"Ces personnes sont là pour répondre à vos besoins"

Mères au front fait quelque chose qui me ravit : encourager ses membres à réclamer des choses aux bibliothèques. Oui, on peut faire beaucoup plus facilement qu'on ne pense des suggestions d'achat aux bibliothèques ou leur demander d'organiser une conférence sur un enjeu environnemental local. Mais on pourrait demander bien d'autres choses aux bibliothèques et pas seulement, d'ailleurs, aux bibliothèques municipales.

C'est tout l'enjeu de ce Collaboratoire et maintenant du projet "l'accélérateur" d'ouvrir au maximum le domaine des possibles. Pour ce qui est du seul volet "Ressources partagées" - il y en a sept autres à explorer - on peut aussi demander aux bibliothèques :

  • AUTRE CHOSE QUE DES LIVRES : l'achat d'autres types de documents édités que les livres bien sûr (des films, des revues, des BD, des jeux, des zines...) et même des humains à emprunter en tant que "bibliothèque vivante" ;
  • DES OBJETS : On le sait encore trop peu, les bibliothèques prêtent aussi de plus en plus des graines pour soutenir la biodiversité et l'agriculture ainsi que des objets très variés : sacs à dos de découverte du quartier préparé par des citoyens comme à la bibliothèque Marc Faveau, matériel de plein air dans plusieurs bibliothèques à Montréal mais aussi divers outils. Le prêt d’instruments de mesure permettant de faire de la science participative ou citoyenne (outils de mesure de la pollution atmosphérique, sonore ou lumineuse par exemple) serait à développer. Des programmes existent en effet par ailleurs comme par exemple le programme « Ambassad’Air : Les Rennais se mobilisent pour la qualité de l’air ! " (un équivalent à l'UQAM existe -t-il ?) auxquels les bibliothèques se prêteraient très bien.
  • PLUS DE MISE EN VALEUR, D'ANIMATION ET DE MÉDIATION : Encore trop peu de bibliothèques ont une collection spéciale identifiée tel que recommandé dans la littérature (« eco-shelves », « green corners ») dans la bibliothèque réelle mais aussi virtuelle. Les efforts de conseil de lecture (note 0), d'animation mais aussi de médiation autour de ces collections seraient aussi largement à développer. En matière d'animation (note 1), on peut associer par exemple aux sélections de documents des objets de nature à éveiller la curiosité comme un jeu fait de bâtonnets en bois invitant à deviner quels aliments à la plus grande empreinte carbone. Ces présentations de documents peuvent être aussi associées à des évènements à thème. En matière de médiation (note 2), des activités pour rechercher de l’information sur la nourriture que l’on consomme au regard des critères qui fondent les 3N-J (nu, non-loin, naturel, juste) seraient notamment à réclamer dans toutes les bibliothèques scolaires. Traditionnel de la formation à l’éducation relative à l'environnement (ERE) et proposé pour introduire aux « problématiques environnementales locales, régionales et biosphériques », ce seul exercice de recherche d'information, acquis et diffusé dans l’ensemble des bibliothèques - y compris pour sensibiliser le personnel - aurait sans doute un énorme impact.
  • DE l'AIDE À LA PRODUCTION ET À LA PROMOTION DE DOCUMENTS OU D'INFORMATIONS PROPRES AU TERRITOIRE sous forme de production de podcasts, de vidéos, de pages wikipédia mais aussi de photos, de cartes, de sélection de sites collaboratifs ou de formations en ligne d'importance. En effet l'information très locale est bien plus difficile à trouver qu'on ne le pense et c'est tout à fait dans les cordes des bibliothécaires d'aider les citoyens à trouver ou produire cette information. La production de cette information est de plus elle-même source d'apprentissages transformateurs (Note 2bis).
  • UN PLUS GRAND REPÉRAGE ET MISE EN VALEUR DES CARTES QUI EXPRIMENT LA RÉALITÉ DE LA SITUATION LOCALE : Le potentiel éducatif des cartes est bien repéré par la recherche en éducation relative à l'environnement. Il faudrait explorer en urgence comment les bibliothèques pourraient contribuer à les valoriser davantage. Elles existent localement - au fond de nos universités - mais sont encore bien trop confidentielles.
