Ville du quart d’heure, équité et participation

Carlos Moreno le vulgarisateur du concept de "ville du quart d’heure", plaide depuis plus de 20 ans avec d’autres pour redesigner la ville afin que ses habitants y trouvent tout ce qu’ils ont besoin à moins de 15 minutes à pieds ou à vélo de leur domicile : travail, logement, nourriture, services d’éducation et de santé, culture et loisirs.

Pour Moreno, c’est une question de justice, de bien-être mais aussi de lutte aux changements climatiques. Paris a activement adopté le concept en 2020, ainsi que Montréal , Ottawa  et d’autres villes adhérant au réseau mondial des villes pour le climat. 15 minutes à pieds ou à vélo, c’est aussi la mesure que l’on utilise classiquement pour implanter une nouvelle bibliothèque.

Ce qui vaut peut-être d’être rappelé ici c’est que la proximité c’est non seulement le moyen de récupérer le temps que nous perdons en transport – et le confinement nous en a redonné l’exacte mesure - mais aussi :

  • une réflexion sur l’usage des m2 disponibles - à quoi servent ces m2, qui les utilisent et comment - qui doit pousser à l’économie et même au multi-usage : fablab dans une salle de sports, école comme espace communautaire la fin de semaine et en soirée etc. : chaque m2 doit être utilisé pour servir différents objectifs.
  • Une analyse des services présents ou absents sur le territoire : marché, parc, fontaine, terrains de sports, places assises et ordinateurs pour étudier etc

Une ville du quart d’heure serait la condition nécessaire pour retrouver une vie plus agréable, agile, saine et flexible et mettre en œuvre 4 principes porteurs :

  1. Écologie : une cité verte et viable
  2. Proximité : habiter à distance raisonnable de ses autres activités
  3. Solidarité : pouvoir créer des liens avec ses voisins et voisines
  4. Participation : pouvoir impliquer activement les citoyens dans la transformation de leur milieu de vie

L’insistance sur le fait que chaque m2 doit servir à plusieurs usages et bien sûr l’idéal d’équité en services de proximité partout dans la ville m’ont laissée songeuse.

Dans mon milieu de vie au centre-ville de Montréal, il semble qu’on soit encore loin de l’équité de services mais aussi d’une utilisation maximisée et réfléchie de tous les m2 disponibles présents dans nos institutions pourtant publiques (écoles, bibliothèques, salle de sports et de spectacles…) précisément peut-être en raison d’une compréhension imparfaite de la nécessité de la participation citoyenne.

C’est important de clarifier ce point quand on se préoccupe d’impact des bibliothèques en éducation relative à l’environnement. En éducation, le travailler avec les apprenants est un must. Mouvement de la transition et participation citoyenne vont ensemble : C’est bien clair pour un organisme de transition comme Solon. Mais dans le cadre du développement durable ça l’est moins. L’objectif 17 « partenariats pour la réalisation des objectifs » (pour ainsi dire la dernière roue de la charrette des 17 ODD) se décline plutôt, sur le site de l’ONU, comme une injonction au transfert de richesse vers les pays les plus pauvres.

Suite à une formation sur la participation citoyenne donnée par le CERSÉ, j’ai comparé l’échelle de la participation selon Sherry Arnstein à celle que je connaissais en bibliothèque sous le nom de « Continuum de la participation du public » parue dans la toujours formidable « Trousse d’outils pour des bibliothèques à l’écoute de la communauté ». L’exercice m’a fait réaliser qu’il ne semble guère y avoir de participation véritable en bibliothèque. Les 2 derniers échelons d’Arnstein sont manquants. S’il y a un équivalent à l’échelon 6 « partenariat, négociation entre public et détenteurs du pouvoir », il n’y a guère de critères pour préciser les choses dans la trousse d’outils comme sans doute dans le fonctionnement de nos institutions bibliothèques (note).

Dès les années 70, Arnstein avait déjà indiqué quelques-unes des conditions gagnantes d’une participation véritable comme l’existence d’un groupe citoyen fort, le fait que certains bénévoles très impliqués reçoivent une rémunération et que le groupe de citoyens puissent engager lui-même ses techniciens, ses avocats, ses organisateurs. Il semble qu’une armée de spécialistes de la participation soient à l’œuvre actuellement pour préciser encore ces conditions gagnantes d’une participation effective, celle qui laisse un réel pouvoir de décider aux citoyens et citoyennes. Mais le milieu des bibliothèques semble, à ma connaissance, encore loin de se soucier réellement de leur faire de la place. Je me rappelle les levers de boucliers observés à la simple évocation de la participation de bénévoles au fonctionnement de la bibliothèque observés en réunions d’équipe, il y a à peine quelques années. Dans les équipes de bibliothèques aussi, ce n’est pas encore l’organisation horizontale qui prévaut.

Je comprends mieux dans ces conditions pourquoi la Ville finance actuellement des organismes comme Solon et des projets comme les Ateliers de la transition qui ressemblent si fort au programme d’une bibliothèque tiers-lieu. Ce projet correspondrait à l’échelon 7 de l'échelle de participation d'Arnstein : « Délégation partielle des pouvoirs ». La Ville délègue donc aux citoyens – via l’OBNL Solon - la gestion de son nouveau tiers-lieu pilote à deux pas de la bibliothèque-tiers-lieu qu’elle avait inaugurée quelques années plus tôt parce que cette dernière n’est pas capable de mettre en œuvre un réel projet de partenariat citoyen.

