Comment les cultures autochtones ont construit notre compréhension de la démocratie et de l'égalité?

Dans cette entrevue, l'archéologue David Wengrow, co-auteur du nouveau livre "The Dawn of Everything: A New History of Humanity" examine comment les cultures autochtones ont grandement contribué à ce que nous en sommes venus à comprendre de la démocratie et de l'égalité, et soutient que ces contributions ont été effacées de l'histoire

Voici un verbatim/résumé de l’entrevue

[Initialement les auteurs désiraient écrire un texte plutôt court (un pamphlet) pour simplement introduire les lecteurs aux principales découvertes archéologiques et anthropologique qui sont principalement demeurées à l'intérieur de la sphère académique. Finalement ça a donné lieu à un ouvrage de 700 pages.]

Le livre aspire à briser certains mythes dont:

  • Le mythe qu'avant l’invention de l’agriculture, les humains vivaient principalement dans de petites communautés de chasseurs-cueilleurs égalitaires. Ce n’est pas vrai.
  • Le mythe que les humains se sont retrouvés pris dans les inégalités suite à l’invention de l’agriculture et des villes. Ce n’est pas vrai.
  • Ce que l’histoire révèle : c’est qu’à différentes époques, la vie dans de grandes villes densément peuplées et sophistiquées technologiquement ne nécessitait pas que les gens abandonnent leurs libertés sociales

 

La rencontre entre des intellectuels autochtones et les premiers colons européens a grandement influencé notre compréhension de la démocratie et des inégalités

  • Lorsque nous avons tenté de trouver l’origine des inégalités, nous avons réalisé qu’il y avait quelque chose de fondamentalement étrange: pourquoi est-ce qu’un jour nous avons commencé à parler d’inégalités? 

  • Quand on cherche l’origine de cette question, on en arrive à une compétition d’essais organisée en 1753 par l’académie française, et qui posait la question suivante: quelle est l’origine sociale des inégalités?

  • Ce qui est étrange, c’est qu’à cette époque (pré-révolutionnaire) nous nous trouvons dans une des sociétés les plus hiérarchiques… Comment se fait-il que les gens se posent cette question et qu’ils assument que la société ait déjà pu être différente par le passé?

  • Ce sont ces questionnements qui nous ont ainsi amenés à réfléchir aux rencontres que les colons européens ont eues en Amérique auprès des sociétés autochtones. En effet, c’est à cette époque que les Européen ont été confrontés à des sociétés fondées sur des principes de liberté. Un concept qui leur était complètement inconnu à cette époque.

  • Kondiaronk - un des leaders de la nation Huron-Wendate à cette époque -, était un des signataires du traité de paix de Montréal (1701).

  • En plus d’être un guerrier et un diplomate, il était considéré par les Européens et les autochtones comme l’une des personnes les plus intelligentes jamais rencontrée. C’était un grand penseur et un grand orateur.

  • Il était régulièrement invité à la table des gouverneurs français pour débattre avec les Européens sur des sujets tels que le christianisme, les coutumes de mariage, le rôle de l’argent, toute l’idée des libertés politiques. Et plusieurs de ces conversations ont été enregistrées.

  • Dans ces enregistrements Kondiaronk lance une critique tout à fait cinglante sur le comportement des Européens. Notamment sur la liberté des femmes, sur l’obsession de la richesse, sur l’argent comme force de pouvoir. Il y a beaucoup d’observations sur la pauvreté, sur le phénomène endémique des sans-abri qui était déjà apparent dans les villes coloniales.

  • Ensuite il y a de nombreuses observations, de nombreuses critiques sur la façon dont les Européens sont constamment en train de compétitionner les uns avec les autres, se différenciant sur la base de leur rang et de leur statut.  

  • Ces principes étaient absents et inconnus des sociétés orales iroquoises de cette époque. Par conséquent, si un chef Wendate voulait engager des gens dans un effort collectif, il n’y avait pas réellement de moyen de le commander ou de le forcer de manière coercitive. Tout devait être fondé sur la persuasion. 

  • Et cela a été largement observé par les jésuites, les missionnaires et plusieurs autres à cette époque: les gens s'asseyaient quotidiennement en rond dans la place du village et durant de longues heures débattaient et tentaient de se convaincre les uns les autres pour arriver à un consensus sur les enjeux du moment. 

  • Les historiens ne contestent pas que l’Europe, à l’âge des lumières, a a adopté d'importantes habitudes des autochtones: les Americas smoking tobacco, la consommation de boisson caféinée… mais étonnamment cela n’a jamais sembler préoccuper les historiens de se savoir si nous avions également empruntés certains concepts et idées.

  • Dans le livre, nous tentons justement de démontrer que c’est exactement ce qui est arrivé et que Kondiaronk a profondément influencé les Européens.

 

Pourquoi les critiques formulées par les autochtones sur la culture européenne ont-elles été complètement effacées de l’histoire? (10:15)

  • C’est une question très intéressante, car depuis quelques décennies certains historiens, tel que Georges E. Sioui - un historien originaire de la nation Wendate - a attiré l’attention sur ces sources. Mais pour des raisons que je ne m’explique pas et qui reflètent, je crois  nos institutions et notre académie, ces recherches ont marginalisées.

