Prendre sa retraite ou prendre celle des autres?

Lorsque j’ai pris ma retraite il y a bientôt six ans, j’ai senti ce besoin que j’avais et que les autres avaient de chercher à me trouver une nouvelle petite case. Si je n’étais plus mon emploi, j’étais qui/quoi? Et qu’est-ce que j’allais faire maintenant?

Travailleuse sociale de formation, intervenante dans le milieu communautaire par choix, puis prof en travail social par hasard, quoi faire à la retraite sinon que de m’impliquer socialement. Rapidement, un ami et ancien collègue m’a suggéré de faire du bénévolat dans un organisme offrant des services à des personnes en situation d’itinérance. Comme j’étais réticente à m’engager dans un milieu où j’avais déjà été intervenante, une autre amie m’a suggéré d’aller plutôt faire de l’aide aux devoirs dans une école de mon quartier, ou de siéger sur le C.A. d’une maison de la famille… Bref, mon entourage souhaitait que je m’occupe! Après tout, avec la retraite, ma santé physique et mentale était maintenant plus à risque, comme me le rappelaient sans cesse nos gouvernements, l’Organisation mondiale de la santé, Radio-Canada et ma tante Marie…

Et, bien sûr, je souhaitais moi aussi demeurer active et continuer de contribuer à ma société. Mais comment contribuer? Et où? Et à quel rythme? Et quand le faire? Faut dire que si on me suggérait fortement de m’impliquer socialement, on me suggérait tout aussi fortement de prendre du temps pour ne rien faire d’utile… il fallait savoir décrocher après tout!

Donc décrocher! Toutefois je voyais bien dans les conseils qu'on me donnait qu'il y avait des façons de décrocher et de ne rien faire d’utile qui étaient plus valorisées que d’autres… Ainsi, en début de retraite j’ai vécu une période où tout ce que j’avais envie de faire était de prendre de longue marche avec mon chien, de flâner dans différents cafés de Montréal et d’être particulièrement fine et bienveillante avec mes proches et avec les gens que je côtoyais au quotidien. Mais, selon plusieurs personnes, mon « projet » de retraite manquait définitivement d’envergure!  Et mes activités quotidiennes leur paraissaient bien insuffisantes comme occupation. À la retraite, me disait-on, il faut (remarquez l’injonction) en profiter pour (et là les propositions variaient selon mes interlocuteurs) : voyager, faire du yoga, faire Compostelle, lire tous les livres qu’on n’a pas eu le temps de lire, suivre des cours (pourquoi pas en histoire de l’art?), faire un séjour de coopération internationale et s’inscrire à un cours de cuisine dans un petit village en Sicile (peut-être qu’il y aurait possibilité de combiner coopération internationale et cours de cuisine?).

Idéalement, je devais aussi tisser des liens intergénérationnels et être une proche-aidante sans y perdre ma santé, tout en m’assurant aussi de ne pas perdre de masse musculaire et d’être en mesure de faire face au défi de la transition numérique. Après tout, pour profiter pleinement du monde moderne et ne pas vieillir trop vite, je me devais d’être apte à suivre l’évolution des outils technologiques. Un peu bousculée par tant de choses à faire (j’étais à la retraite quand même…) et peu tentée par le voyage culinaire en Sicile, j’ai décidé de prendre un contrat ponctuel de quelques mois et de retourner au boulot. Olalalala… La preuve que je n’étais pas arrivée à réussir la transition entre le travail et la retraite venait d’être faite! Sans mentionner qu’en retournant travailler, je volais sûrement la place d’une plus jeune que j’empêchais ainsi d’accéder à un emploi. Malgré la culpabilité qui me tenaillait, j’ai continué à prendre des petits contrats qui avaient en commun de faire travailler mes méninges et de rejoindre mes intérêts, mes valeurs et mes expertises. Mais un jour, une voisine bien intentionnée à qui je racontais comment je me sentais après une première année à la retraite m’a dit avec une assurance absolue : « arrête de t’accrocher au travail, ton travail maintenant c’est de t’occuper de toi et de faire du bénévolat, à la limite tu pourrais faire du jardinage communautaire… ». 

Voilà, je venais d’arriver à un âge où mon travail consistait maintenant à faire du bénévolat! Arrivait donc une autre injonction qui s’ajoutait à celle de profiter de la retraite en voyageant, en prenant des cours, etc. Une injonction qui m’a suffisamment interpellée pour que j’aie envie d’y réfléchir un peu plus avant d’aller cogner à la porte de tous les organismes communautaires qui se trouvaient sur mon chemin.

À suivre... (peut-être)

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Récits (ou radotages?) d'une retraitée du travail social
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Intégré par Guylaine Racine, le 7 mars 2025 16:58

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Publication

7 mars 2025

Modification

10 mars 2025 18:52

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Pour citer cette note

Guylaine Racine. (2025). Prendre sa retraite ou prendre celle des autres?. Praxis (consulté le 23 mars 2025), https://praxis.encommun.io/n/akXlAiawmTlbOc2TuVMM6O_EBVg/.

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