Corail vivant, corail mort ?

Un des premiers articles écrit sur le thème « Bibliothèques et éducation relative à l’environnement » (note 1) date de 1971, le tout début de la prise de conscience de la fragilité de notre monde. Cet écrit d’Howard Armstrong, un bibliothécaire scolaire de l’État de Washington est d’une surprenante actualité.

Plaidant pour un rôle central de la bibliothèque aux côtés des enseignants, il conseille de mettre en place une section spéciale mariant les disciplines, les supports et les genres – dont la fiction - mais surtout offrant une documentation audio-visuelle sur l’environnement local quitte à rechercher du financement externe pour être capables de l'offrir. Il insiste aussi sur la nécessaire réflexivité qui vient avec l’exercice : « Vous allez devoir réfléchir à votre propre approche. Vous êtes maintenant un éducateur environnemental, que vous en preniez conscience ou non, car l'environnement est tout autour de vous et vous enseignez sur l'environnement qui vous entoure et qui entoure vos élèves. L'état de l'environnement indique qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la façon dont vous avez appris à percevoir et à vous comporter par rapport à l'environnement, et dans la façon dont vous apprenez aux autres à apprendre et à se comporter dans leur environnement aujourd'hui. »

Mais surtout, et c’est l’objet de cette note, il procède à une réflexion fort intéressante sur l'importance de l’environnement de la bibliothèque lui-même. « Nous devons cesser de considérer les étudiants comme des produits sortant d'une chaîne de montage appelée éducation, cesser de supprimer leur individualité et leur unique inspiration créatrice, et commencer à faire remonter ces qualités positives à la surface si nous voulons que la prochaine génération apprécie ce qu'il reste de beauté dans le monde, étape indispensable à sa préservation. Une bonne école est une école humaine ; un bon environnement est un environnement agréable. Ce n'est que dans un tel environnement que l'éducation relative à l'environnement peut se développer. ». 50 ans après, nous en sommes toujours à plaider pour des bibliothèques et des écoles belles, vivantes et accueillantes à la vie (note 2) : Il y a indéniablement une pédagogie du lieu.

Vouloir intervenir en éducation relative à l’environnement c’est donc, aussi, prendre soin de la qualité de l’espace offert par la bibliothèque, bien l’observer et réfléchir à ce qu’il dégage y compris parce que le médium ne peut qu’influer sur le message (note 3).

H. Armstrong note trois points de vigilance dans son article : le traitement adéquat du bruit ; le caractère agréable du mobilier joint à la présence d’œuvres d’art et de plantes; la qualité et l’intérêt de l’offre dans cet espace. Tous ces critères ne servant à rien en l’absence d’un bibliothécaire sympathique et serviable. Je suis d’accord avec Armstrong mais aussi Lankes, sur la préséance sur tous les autres du critère "équipe épanouie et sympathique". Il est si essentiel qu’il fera sans doute l’objet de bien d’autres interventions sur cette plateforme.

Mais restons-en pour cette fois aux critères plus matériels. Quels sont les ingrédients d’une bibliothèque vraiment vivante et génératrice de vie, cet indéfinissable que l’on ressent immédiatement dès les portes franchies ? Il y a en effet des bibliothèques à tous les stades d’un récif corallien vivant à mort. Comme cette photo tirée du documentaire « David Attenborough, une vie sur notre planète » (2020) - qui représente le blanchiment des coraux consécutif à l’augmentation des températures observé dès les années 90 alors que la biodiversité était déjà réduite de moitié par rapport au début du siècle - une bibliothèque toujours belle est parfois morte ou proche de l’être.

Je rajouterais aux 3 ingrédients indispensables mentionnés par Armstrong : l’espace laissé aux humains, la liberté d’intervenir dans cet espace et son caractère ludique et facilitateur d’exploration active ; la possibilité de manger et de boire, la transformation constante de ce milieu associé paradoxalement au sentiment de confort et de familiarité, l’accueil du désordre et de tous ces critères indispensables à l’engagement et l’expérimentation par le faire dont témoigne de plus en plus la recherche (note 4), la capacité à inspirer et se relier au tout du paysage et des points cardinaux, l’aménagement qui soutient la mise en relation et la conversation... La recherche de ces critères m’obsédait lorsque je travaillais comme consultante pour le programme de construction de nouvelles bibliothèques à Montréal ( mon compte Pinterest de l’époque en témoigne). Nous devons avoir ces critères à l’esprit lorsqu’on se préoccupe d’éducation relative à l’environnement. Ils recouvrent en les dépassant les critères examinés par exemple par un document d’analyse comme Utile, utilisable, désirable .

Aujourd’hui, le secteur de l’éducation redécouvre la valeur unique et irremplaçable pour le développement et l’apprentissage d’une exploration, libre mais aussi en bonne compagnie, d’un milieu naturel. Je crois que les équipes de bibliothèques gagneraient à connaître ce que dit la recherche à ce sujet (Note 5). Je crois qu'elles devraient s’attacher à améliorer délibérément les espaces qu’elles offrent pour les rendre plus compatibles avec la vie.

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Note 1 : Armstrong, Howard (1971). The Role of the Library in Environmental Education. Sedro-Woolley Project Report No. 4.

Note 2 : Poiré, A-S. (Le Devoir, 24 août 2019). L’impact de l’environnement sur l’apprentissage .

Note 3 : Voir par exemple, Dacheux E. (2004). La communication : éléments de synthèse .

Note 4 : Yaprak Hamarat (2019). « l’esthétique de l’engagement écologique. L’impensé des politiques environnementales pour construire le commun »

Note 5 : On pense notamment au travail de Louise Chawla. Par exemple son intervention de 2018 à Stockholm « Engaging children ad youth as agents of sustainibility »

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Réflexions d'une bibliothécaire qui veut en faire plus pour la transition
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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 16:15

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17 novembre 2020

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17 février 2023 09:12

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