L’agriculture soutenue par la communauté (ASC) revendique depuis toujours son caractère alternatif par rapport au système agroalimentaire industrialisé dominant, notamment en inscrivant, au moins en principe, son fonctionnement dans une relation de partenariat qui dépasse les seules relations marchandes propres au système capitaliste. Cette recherche s’est intéressée aux stratégies mises en œuvre dans des communautés ASC italiennes pour démonétiser, démarchandiser et désinstrumentaliser le travail agricole.
Valorisant dans les discours l’essence et la noblesse du « travail paysan », l’ASC demande beaucoup d’efforts aux agriculteurs et est particulièrement intensive en capital humain. La disponibilité de la main-d’œuvre et la capacité à payer des salaires justes sont des conditions parfois difficiles à atteindre, ce qui a conduit divers auteurs à souligner les risques « d’auto exploitation », engendrant surcharge de travail et rémunération insuffisante. En théorie, l’ASC permet de dépasser certaines des contraintes d’une agriculture soumise au seul marché : l’abonnement payé par les membres suppose un partage des risques et apporte de la prévisibilité, la reconnaissance reçue par les agriculteurs est une forme de rémunération non monétaire. Sur le plan du travail, le bénévolat des membres peut être un moyen de pallier certains besoins en ressources humaines et économiques et de répartir le travail à effectuer. Les membres impliqués en retirent divers bénéfices non économiques : apprentissages, dons d’aliments, appartenance à une communauté, etc. Ces spécificités de l’ASC participent à émanciper le travail agricole des fondements capitalistes.
Mais ces stratégies se heurtent aussi à un ensemble de limites. Alors que des rémunérations équitables devraient être incluses dans la fixation du prix des paniers, ceux-ci restent contraints par la capacité des membres à se sortir de la logique marchande et à accepter de payer un prix qui tienne compte de la juste valeur du travail agricole. Les emplois sont précaires et saisonniers, payés souvent au salaire minimum et certains facteurs externes contraignent l’émergence de formes alternatives de travail : par exemple le travail bénévole peut être illégal. Par ailleurs, les ambitions d’inclusion de membres à plus faible revenu se heurtent aussi à cette froide réalité économique. Enfin, une partie des membres n’ont pas vraiment intégré les spécificités de l’ASC et restent dans une posture de clients : être des consommateurs et non les membres d’une communauté.
Les enseignements
L’un des enjeux les plus discutés par les participants est la détermination du coût de l’abonnement qui permet à la fois de démocratiser la possibilité de joindre une ASC et de verser une rémunération adéquate aux producteurs et employés. Au Québec diverses initiatives sont en cours. Deux fermes tentent par exemple de calculer leurs prix moyens, non à partir des prix de marché, mais à partir de leurs besoins pour couvrir le coût de leurs opérations et les familles partenaires sont invitées à contribuer à hauteur de leurs moyens. D’autres fermes imaginent des solutions pour que l’ASC devienne plus inclusive sans que ce soit au détriment des producteurs : parrainage par les membres plus fortunés, partage d’abonnements, tarification selon le salaire des abonnés, etc. Ces stratégies témoignent de l’importance accordée au bien-être collectif et du désir de s’émanciper du seul registre marchand.
pdf N°33, fiche n°2, juin – juillet 2024
Rédaction : Marilou Ethier, Patrick Mundler
Ce bulletin vous est offert avec le soutien du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ)