Pourquoi et comment Jeunes Marins Urbains doit être soutenu par toutes les bibliothèques du Québec

Cette vidéo d’Yves Plante sur le projet Jeunes Marins Urbains publiée par le groupe de recherche en histoire et sociabilités (GRHS) me permet de détailler pourquoi et comment toutes les bibliothèques devraient appuyer cette formidable initiative. Vous pensez que ça serait une bonne idée, faites-le savoir !

POURQUOI ?

Le projet Jeunes Marins Urbains (JMU) touche au cœur de la mission des bibliothèques mais aussi des enjeux de l’heure. La mission des bibliothèques est « d’améliorer la société en facilitant la création de connaissances ». Dans ce cas, il s’agit d’une amélioration cruciale à notre époque : conforter notre pouvoir de continuer à être en commençant par être davantage présents à nous-mêmes et à notre territoire. JMU promeut des objectifs transformationnels activement défendus par le milieu de la transition et de l’éducation relative à l’environnement mais aussi, de plus en plus, par nos institutions.

À lui tout seul, le projet JMU permet de mettre en œuvre l’ensemble des 8 facettes d’interventions des bibliothèques :

1. Ressources partagées

Comme les livres et les objets de plus en plus prêtés par les bibliothèques, la construction navale et la navigation sont deux formidables véhicules pour la connaissance. Par cette facette de leur activité les bibliothèques permettent traditionnellement aux membres de leur communauté de réaliser des économies par l’achat collectif et le prêt de documents. Mais elles organisent aussi des échanges d’objets directement entre citoyens. Par exemple la mise en place de grainothèques ou de micro-bibliothèques dans l’espace public ou encore le soutien à l’échange de jeux et jouets entre citoyens. Un bateau JMU est réalisé bénévolement par les gens pour les gens avec les frênes fournis par la municipalité et des subventions publiques. Comme les livres, il peut être considéré comme un bien commun de la connaissance mis à disposition de la communauté pour servir au plus grand nombre. Chaque arrondissement de Montréal prévoit d’avoir au moins un bateau mis à disposition de ses concitoyens. On peut rêver d’aller plus loin : une bibliothèque, un bateau ? C’est un objectif concret et atteignable au moins pour les bibliothèques desservant plus de 10 000 habitants ainsi que celles des universités !

2. Stimulant économique

À travers ce volet de leur activité, les bibliothèques soutiennent l’économie marchande (atelier de recherche d’emploi ou réseautage d’affaires par exemple) mais elles soutiennent aussi activement des modèles alternatifs de création de biens et de services :

  • En montrant qu’on peut partager, économiser ou réutiliser des ressources locales
  • En montrant qu’on peut fabriquer soi-même : les ateliers « fais-le toi-même » sont très communs en bibliothèques.
  • En signalant et mettant en valeur les ressources et patrimoniales du territoire afin que celles-ci soient davantage utilisées;
  • En soutenant l’économie sociale et écoresponsable et l’implication citoyenne.

L’aspect fabrication est de plus en plus défendu en bibliothèques : Mise à disposition d’outils high tech (makerspace, medialab) ou low tech (ruche, jardins partagés, foodlab...) pour l’apprentissage par le faire. Elles répondent aussi au besoin important bien repéré par Yves Plante, de permettre à des familles ou des gens qui ne se connaissent pas de faire l’expérience, devenue rare, de fabriquer ensemble. Ici l’expérience est adaptable, dans les murs de la bibliothèque ou hors les murs. Cette expérience peut aussi être considérée comme une activité d’animation permettant d’éveiller la curiosité sur la navigation et le fleuve et donner lieu plus tard à la valorisation de nombreux éléments patrimoniaux locaux et documents conservés dans nos bibliothèques.

3. Centre d’apprentissage

Les bibliothèques mettent en œuvre ce volet important de multiples façons. Toutes sont exploitables dans le cadre de JMU :

