Voici la cartographie des pensée écologistes créé par BONPOTE.
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Le partage de cette cartographie sur En commun a pour but de stimuler les discussions autour des pensées politiques et/ou théoriques, écologistes ou environnementalistes présentes au Québec. Bien que plusieurs s'accordent sur l'idée d'effectuer « une transition », nous avons tous et toutes des pensées politiques assez éloignées - parfois incompatible, parfois voisine. Je pense que cette carte peut nous aider à nous situer et à faire avancer nos causes:)
Les 8 grandes familles des pensées écologiques
Pour vous y retrouver plus facilement, voici en détail les 8 grandes familles des pensées écologiques, avec leurs autrices et auteurs clés. Si vous souhaitez aller plus loin, plus de 150 noms sont à retrouver sur la carte, et des sources sont disponibles à la fin de cet article.
1/ ÉCOLOGIES ANTI-INDUSTRIELLES
Les écologies anti-industrielles rejettent le productivisme et l’hyper-mécanisation du travail issus de l’ère industrielle. Elles développent une approche technocritique tout au long du XXe siècle. Critiques du gigantisme de l’appareil productif et de l’État pour les ravages qu’ils causent aux écosystèmes et à la personne humaine, les écologies anti-industrielles prônent la petite échelle et refusent une certaine idéologie du Progrès.
Elles critiquent vertement la dépossession des populations de leurs propres moyens de subsistance. Elles encouragent enfin le fait de considérer l’industrie et la technique comme un système avec ses logiques propres, dont on ne peut se contenter de critiquer tel ou tel effet pris isolément.
Autrices et auteurs clés : Ivan Illich, Jacques Ellul et Günther Anders
2/ ÉCOLOGIES LIBERTAIRES
Les écologies libertaires s’inscrivent en filiation des traditions du socialisme ouvrier anglais et de l’anarchisme, et entretiennent une grande proximité avec les écologies anti-industrielles. L’idéal d’émancipation et d’autonomie des libertaires se trouve régénéré par une analogie : les dominations de l’homme sur l’homme, de l’homme sur la femme et de l’homme sur la nature ne peuvent être prises séparément, et doivent être combattues d’un bloc.
En conséquence, elles aspirent à la constitution d’éco-communautés et d’institutions autogérées et démocratiques à l’échelon local et défendent des principes fédératifs contre les dynamiques centralisatrices de l’État. La vision de la société s’articule autour du champ, de l’usine et de l’atelier, et d’une démocratie radicale, parfois exprimée par le recours au tirage au sort.
Autrices et auteurs clés : Murray Bookchin, Kristin Ross, Bernard Charbonneau
3/ ÉCOFÉMINISMES
Né dans les années 1970 sous la plume de Françoise d’Eaubonne, l’écoféminisme est une famille qui propose une analyse de la catastrophe écologique fondée sur le genre et sur l’oppression des femmes sous le capitalisme patriarcal. Nébuleuse aux contours flous, l’écoféminisme se conjugue dès le départ au pluriel, soulignant la diversité des origines géographiques et des influences idéologiques qui composent ce courant : socialisme, spiritualisme, queer, marxisme, pensées décoloniales, etc.
Elles partagent pour la plupart le constat que, d’une part, le rôle des femmes a été subordonné à une fonction purement reproductive et, d’autre part, que la nature a été associée à l’image de cette femme dominée, que le capitalisme doit soumettre, exploiter, et même violer.
Autrices et auteurs clés : Françoise d’Eaubonne, Vandana Shiva, Starhawk
4/ ÉTHIQUES ENVIRONNEMENTALES
Les éthiques environnementales émergent au sein de la philosophie de l’environnement aux États-Unis, et explorent, chacune avec des options parfois radicalement différentes, le lien qu’entretient l’homme avec la « nature ». Certaines écoles défendent que les espaces naturels ont une valeur intrinsèque, d’aucunes qu’on ne peut juger de la nature que par son utilité pour l’homme, d’autres encore que nous devons nous concevoir comme une espèce au sein d’une « communauté biotique ».
Faut-il préserver des espaces vierges ? Faut-il au contraire être les stewards d’espaces dont l’homme ne s’exclue pas ? Les polémiques et conflits n’ont certainement pas manqué au sein de cette famille…
Autrices et auteurs clés : Aldo Leopold, Imanishi Kinji
5/ ÉCOSOCIALISME
La famille écosocialiste émerge comme un prolongement du marxisme mais s’oppose à ses interprétations productivistes portées notamment par l’URSS. En partant de l’insuffisante prise en considération des écosystèmes dans les traditions socialiste et marxiste, il s’agit alors de les dépoussiérer et les adapter au tournant écologique des sociétés, en portant l’idée que l’oppression sociale et la destruction de la nature ont une même et unique cause : le capitalisme.
Si la socialisation des moyens de production et l’autogouvernance démocratique restent au cœur de ce projet, les écosocialismes proposent une variété de réponses allant d’un interventionnisme fort de l’État à des perspectives davantage autogestionnaires. Certains écosocialismes contemporains, dont la branche étatsunienne, ont même rompu avec une perspective anticapitaliste claire et la tradition révolutionnaire.
