Décentraliser ou privatiser le système de santé ?

À la fin de l’année 2022, la Fédération québécoise des municipalités (FQM) a adopté en assemblée générale une position sur la décentralisation du système de santé et de services sociaux. En prémices, la FQM fait le constant que le Québec a un des systèmes de santé les plus centralisés et les plus concentrés au monde. Elle identifie que la gestion des CISSS et des CIUSSS est marquée par « l'incapacité du système à adapter les services de santé et sociaux aux besoins de nos communautés ». C’est pourquoi elle recommande de miser sur la prévention en santé des populations appuyée sur une vision de développement social des collectivités, et de « Refonder le réseau sur la base des centres locaux de services communautaires (CLSC) dont l'objectif originel était de répondre aux besoins biologiques, psychologiques et sociaux des populations, en termes de ressources, de services et d'accès, en concertation avec les élus.es et intervenants du milieu. »

La FQM souhaite une gouvernance partagée du système de santé en demandant d'inclure une participation des élus municipaux aux instances régionales en santé. De manière très concrète, il est réclamé de nommer un cadre supérieur par territoire de MRC qui aura la responsabilité de faire le lien entre le CISSS/CIUSSS et les élus.es de la MRC, et de « doter ce gestionnaire-cadre des pouvoirs et des moyens nécessaires pour établir et mettre en œuvre un plan d'action pour la prestation des services de santé et de services sociaux en accord avec le conseil de la MRC. »

Ces enjeux de gouvernance sont aussi identifiés par le Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) qui a publié un rapport sur la gestion de la première vague de COVID-19c, où il est établi que la gouvernance du système figurait parmi les principales vulnérabilités au moment d’entrer dans la pandémie. Le rapport constate que la gouvernance est orientée sur les volumes de production, sur l’accès aux services hospitaliers et médicaux et sur le contrôle des coûts de ceux-ci, parfois au détriment des résultats de santé. La centralisation de la gestion, le manque de marge de manoeuvre pour les établissements et le manque de transparence sont également des enjeux de gouvernance soulevés dans le rapport du CSBE, ce qui freine le développement d’une offre services orientée sur la valeur, soit sur les résultats de santé et de bien-être qui comptent vraiment pour les personnes et les collectivités. Une gouvernance partagée et démocratique du système de santé et de services sociaux contribuerait à le recentrer sur les besoins plutôt que de laisser se structurer en fonction des contraintes institutionnelles ou des impératifs gestionnaires, voire politiques, dont les déclarations de foi en faveur de la privatisation.

Mais qu’en est-il au royaume des services de santé privés, les États-Unis, où plus de 90% de la population détient une assurance maladie privée ? Selon la Fondation Henry Kaiser Family, le coût moyen annuel d'une telle assurance s'élève entre 6251 $ et 17545 $ pour une famille de 4 personnes, selon la couverture choisie. On constate aussi que les dettes pour soins médicaux augmentent sans arrêt. Les Américains ont plus de dettes médicales en recouvrement—au moins 140 milliards de dollars - que tous les autres types combinés, selon une analyse parue en 2021 dans le Journal of the American Medical Association. Près de 1 ménage sur 5 a une dette médicale d'une médiane de 2 000 $. Les franchises et les co-assurances élevées des régimes privés sont une des principales causes de ces dettes.

La privatisation de la santé correspondrait à un détournement massif de ressources et de pouvoir d’achat des citoyennes et citoyens québécois vers l’industrie des assurances et celle grandissante des soins de santé privés. Mais avec quels résultats ? Malgré la part disproportionnée que représentent les soins de santé dans le PIB aux États-Unis par rapport aux autres pays de l’OCDE, l’espérance de vie y est la plus basse parmi tous ces pays, et la mortalité infantile parmi les plus hautes.

L’engagement de la CAQ de construire des « mini-hôpitaux » privés contribuera à la privatisation de la santé en dépit de ses échecs avérés.  Pour sortir de la spirale de la privatisation, il faut d’abord considérer le système de santé et de services sociaux au Québec comme un bien commun et mettre en mouvement sa démocratisation en décentralisant la première ligne vers les communautés locales avec une nouvelle gouvernance qui assure la participation des instances municipales et des élus locaux, mais aussi de la société civile dont les organismes communautaires, ainsi que des communautés des Premières nations qui le souhaitent.

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Santé - Enjeux, leviers et stratégies
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Intégré par Équipe En commun, le 17 avril 2023 17:48
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Réfléchir (rapport, analyse, veille, opinion), Privatisation de la santé
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Décentraliser ou privatiser le système de santé ?
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Intégré par Denis Bourque, le 12 avril 2023 19:40

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12 avril 2023

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4 juillet 2023 15:20

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