  • D'ASSOCIER LES GENS À LA SÉLECTION : Au-delà de la capacité à traiter de l’information hyperlocale, il faudrait idéalement étudier davantage comment sont prises les décisions relatives à la mise en service de nouveaux objets ou services de documentation et d’information. Il semble en effet en première analyse que cette offre ne soit pas la même d’un pays à l’autre, en milieu urbain ou rural, etc. Ces choix font-ils l’objet de partenariat extérieurs ? Répondent-ils à des besoins exprimés par les membres de la communauté ? Ces besoins sont-ils explorés de façon organisée ? Les services et objets ainsi choisis le sont-ils sur la base de leur capacité à soutenir les apprentissages ? Une étude préalable des services semblables offerts par ailleurs dans la communauté est-elle réalisée pour ne pas risquer de faire double emploi ?
  • DE MIEUX REPÉRER ET FAIRE CONNAÎTRE LES AUTRES INTIATIVES DE PARTAGE D'INFORMATIONS (comme des groupes Facebook pour faire connaître un quartier). Aujourd'hui et même si elles soutiennent parfois le partage et l’échange entre citoyens, les bibliothèques ne semblent pas si souvent se faire le relais d’autres initiatives de partage, en ligne ou autre, présentes par ailleurs dans la communauté ce qui laisse penser que cet aspect de leur offre n’est peut-être pas intégré jusqu’au bout en tant qu’intention transformatrice claire et partagée. Cette intention serait sans doute à réactiver.
  • DE CONTRIBUER A COMPENSER LES INÉGALITÉS DE REPRÉSENTATION : Il y a aussi des enjeux à mieux documenter et faire exister dans l'espace public ce qui n’est pas exprimable ou bien représenté par la culture dominante. Par exemple, et comme le souligne Mères au front, le point de vue des femmes mais aussi celui d'autres cultures minoritaires. Ainsi le bibliothécaire Edgardo Civallero (ref 1) appelle les bibliothèques à " contenir tous les aspects identitaires et culturels du continent " et à devenir « un espace pluriel ouvert à de nombreux matériaux, de nombreux formats, de nombreuses connaissances et de nombreuses identités ». « Un espace dans lequel toutes les voix et tous les discours sont consciemment récupérés. Le résultat devrait être une bibliothéconomie qui fournit des outils adéquats pour faire face à cette "nouvelle" réalité. Un tel résultat devrait permettre d'autres classifications de la connaissance, d'autres mesures du temps, d'autres formats que le livre. Le résultat devrait être un lieu où il n'y a pas de hiérarchies, où il n'y a pas de savoir "supérieur" et "inférieur", mais plutôt un savoir unique, pluriel, multiforme et riche ."
  • DE SAVOIR MIEUX AFFRONTER LES QUESTIONS VIVES. Lorsque l'information remet en cause le modèle économique dominant ou touche à des questions controversées (les « questions vives » de l’ERE), cette information est classiquement plus difficile d’accès. En ERE, la modalité « information » renvoie à plusieurs préoccupations :
    • L’information représente le contenu d’un message, l’objet d’une communication (note 3). Et la question pour la bibliothèque est de ce point de vue : quels messages importants ai-je à livrer à ma communauté, sur la réalité de son espace de vie en particulier, basé sur quelles informations et sources fiables ?
    • Elle fait référence bien sûr à l’acte de s’informer bien connu des bibliothécaires mais aussi à l’acte d’informer c’est-à-dire la capacité à construire un message à partir de données, d’en favoriser l’accès, de le transmettre, de le diffuser. Et la question est alors pour une bibliothèque de vérifier comment elle renforce cette capacité chez ses membres pour qu’ils et elles puissent être davantage des producteurs que des consommateurs d’informations. Plusieurs moyens d’y parvenir sont déjà proposés à cet effet en bibliothèques : ateliers de création de zines, atelier wikipédia, médialab etc. Il s’agit de les valoriser et de les étendre (par exemple en éduquant aux sites d’observations collaboratives pour la biodiversité par exemple) dans le cadre de l’ERE.
    • Enfin la question de l’information, associée à l’idée de pouvoir et de pouvoir faire, est au cœur de différents enjeux : accès, validité, complétude, angles d’approche critique, éthique, légale… Face à ces enjeux, il n’est pas rare que des bibliothèques reculent ou s’égarent. La question est alors de savoir affronter ces enjeux surtout lorsqu’il s’agit d’informations locales importantes que les citoyens ne devraient pas ignorer. De ce point de vue des liens renforcés entre types de bibliothèques (accès à des chercheurs via les bibliothèques universitaires) et la facilité à croiser les sources et les disciplines et bien sûr le partenariat peuvent constituer des atouts importants à exploiter davantage.