  • Mise à disposition d’outils pour l’apprentissage par le faire tel que précédemment cité.
  • Scientifiques, environnementalistes et artistes en résidence : le projet JMU touche bien sûr aux domaines techniques et scientifiques mais aussi artistique : les bateaux sont décorés et peuvent servir de base à de nombreuses expériences créatives.
  • Visites guidées : mondialement, les bibliothèques s’impliquent de plus en plus dans le domaine de « l’outdoor éducation ». Dans cet article, Richard Louv constate ainsi en 2019, que les bibliothèques sont des « institutions parfaites, bien qu'inattendues, pour connecter les gens à la nature ». Citons aussi l’expérience novatrice conduite de mai à septembre 2021 à la bibliothèque Ahuntsic par l’écrivaine en résidence Karine Légeron intitulé À la (re)découverte géopoétique d’Ahuntsic.
  • Bibliothèques vivantes, échanges de compétences entre pairs, repérage et contact avec des experts locaux en fonction des intérêts : Ces échanges sont bien sûr au cœur de la raison d’être de JMU, et ce qui est plus rare en bibliothèques, dans un cadre particulièrement inclusif. Les bibliothèques pourraient contribuer à alimenter les échanges en soutenant le recours à davantage d’experts du domaine notamment en facilitant la création de capsules vidéo documentant le travail d’experts locaux à la fois sur l’état réel du Fleuve (comme l'a fait le réseau de bibliothèques de Laval avec sa vidéo de Nathalie Lasselin plongeant dans le Fleuve) ou encore sur les réalités et l’histoire de la navigation et de la construction navale au pays.
  • Mise en contact avec des animaux. On ne le sait peut-être pas suffisament, les bibliothèques invitent souvent des animaux dans leurs murs, chiens, animaux exotiques, poules et canards... Il s’agirait dans ce cas d’animaux locaux et in situ, les poissons, les oiseaux, les insectes qui peuvent être aperçus près du fleuve même en milieu urbain.
  • Etc, la liste des ateliers et initiatives à associer potentiellement à ce projet citoyen complexe est immense !

4. Filet de protection sociale

Soutien aux populations vulnérables, y compris les nouveaux-arrivants, les adolescents, les jeunes enfants, les personnes âgées et toutes les personnes qui pour diverses raisons, y compris en raison de leurs faibles revenus, vivent de l’isolement ou de l’exclusion. La contribution à la santé psychique, tout particulièrement à risque en ces temps de pandémie et d’éco-anxièté, en offrant des occasions de rencontrer des gens différents, de faire équipe, de bouger, d’exercer sa créativité et sa capacité à rêver en mobilisant tous ses sens, de s’intéresser à quelque chose de complexe à son rythme et en valorisant des intelligences multiples est bien sûr pratiquées par les bibliothèques. Elle est ici au cœur des activités proposées par JMU qui, depuis 2015, a démontré de mille et une façons son impact positif de ce point de vue.

5. Gardienne du patrimoine

Le fleuve et la navigation sont des ancrages culturels forts à valoriser et redécouvrir. JMU rallume la flamme de la curiosité et les bibliothèques peuvent bien sûr contribuer à alimenter cette flamme de diverses façons. Les bibliothèques conservent la mémoire mais aident aussi à produire l’information manquante. Produire et faire exister dans l'espace public ce qui n’est pas bien représenté ou négligé par la culture dominante est d’actualité en bibliothèque comme ailleurs et le thème du fleuve et de la navigation offre de ce point de vue des tas d’opportunités de le faire. À l’instar des galeries, musées et archives, les bibliothèques encouragent de plus en plus souvent la contribution citoyenne aux communs de la connaissance Wikipédia, Wikidata, Wikisource etc. Un projet d’ateliers Wikipédia ou de production de capsules vidéos connexes à JMU pourrait être développée au fil des années y compris pour garder mémoire de tous ceux et celles qui, à divers titres, ont pris soin du Fleuve.

6. Tiers-lieu

Comme le projet JMU, les bibliothèques visent à développer les liens sociaux, la confiance et la cohésion sociale. Par extension, elles visent à promouvoir la diversité et l’inclusion et leurs bienfaits pour la communauté. Au-delà de ce recouvrement parfait d’objectifs, le lieu bibliothèque en tant que lieu public peut contribuer à faire connaître et valoriser, par une exposition de photos ou d’objets, ce projet collectif porteur pour la communauté. Elles pourraient aussi soutenir l’intérêt et le réseautage pendant les mois d’hiver en mettant en place des clubs « changer le monde un bateau à la fois » dont les souhaits d’activités et d’évènements seraient soutenus par les bibliothèques.

7. Berceau de la démocratie

Cette facette de l’activité des bibliothèques consiste à faciliter l’expression et la prise de parole sous toutes ses formes mais aussi le débat et la contribution citoyenne (université autrement, café philo, collection coup de poing invitant à la réflexion critique…). Il s’agit aussi d’éducation aux médias et à la recherche d’information, mais aussi et surtout, de fourniture d’une information fiable. Les bibliothèques pourraient soutenir le projet JMU de toutes ces façons. Là aussi le projet JMU fait naître le désir et l’intérêt et les bibliothèques les nourrissent :

a) Particulièrement inspirant, le projet JMU fait l’objet depuis ses débuts d’une intense documentation, vidéo notamment. Elle pourrait être étendue dans le cadre d’ateliers de création (BD, écriture autobiographique sur son rapport à l’eau et au fleuve, zines de sensibilisation aux usagers du fleuve, ateliers tels que ceux mis en place par Édith Planche, pour aider les enfants à sortir du rationnel omniprésent et à réactiver, par l'art et la poésie, l'existence de liens plus sensibles à la nature, une forme de "pensée sauvage".