Autrices et auteurs clés : André Gorz, Michael Löwy, John Bellamu Foster
6/ ÉCOLOGIES DÉCOLONIALES
Conceptualisée dans les années 1980, les écologies décoloniales pointent l’impensé décolonial de l’écologie dominante, à la fois libérale et occidentalo-centrée, qui empêcherait la constitution d’une lutte écologiste pleinement libératrice car internationaliste. Par son universalisme « naturaliste » et raciste, sa vision mortifère de la nature, son extractivisme et son colonialisme producteur de natures appauvries (dont la plantation coloniale est l’emblème), l’Occident est en grande partie responsable de la catastrophe en cours.
De ce point de vue, une écologie de « transition » qui supplanterait les énergies fossiles par des ressources minières au profit d’énergies renouvelables ne serait pas seulement insuffisante : elle ne ferait que trouver de nouvelles formes au colonialisme.
Autrices et auteurs clés : Joan Martinez Alier, Malcolm Ferdinand
7/ CAPITALISME VERT
La crise écologique fournit chaque jour de nouvelles preuves de la logique mortifère qui se loge au cœur de la dynamique d’accumulation capitaliste. Pour autant, le capitalisme a aussi ses théoriciens, et ceux-ci ont eux aussi tenté d’intégrer les paramètres écologiques dans leur défense de l’ordre en place.
Dès lors, il s’agit bien souvent de corriger les « excès » ou les « impensés » du capitalisme en intégrant la dimension environnementale aux échanges marchands (taxes, compensation, technologies vertes…). Certains vont jusqu’à vouloir accélérer la dynamique du système capitaliste, y voyant un moyen de contrôler le Système-Terre dans un sens qui ne nuise pas aux intérêts de la classe possédante.
Autrices et auteurs clés : Christiana Figueres, David Keith
8/ ÉCOFASCISMES
Les écofascismes, qui ont émergé à bas bruit depuis les années 1980, sont extrêmement fragmentés. En Europe, ils défendent un éco-différentialisme, soit l’idée d’une humanité divisée en différentes « races » ou civilisations non hiérarchisées mais qui doivent rester séparées, car adaptées à leur environnement immédiat : « chacun chez soi » devient « chacun dans son propre écosystème ».
Aux États-Unis, le néo-malthusianisme et la xénophobie se doublent d’une apologie des grands espaces vierges, de la wilderness, souillée par l’immigration. Cette obsession démographique se traduit souvent par un repli sur des « bases à défendre », dans des logiques « survivalistes ».
Autrices et auteurs clés : Alain de Benoist, Garret Hardin
Méthodologie (et limites)
Disons-le d’emblée : cette carte a de nombreux défauts, et ce n’est pas pour rien qu’à notre connaissance, personne ne s’était risqué à l’exercice.
Comme toute cartographie, certains choix sont contestables – comme le fait par exemple de faire figurer sur un même plan des personnalités aussi éloignées que Bill Gates et Andreas Malm.
Si chaque entrée, placement ou ramification pourrait faire l’objet d’une discussion, nous répondons que cette carte n’est pas – et ne sera jamais – définitive. Nous comptons sur vous et vos retours pour la questionner, la critiquer, l’amender, la faire évoluer mais, surtout, pour vous l’approprier. Notre souhait le plus cher serait qu’elle serve d’outil pour explorer par soi-même le foisonnement souvent insoupçonné de l’écologie politique.
N’hésitez pas à nous faire des retours en commentaires sous cet article et sur les réseaux sociaux !
Crédits et Remerciements
Conception éditoriale : Philippe Vion-Dury, Clément Quintard et Thomas WagnerConception graphique : Marine Benz, Marion Papin et Clément QuintardNous tenons à remercier pour leurs conseils : Samy Bounoua, Dominique Bourg, Gaspard D’Allens, Antoine Dubiau, François Jarrige, Édouard Morena, Hélène Tordjman
Sources
- Dictionnaire critique de l’Anthropocène, Collectif, CNRS Éditions, 2020 ;
- Plurivers. Un dictionnaire du post-développement, Collectif, Wildprojet, 2022 ;
- Dictionnaire de la pensée écologique, Dominique Bourg et Alain Papaux, PUF, 2015 ;
- La Nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, Razmig Keucheyan, La Découverte, 2014 ;
- Fin du monde et petits fours. Les ultra-riches face à la crise climatique, Édouard Morena, La Découverte, 2023 ;
- La Croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, Hélène Tordjman, La Découverte, 2021 ;
- Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, François Jarrige, La Découverte, 2014 ;
- Reclaim. Recueil de textes écoféministes choisis et présentés par Émilie Hache, Cambourakis, 2016 ;
- Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Malcolm Ferdinand, Seuil, 2019 ;
- Les Racines libertaires de l’écologie politique, Patrick Chastenet, L’échappée, 2023 ;
- Quotidien politique. Féminisme, écologie, subsistance, Geneviève Pruvost, La Découverte, 2021.