  • Ce que l’on tente de faire avec notre livre c’est de mettre en lumière l’existence de ces recherches

 

Pouvez-vous expliquer l’actuel débat entre démocratie, égalité et comment ils sont expliqués de façons différentes dans The dawn of everything et dans cette nouvelle histoire de l’humanité? (11:55)

  • Une des principales choses qui est ressortie de notre recherche est que les êtres humains, pour la plus grande partie de l’histoire de notre espèce, a été une espèce beaucoup plus ludique et expérimentale que ce que nous avons tendance à nous imaginer. Ce qui inclut une propension à inventer et à expérimenter différentes formes d'arrangements politiques. 

  • Et quand on réalise cela, la question en elle-même change… On commence à réfléchir différemment à propos de grandes questions sur l’histoire humaine.

  • Si ce n’est pas à propos de l’origine des inégalités - si on s’éloigne de cette fausse notion -  la question à se poser est plutôt: comment en sommes-nous arrivés à rester pris dans une situation où il est pratiquement impossible d’imaginer d’autres formes d’arrangements sociaux? Et dans quelle mesure sommes-nous réellement pris?

  • Je crois qu’une des premières étapes pour répondre à cette question est précisément de remettre en question cette grande histoire de notre espèce et des capacités humaines.

  • Avec le livre nous tentons de démonter ces mythes qui nous font croire que les inégalités que nous avons aujourd’hui sont le fruit d’un résultat inévitable de l’évolution sociale.

  • Observer comment les gens prennent des décisions dans la vie de tous les jours nous semble une étape importante pour sortir de cette impasse. 

 

La guerre et la compétition sont évitables

  • Lorsqu’on analyse les preuves directes, telles que le taux de violence, de conflits interpersonnels, de blessures dans les données archéologiques, on observe effectivement que des traces de violence sont observables très tôt dans l’histoire humaine. Mais il n’y a pas moins de preuve de période de paix. Les périodes de guerre et de violence arrivent et repartent.

  • La question qui émerge du livre est : pourquoi à certains moments dans l’histoire la violence et la guerre ont un effet plus profond et plus durable que dans d’autres. Si les actes de violence sont toujours traumatisants, ils ne deviennent pas toujours structuraux, ils ne s’intègrent pas toujours dans le tissu de la maisonnée et dans le cœur de la famille. 

  • Et cette question est rapidement devenue le focus de ce livre. Essayer de comprendre comment nous en sommes arrivés à une société où on ressent qu’on est emprisonné et pris dans cette situation.

  • Et recadrer le problème nous semble une voix pour se déprendre de ces formes de violence.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple de la nature expérimentale des différentes politiques humaines? (16:52)

  • Quand on réfléchit aux sociétés de chasseurs-cueilleurs nous avons tendance à penser à 1 ou 2 formes égalitaires de sociétés. En réalité, ce que l’on observe c’est qu’il y a une vaste littérature sur des sociétés qui avaient l’habitude d’alterner les systèmes sociaux selon un cycle saisonnier.

  • Par exemple les nations des plaines de l’Amérique du Nord. Lors de la saison de la migration des buffles, elles se rassemblaient sous la forme de ce que nous pourrions appeler aujourd’hui une forme d’état nation:  on y retrouvait des forces policières, des escouades de soldats qui avaient de forts pouvoirs coercitifs. Si certains mettaient en danger le succès de la chasse, ils pouvaient être emprisonnés, voire même tués.

  • ll y a deux points à retenir de cela. D’abord, les individus qui occupaient les rôles coercitifs changeaient sur une base annuelle ou bi-annuelle. Ce qui fait que vous pouviez avoir à être confronté à la personne que vous aviez mise en prison ou punie l’année suivante, mais dans les rôles inversés.

  • Le deuxième point est que ces sociétés avec leurs institutions coercitives ne perduraient pas au-delà de la saison de la chasse. 

  • Pour le reste de l'année, ces sociétés se dispersaient en plus petits groupes sur le territoire. Et chacun d’entre eux avait alors des systèmes moraux différents où la coercition n'était pas permise et où les gens devaient résoudre leurs conflits au travers des processus délibératifs et de débats.

 

Quelles sont les questions que nous devrions nous poser? (19:15)

  • Est-ce que notre système culturel actuel - avec toutes ses questions de soutenabilité, de crise climatique - est réellement la seule manière d’organiser nos sociétés aujourd’hui? Ou n’y aurait-il pas plusieurs alternatives viables?

  • En tant qu 'anthropologue et archéologue, il nous suffit d’observer quelles ont été les autres façons dont les humains se sont organisés. Et lorsqu'on fait cela, d’autres questions et possibilités sont mises en lumière.

  • Par exemple, la question des villes soutenables. Nous avons de nombreuses preuves qui démontrent que de très grandes villes, densément peuplées, ont été des villes essentiellement décentralisées en termes de processus décisionnels. 

  • Nous avons des exemples de villes massives où les gens n’étaient pas réduits à des numéros et où ils n’étaient pas confrontés à une bureaucratie impersonnelle qui nous semble inévitable aujourd’hui. 

 

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 21 juin 2023 15:05
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S'outiller, Réfléchir, S'informer, Pédagogie

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Publication

17 mars 2022

Modification

17 février 2023 09:12

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