Les conférenciers du colloque de l’AQPERE L’éducation en transition ont insisté longuement sur le travailler ensemble dans des nuances qui m’ont donné à réfléchir. Il y a plusieurs raisons de s’engager résolument dans cette voie. Voici le deuxième type de raison identifié.

Il y a plus dans le travaillons ensemble que le mettons-nous ensemble pour capturer l’éléphant car il est trop gros. Il y a aussi l’idée que l’éléphant est trop complexe pour être perçu au complet par un seul aveugle soit l’idée qu’une réalité complexe n’est compréhensible qu’à partir d’une multiplicité de points de vue ou dit d’une façon encore plus directe : « ça prend du monde qui nous sorte de notre zone de confort ».

Là il s’agit de la capacité à comprendre assez bien et assez vite pour agir dans un contexte où tous les paramètres changent à tous les instants sans qu’on ne puisse rien contrôler ou presque. L’expérience emblématique est dans ce cas la construction d’une tour à base de guimauves et de spaghettis. Les groupes qui réussissent à construire la tour la plus haute sont ceux qui agissent par essais et erreurs en multipliant les idées et les tentatives. Une expérimentation des avantages de la pensée design en contexte complexe sous forme de jeu proposée de plus en plus dans nos bibliothèques et nos écoles.

C’est davantage cette nuance du « travaillons ensemble » que, je crois, Lucie Sauvé nous a partagé de son côté lors du colloque de l’AQPERE. S’il fallait y ajouter une image, sa vision se rapprocherait selon moi davantage de l’image du vol d’étourneaux que celui du vol d'outardes : On n’attend pas de tout savoir pour s’engager, on construit ensemble le savoir dans l’action et « dans une intelligence socio-collective du paysage du Québec » qui fait la part belle à tous les acteurs y compris les simples citoyens pour pouvoir affronter une très grande diversité de questions environnementales du monde réel au monde virtuel. La diversité des acteurs mais aussi l’engagement feront la différence. Et Lucie Sauvé cite Philippe Mérieux : « Éducation et engagement vont bien ensemble ».

Dans le cas de l’éducation relative à l’environnement, la tâche est en effet immense mais surtout inédite : il ne s’agirait de rien de moins qu’apprendre nous-mêmes et faire apprendre ce que nous n’avons pas appris de notre propre éducation. Pour percevoir ce qu’il y a à accomplir et agir dans ce nouveau contexte, il faudrait 1) s’assurer de disposer de plusieurs points de vue 2) s’engager résolument dans un processus de transformation avec le système lui-même, une sorte de danse à plusieurs où tous nos sens sont engagés à percevoir et accompagner ce qui émerge.

Nous avons besoin les uns des autres pour bénéficier collectivement des divers angles de vues qui viennent de nos parcours socio-culturels distincts mais parfois aussi pour prendre davantage conscience des œillères qui viennent avec nos privilèges. De plus en plus acquis à l’intelligence collective et ses différentes techniques (note 1), nous tentons indéniablement de faire davantage de place à l’autre mais admettons-nous jusqu’au bout l’égalité dans la diversité qu’elle présuppose ? On a là une organisation horizontale plutôt que verticale, idéalement un cercle où chacun peut tour à tour apporter sa contribution qui ressemble bien peu au fonctionnement de nombre de nos organisations institutionnelles.

Pour ce qui est des bibliothèques, et en général, on continue à défendre mondialement le partenariat et on parle de plus en plus, de démarches de conception collaboratives mais, comme à l’école semble-t-il, le travail AVEC la communauté, dans la programmation des activités notamment, reste assez rare. Avec le passage au virtuel de la pandémie, on remarque une plus grande propension des pages Facebook à relayer de plus en plus ce qui est offert gratuitement ici ou là par d’autres acteurs de la communauté. Mais perçoit-on pour autant qu’on ne peut véritablement tenir compte de l’autre sans lui faire vraiment de la place (note 2) ? Perçoit-on aussi à quel point nos organisations sociales évoluent et à quel point nous avons du mal à percevoir le qui fait quoi dans ce nouveau contexte (note 3) ainsi que la réalité du territoire et ses enjeux ?

Ce que l’on sait, depuis plus de 10 ans, grâce au programme de recherche-action canadien nommé justement Working together (traduit en français par Trousse d’outils pour des bibliothèques à l’écoute de la communauté) c’est qu’une ouverture véritable au travailler ensemble – qui présuppose la relation et la reconnaissance mutuelle - est directement liée à la question de l’équité sociale et au pouvoir des bibliothèques de faire une différence à ce niveau.

Certaines conditions préalables semblent s’appliquer au lâcher prise délicat lié à ce type de travailler ensemble. Il faut tout d’abord s’assurer d’être solide dans son identité : Connaitre ce à quoi on est bon, savoir en parler et en faire profiter les autres à l’occasion mais aussi être très clair dans son intention au point de se réjouir que notre but soit atteint grâce à quelqu’un d’autre ou dans des termes qui ne sont pas forcèment les nôtres (note 4).

Note 1 : Voir notamment l’admirable travail d’André Fortin qui répertorie au Québec les « références et outils pour innover » : https://creativite33.com/

Note 2 : Voir l’article « Tokenisme » sur cette plateforme.

Note 3 : Pour des exemples de ces évolutions, lire ce document publié récemment par la 27e Région : Vincent, S. (2020). Le nouveau contrat écologique et social, une boussole pour l’avenir de la transformation publique ?

Note 4 : Dans son livre Reinventing Organizations : Vers Des Communautés de Travail Inspirées publié en 2015, Frédéric Laloux donne l’exemple inspirant du regroupement d’infirmières néerlandais Buurtzorg dont le fondateur Jos de Blok n’hésitait pas, non seulement à permettre à des sous-groupes d’infirmières d’adopter localement d’autres façons de faire, mais aussi à former ses concurrents car seul comptait son objectif de contribuer au bien-être et à l’autonomie du plus grand nombre de patients et ceci le plus rapidement possible.

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Réflexions d'une bibliothécaire qui veut en faire plus pour la transition
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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 16:01

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3 janvier 2021

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17 février 2023 09:12

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