
Pour expliquer ce levier, Donella Meadows donne l'exemple d'un pays d'Europe du Nord qui avait le problème d'avoir trop d'aînés par rapport au nombre de personnes en âge de travailler (ce qui a de nombreuses conséquences y compris l'incapacité de financer les vieux jours de ces aînés).
L'idée première pour remédier à ce problème de pyramide des âges défavorable était de pousser les femmes à avoir davantage d'enfants y compris en les empêchant d'avorter. On s'est vite aperçu que cet objectif ne rencontrait pas beaucoup d'appui des principales intéressées.
Ce n'est que lorsque l'objectif a été reformulé qu'on a pu avoir un réel impact sur les naissances : Le "faites des enfants" était devenu "assurons de bonnes conditions d'épanouissement à tous nos enfants". Ce changement d'objectif (et donc de mesures pour y arriver) avait cette fois permis l'adhésion de tous et toutes.
Comment pourrait-on reformuler l'objectif "un logement pour tous et toutes" pour que cette nouvelle formulation rencontre cette fois une plus large adhésion ?
- "En situation de vulnérabilité maximale, confortons notre santé et sécurité commune à travers nos façons d’habiter et de s’entraider".
- "Libres et autonomes ensemble"
- ...
Pas facile n'est-ce pas ?
Trouver et faire connaître ce nouvel objectif rassembleur devrait pourtant être notre premier devoir citoyen car cette reformulation pourrait bien changer la donne plus que n'importe qu'elle autre des précédentes mesures.
Pendant la pandémie, beaucoup de nos logements se sont transformés en piège ou en prison. Avec l'impact croissant des changements climatiques directement liés à nos désirs du toujours plus (*), de plus en plus de nos bas de laine immobiliers se transforment en mirage et un nombre croissant d'entre-nous ne reconnaissent plus leurs pays (on a même un mot pour ça, la "solastalgie").
Filles de ces mêmes désirs insatiables, nos technologies, permettent de plus en plus à un seul homme ou presque d'exploiter jusqu'au bout nos pauvres restants : ressources naturelles, logements (financiarisation croissante du logement y compris celui abritant nos aînée-es) mais aussi maintenant tout ce qui fait notre humanité (on pense aux données personnelles qui nourrissent en continu l'Intelligence Artificielle).
Ces mêmes technologies brouillent maintenant les frontières les plus intimes (microplastiques qui perturbent les frontières sacrées entre l'homme et son environnement, microbiote raréfié, poésie générée par l'IA, etc). Elles permettent aussi de transformer en décombres des villes entières et leurs populations civiles sans même se donner la peine de se salir les mains. On s'en prive de moins en moins semble-t'il... alors où placer désormais notre maison (home), la base de notre sécurité ?
C'est cette nouvelle réalité, inédite et grave d'implications, qu'il faudrait sans doute arriver maintenant à intégrer en tentant cette reformulation d'un objectif de logement pour tous et toutes.
DESCRIPTION DU LEVIER ET EXEMPLES
Levier 3 : L'objectif. Le but ou la fonction du système
Ce levier est avant tout une reformulation d'objectif commun avant d'être une liste de solutions. Les éléments de solutions découlent de ce changement de formulation de l'objectif.
Comme on ne sait pas encore comment il faudrait reformuler l'objectif (on attend avec impatience vos contributions citoyennes !), on y va en roue libre ci-dessous en imaginant que cette évolution d'objectif permettrait de mettre davantage l'accent sur ce qu'offre un logement (un foyer, un lieu où nourrir son sentiment de sécurité et protéger sa santé, un moyen de régénerer son âme et sa capacité à contribuer au bien-être collectif... ) et donc bien autre chose que quatre murs ou un placement financier.
- Comme le Brésil (qui l'a mis dans sa constitution), intégrer la fonction sociale de la propriété dans la réglementation. La fonction sociale de propriété est la notion selon laquelle le droit de propriété privée comprend l’obligation d’utiliser la propriété d’une manière qui contribue au bien collectif. Elle peut obliger l’utilisation des lots vacants pour le logement social par exemple (48/87).
- Mettre en place une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) comme AtticorA à La Mure en France, une initiative intégrée qui permet tout à la fois d'investir, d'habiter, travailler, coopérer... pour un habitat respectueux des gens, des matériaux et de l'environnement. Localement, l’entreprise AtticorA ouvre une troisième voie par rapport au statut de propriétaire ou de locataire à travers une organisation économique qui place l’intérêt collectif en son cœur.