On le voit, sur cette seule facette des "ressources partagées"!, il y aurait beaucoup à réclamer à nos bibliothèques et nous pouvons le faire d'autant plus facilement qu'il s'agit là de pratiques recommandées dans toutes les écoles de bibliothécaires.

Notes et références

Ref 1 : Edgardo Civallero. (2021, 27 mai) : A library where many libraries fit (IV) [Billet de blogue]. https://medium.com/letters-from-a-librarian-in-the-south/a-library-where-many-libraries-fit-iv-ded5b6057895

Note 0 : La mise en valeur des collections par les suggestions de lecture est bien entendu pratiquée par les bibliothèques de multiples façons. Il est Intégré ou non à l'offre de service de référence à distance (ex Quoilire.ca et l'onglet Découvertes de BAnQ) et associé ou non à l'évènementiel. Ces suggestions sont particulièrement intéressantes quand il s'agit de conseiller des oeuvres de fiction comme ce billet de la bibliothécaire à BAnQ Esther Laforce publié le 22 avril 2020 à l'occason du Jour de la Terre.

Note 1 : En termes éducatifs, « l’animation » est la mise en place de conditions donnant l’envie d’apprendre et de stimuler l’engagement actif des participants.

Note 2 : L’interprétation/médiation fait habituellement référence aux activités éducatives des parcs et des musées, des institutions mieux connues par la recherche en ERE que les bibliothèques. Il s’agit dans le cas des musées et des parcs de donner du sens aux réalités en constatant qu’il ne suffit pas d’observer les objets ou de les nommer mais qu’il faut aussi les situer en contexte, les relier et mettre en évidence l’univers de significations dans lesquelles ils s’inscrivent.

Note 2bis : Les bibliothèques aident aussi la production d'oeuvres de fiction par des ateliers divers ou des sélections de ressources . Ce volet est également particulièrement important dans le domaine de L'ERE pour son pouvoir transformateur. Je le rapproche pour ma part d'un autre mandat des bibliothèques que le mandat "ressources partagées", le mandat "Berceau de la démocratie" qui contribue à conforter la réflexivité, la prise de responsabilité et la mise en mouvement (agency).

Note 3 : La communication, une des modalités du réseau notionnel de l’éducation, a ses contraintes que les bibliothécaires ne devraient pas ignorer. Parmi les recommandations utiles lorsqu’on veut communiquer en ERE : S’appuyer sur un diagnostic de la population cible, considérer la diversité culturelle et comportementale, chercher à impliquer l’individu, favoriser les réseaux interactifs et surtout donner le temps, l’évènementiel n’ayant de sens que lorsqu’il est intégré à une stratégie de long terme. Mes propres observations semblent indiquer que les bibliothèques publiques sont notamment très inconstantes dans leurs célébrations.

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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 14:00

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Publication

16 décembre 2021

Modification

7 août 2023 09:22

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