Cette note est un témoignage de Alexis Curodeau-Coderre réalisé suite à sa participation à la Journée des savoirs ouverts 2023. Pour voir l'ensemble des témoignages, accédez au carnet Témoignages des participant·es à la Journée des savoirs ouverts 2023.
Ce matin-là, c’est en roulant sur une plaque de glace que je me suis dit «ça y est, je fais du vélo d’hiver». Seul sur la piste cyclable, les joues roses j’ai pédalé sur Rachel jusqu’au parc Lafontaine où j’ai abandonné mon Bixi clouté à une station presque vide. Il est quelques minutes avant 9h du matin et dans l’air frais, on ne croise que des chiens tirant leur humain au bout de leur laisse. Je m’amuse à imaginer que ce sont les chiens qui promènent leur humain. Ces derniers ont l’air accessoires, au bout de la laisse, alors que les chiens se croisent et se saluent d’une reniflade ou s’échangent des nouvelles en inspirant les urines des uns et des autres, comme on s’échange un texto. Est-ce que, pour un chien, les subtilités aromatiques de l’urine constituent un savoir? En tout cas, les quelques humains sans laisse que je croise ont presque tous la même destination que moi: la Journée des savoirs ouverts.
En entrant au café Robin des bois rempli de gens, un chaleureux enthousiasme se succède à la fraîcheur tranquille du parc. Alors qu’un enfant me tend une jolie carte postale, j’aperçois déjà avec plaisir des connaissances. On se lance des sourires et des saluts à travers la foule.
Après avoir déposé mon manteau au vestiaire, je rejoins Audray Fontaine, coordonnatrice du comité savoir de Transition en commun et de l’axe savoir du Campus de la transition écologique. Elle me présente son installation de collecte de données: un espace à l’entrée de la grande salle du bâtiment. Des affiches, un tableau, des billes et un arbre de fils de laine qui me fait penser à un arbre de Noël, mais où la forme de l’arbre se dégage de l’intervention d’une multitude de gens. Chaque brin, d’une couleur différente, est une information partagée ludiquement. Ludique est le mot clé: le jeu est au cœur de la création d’un savoir.
En attachant avec satisfaction mon brin à l’arbre de collecte, je suis surpris de n’avoir jamais poussé la réflexion plus loin. C'est à dire celle de la place du jeu dans la communication. Bien sûr, le jeu est une base fantastique pour déployer une intelligence collective et créer. C’est aussi une manière de vulgariser des savoirs, mais je comprends mieux maintenant à quel point le jeu peut être une manière fabuleuse de transformer une collecte laborieuse en un moment plaisant et surtout en quelque chose d'accessible pour une grande pluralité de gens.
Après avoir parlé à Audray, puis à d’autres connaissances, je prends un café et m’installe pour écouter le mot d’ouverture de la journée des savoirs ouverts et j’éclate de rire quand, avec une délicieuse surprise, nous découvrons le muffin géant que l’équipe de Projet collectif avait pris soin de garder secret.
Cet absurde muffin géant m’amène à poursuivre ma réflexion sur le jeu: quels types de savoirs ne peuvent être partagés qu’à travers le jeu? En allant chercher ma part de muffin, me vient en tête que le jeu (comme s’était amusé à le montrer Wittgenstein) nous rappelle combien le langage n’a pas qu’une forme fixée à jamais: le langage est un jeu qui dépasse le règne des mots et de la grammaire normative. Surtout: le langage dépasse les limites du document. Par le fait même, jouer c’est une manière de communiquer à tous et toutes, peut importe les parcours de vie, sans le caractère intimidant de la conférence ou l’aspect opaque du rapport scientifique. Le jeu mêle les cartes des règles du langage et des normes sociales. Pourquoi, en effet, un muffin d’un kilo ne pourrait pas exister? Pourquoi un sondage ne pourrait-il pas être un arbre de ficelles? Soudainement, dans notre esprit une chose de plus est possible.
Le concept de jeu nous rappelle que le langage est fondamentalement polymorphe, insaisissable et surtout ludique. À une époque où le savoir est simultanément rationné, financiarisé, noyé et politisé, le jeu apparaît presque comme une manière radicale de partager.
Un savoir ouvert se partage à travers une note Praxis, mais ça peut aussi être une vidéo, un rap battle, un arbre de ficelle, une pâtisserie, une partie de carte, une sieste sous les étoiles ou un sourire lancé dans une foule.
À la Journée des savoirs ouverts, je n’ai finalement pas découvert avec certitude si le pipi de chien pouvait être considéré comme un savoir ouvert. Mais la journée, en plus des échanges riches que j’ai eus, m’a rappelé que le savoir, pour être vraiment ouvert, doit prendre autant de formes qu’il y a d’humain pour jouer.