- Développer le concept des écohameaux ou écovillage comme celui porté, depuis 2006, par le Collectif Espaces à Frelighsburg : des espaces individuels mais aussi, espaces collectifs et terrains qu’on se partage.
Propriété hybride permettant le maintien de l'abordabilité dans le temps :
- Dissocier les sols du bâti afin d'acquérir des logements sans les coûts d'acquisition du foncier. Il est possible d'arriver à séparer les propriétaires des murs de ceux du terrain. Plusieurs exemples déjà expérimentés (Vermont, France, Québec...). (39/87).
- Multiplier les fiducies d'utilité sociale. Il s’agit d’un bien affecté à une vocation d’intérêt général (abordabilité, préservation des milieux naturels, etc.) en dissociant la propriété foncière de la propriété du bâti ou de l’usage. Exemples : Fiducie immobilière Angus ; Fiducie du patrimoine culturel des Augustines ; Fiducie du Domaine Saint-Bernard (78/87).
- Coopératives de propriétaires, cohabitat, autopromotion. Exemple : Le Fonds Coop Accès Proprio (FCAP) est propriétaire d’un terrain qu’il octroie à une coopérative qui sera propriétaire de l’immeuble. L’usufruit de chaque unité est vendu aux membres qui peuvent la revendre sur le marché. Les propriétaires revendent éventuellement leur unité à un prix fixé par le FCAP. À la revente, 50% des profits vont à la FCAP, 10% à la coopérative et 40% au vendeur. À l’achat, le membre dépose une mise de fonds de 5%, une quote-part et la différence en emprunt hypothécaire. Permet de maintenir l’abordabilité dans le temps en offrant des unités à environ 25% en dessous du prix du marché. Le tout en conservant l’esprit d’une coopérative où les membres administrent le bâtiment dans un esprit communautaire. Acteurs : SHQ, CQCH, Coopératives, Fondaction (84/87).
- Financer des propriétés à capitalisation partagée. Le modèle est inspiré des Community Land Trust. Exemple au Québec : Vivacité. Offre 20% de mise de fonds, en échange de 75% de la plus-value à la revente (sans compter le capital, la mise de fonds additionnelle et les investissements en rénovation des propriétaires). La propriété est revendue dans le cadre du programme de Vivacité et permet d’offrir des mises de fonds pour le nouveau propriétaire et sur de nouveaux logements. Le premier projet à se concrétiser vise à stimuler la création d’un quartier d’artisans par l’attrait de l’aide à la propriété à Lac-Mégantic (51/87).
Interventions pour assurer une plus grande viabilité des logements
- Trouver des sources de financement alternatives pour assurer la durabilité des unités abordables. Exemple : Programme RAD (Rental Assistance Demonstration) aux USA (60/87). Ces financements complémentaires pourraient-ils être accordés pour que ces unités soient davantages respectueuses des gens, des matériaux et de l'environnement et protègent mieux la santé physique et mentale de leurs occupants ? Le budget provincial en santé pourrait être un bon candidat.
- Financer la propriété plutôt que l'emprunteur lorsque cette propriété fait l'objet d'une amélioration énergétique (programme PACE). La dette contractée est assignée à la propriété et non au propriétaire. Les modalités de remboursements sont similaires au prélèvement d’une taxe foncière. Elle est ainsi transférée lors d’une transaction (56/87).
Nationalisation des logements
- Pour éliminer les promoteurs parasites et la financiarisation des taux d'intérêts, lancer une programme gouvernemental financé par la Banque du Canada sur 10 ans aidant les locataires ou les propriétaires à construire ou rénover un domicile principal. Hypothèque à 0,25% avec obligation de vendre à la puissance publique. Une forme de nationalisation de milliers de logement (100 000 unités construites, 700 000 rénovées).
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(*) : Le documentaire "8 milliards d'insatisfaits" (2023) de Boucar Diouf pose cette question: Pourquoi l’humain veut toujours plus de bouffe, de sexe, de reconnaissance sociale, de pouvoir? Et si ce désir de consommer était la faute d’un organe tapi au fond de notre cerveau depuis des millions d’années, un organe nommé «striatum» programmé pour nous aider à survivre?"