C’est peut-être temps dans ces conditions de réclamer à nos institutions de meilleures bibliothèques, comme nous y invitait le bibliothécaire David Lankes il y a déjà plusieurs années. C’est peut-être aussi le temps pour tout le monde - y compris les bibliothécaires - de se former davantage en participation citoyenne en profitant des avancées de Solon et d'autres qui se démènent sur le territoire pour faire advenir un monde meilleur.

« Il y a des tiers-lieux en tous genres et ils ne se décrètent pas, ils s’inventent » d’après France Tiers-lieux . Il y en a aussi qui fonctionnent sur une base commerciale. De la participation à la non-participation, de l’enjeu de bien commun à l’enjeu de marchandisation, il y a en effet toutes sortes de nuances de gris. L'exercice de collaboration reste délicat et volatile. Peut-être que c’est le fait du vivant d’être brouillon et redondant et qu’il est illusoire de chercher ainsi à donner plusieurs usages aux m2 disponibles ? Mais si on garde à l’esprit l’équité de services pour l’ensemble des habitants de la ville et le contexte de ressources limitées qui est le nôtre, peut-on réellement en faire l’économie ?

Pourrons-nous avoir un jour le recul suffisant pour embrasser comme le font les urbanistes, l’unité de la Ville du quart d’heure comme un tout, s’y regarder aller collectivement et savoir prendre ensemble les décisions qui s’imposent pour le bien du plus grand nombre ?

Notes :

Suite au webinaire organise par le CRISES (UQAM) le 14 janvier 2022 "Réflexions théoriques et praxéologiques sur le processus de co-construction", je garde ici en note le travail de Michel Foudriat qui constate qu'on est loin de pouvoir avoir une recette autrement que par la création par les acteurs eux-mêmes et pour un enjeu particulier d'un objet intermédiaire défissant notamment le champ de valeurs, les pouvoirs préalables ainsi que la temporalité choisie pour aboutir ensemble à l'identification d'intérêts partageables.

L'échelle d'Arnstein peut servir seulement à établir un état des délibérations à un moment donné de cet espace dialogique ainsi co-défini. Au cours du processus, et pour ne pas risquer de renforcer les rapports de domination existants, le sociologue est un simple facilitateur qui traduit et médiatise.

Pour M. Foudriat ( La co-construction (2019) , pages 15 à 36) : " La co-construction est un processus par lequel des acteurs différents confrontent leurs points de vue et s’engagent dans une transformation de ceux-ci jusqu’au moment où ils s’accordent sur des traductions qu’ils ne perçoivent plus comme incompatibles. Ce moment particulier est celui où ils pensent avoir défini un « monde commun » qui va fonder leur compromis ; ils pourront alors poursuivre leur coopération afin de construire un projet d’action commun et réfléchir ensemble à sa mise en œuvre.
La notion de co-construction  s’est largement diffusée dans le monde académique et non académique. Cependant, sa définition reste encore aujourd’hui incertaine et fait l’objet de propositions dans la littérature grise des dossiers, finalisée par des institutions (certains conseils généraux, entre autres) ou des cabinets conseil. Pratiquement aucun dictionnaire de sociologie ou de sciences humaines ne la définit à l’exception du Dictionnaire de la participation .
« Le terme co-construction est devenu depuis quelques années très en vue. Il se retrouve dans beaucoup d’articles et livres à portée académique. L’univers professionnel n’en est pas moins en reste où cette approche de gestion semble l’un des moyens pour pérenniser la performance des organisations. Néanmoins, lorsque l’on s’y attarde un peu plus en profondeur, on constate qu’il est davantage cité que conceptualisé. Très peu d’auteurs s’y sont réellement attardés »
C’est une notion ambiguë et la proximité avec des notions voisines plus académiques comme la coopération n’est sans doute pas une condition facilitatrice pour une explicitation de ses dimensions propres…
"

Un article d'Aurélie Bertrand (2020) " Inclure par l’empowerment L’hypothèse du tiers-lieu culturel La Bulle ", fait apparaître 3 nouveaux niveaux à l'échelle d'Arnstein. La source de cette représentation serait : https://www.collectif-creatif-des-territoires.fr/

Ces 3 nouveaux niveaux seraient le lieu d'une " Modélisation et capitalisation" définie comme suit : "à partir de "partenariats" une action réflexive permet de capter les bénéfices des méthodes de participation mise en place en vue d'une diffusion méthodologique, en vue de transfert d'expérience ou comme exemple pour inspirer ou commanderr cette prestation" :

  • Niveau 9 Diffusion citoyenne : "les citoyens fédérés autour de la définition du programme sont les vecteurs de diffusion pour mobiliser les parties prenantes nécessaires à la mise en oeuvre du programme.
  • Niveau 10 Actions individuelles : "Les citoyens (habitants, acteurs économiques locaux...) réalisent eux-mêmes une partie du projet qui a fait consensus, que ce soit une intervention temporaire ou perenne.
  • Niveau 11 Actions coordonnées : ""Les citoyens (habitants, acteurs économiques locaux...) collaborent à divers niveaux (opérateurs, contributeurs, supports...) pour mettre en oeuvre le projet sur lequel ils se sont accordés, allant parfois jusqu'à une gouvernance partagée.

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Réflexions d'une bibliothécaire qui veut en faire plus pour la transition
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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 13:57

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Publication

13 janvier 2022

Modification

4 août 2023 12:00

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