinon sa première priorité, la crise ne faisant que renforcer leur conviction.

Rappelons en terminant que l’après-pandémie ne signifie pas de franchir un mur à une date précise du calendrier. Les gouvernements ont un peu de temps devant eux pour ajuster leurs budgets et leurs politiques. À court terme, ils vont nécessairement prioriser les urgences sanitaires, économiques et sociales. Mais ils devront sans tarder envoyer des signaux clairs en faveur d’un monde plus écologique.

Hélène P. Tremblay, 5 juin 2020


Commentaire importé

Judith Oliver - 17 juin 2020 à 16:20 :
Très intéressant, Hélène, je me permets de partager avec le conseil scientifique

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17 juin 2020

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5 mai 2023 12:05

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