b) L’intérêt pour le projet pourrait aussi donner lieu à d’autres ateliers de sensibilisation et d’engagement citoyen : ateliers de nettoyage des berges et de science citoyenne comme ceux organisés conjointement par WWF et De Ville en Forêt ; visite, documentation et information sur la station d’épuration à Montréal etc...

c) On pense aussi à des ateliers de recherche d’information sur le thème « d’où vient l’eau que je bois » ou en réponse à d’autres questionnemenst qui naissent de l’expérience de navigation sur le fleuve.

d) Seules ou avec des partenaires, les bibliothèques peuvent aussi contribuer à initier, nourrir et soutenir le débat sur des « questions vives » comme « usages et usagers du fleuve, lesquels privilégier? ». Dans ce cadre, le travail de Majo Hansotte peut être mis à profit pour mettre en récit des situations injustes ou destructrices afin de susciter la réaction et une implication active. Cette méthode, utilisée dans le milieu de l’éducation relative à l’environnement et transférable dans celui des bibliothèques met à profit 4 intelligences : déconstructive, narrative, prescriptive et argumentative.

8. Symbole des aspirations de la communauté

Les bibliothèques peuvent faire la promotion de ce projet rassembleur auprès de la communauté par exemple en ayant en tout temps une maquette des bateaux JMU dans leurs locaux avec un appel à participation. Elles peuvent aussi faciliter de différentes façons cette participation (par exemple par une navette vers les sites au départ des bibliothèques sur le modèle des bibliothèques qui facilitent la découverte des parcs nature avoisinants). Elles peuvent souligner de différentes façons les avancées du projet, par exemple en affichant chaque année le nombre de bateaux construits et le nombre de personnes qui ont pu en bénéficier en contribuant à documenter et faire connaître leur expérience. Les bibliothèques ont aussi une influence par leurs célébrations à dates régulières d’un certain nombre de fêtes et commémorations. En 2022 JMU met en place les journées « Aime ton Fleuve » qu’il serait particulièrement pertinent pour les bibliothèques de célébrer chaque année et ceci d'autant plus que plusieurs organismes, municipalités et groupes autochtones revendiquent maintenant pour le fleuve Saint-Laurent le statut de personnalité juridique afin de mieux le protéger.

COMMENT ?

Voici un récit fictif de comment une équipe de bibliothèque pourrait adopter le projet JMU comme projet de service :

Noémie Pelletier, chef de section à la bibliothèque x est préoccupée par les directives du bureau de la transition récemment transmises par sa chef de direction. Un courriel de la direction des bibliothèques la presse également de redoubler d’efforts. Ça fait des années que la bibliothèque met en place des ateliers sur le développement durable mais on tourne un peu en rond et Noémie a tendance à douter de leur véritable impact. De plus, la fréquentation est rarement au RDV. Et puis comment faire mieux quand on manque de ressources à ce point ? Après les efforts intenses pour s’adapter ces dernières années à la pandémie, Noémie sent bien que son équipe aurait besoin d’un bon coup de pouce pour garder le moral d’autant plus que les activités de la bibliothèque sont régulièrement interdites par les consignes gouvernementales liées à la pandémie.

Sa fille étudiante à l’UQAM est une militante de la Coalition pour un virage environnemental et social (CÈVES). Elle vient de lui transmettre cette vidéo sur le projet JMU. Noémie y voit du potentiel, se documente et repère sur la page Facebook de JMU une vidéo plus courte présentant les activités 2021 qui lui donne envie de proposer cet été une expérience de navigation sur le fleuve à son équipe comme activité de team building ressourçante. Noémie sait, par son beau-frère enseignant, que de plus en plus d’écoles organisent des activités à l’extérieur. La direction des bibliothèques a d’ailleurs récemment organisé une formation professionnelles sur « bibliothèques et Outdoor education » qui l'a beaucoup intéressée. L’an dernier la bibliothèque a déjà organisé un prêt de sacs à dos d’exploration du quartier à la demande d’un collectif citoyen. Elle a toujours pensé que le grand hall d’accueil de la bibliothèque faisait un peu vide : quel beau message d’espoir s’il était occupé une partie de l’année par un grand bateau fruit de l’activité citoyenne et aux couleurs de l’arrondissement ! Noémie prend la décision d’en faire l’objet de sa prochaine séance de travail avec son équipe. On regardera la vidéo sur JMU de 6 minutes ensemble et on poursuivra sur un brainstorming de 20 minutes sur le thème « Comment pourrait-on soutenir le projet JMU ? ».

Noémie est une habituée des pratiques de Design thinking avec son équipe et elle fait ce qu’il faut pour que la séance soit agréable et productive : si l’imagination vient à se tarir, on utilisera les 8 facettes de l’activité des bibliothèques pour la relancer. Le jour J, la séance témoigne de l’intérêt des membres de son équipe pour le projet. Ils voient tout de suite l'utilité de placer bon nombre de leurs activités habituelles sous ce chapeau fédérateur. Mickael, le responsable jeunesse pense que la réalisation de maquettes pouvait être une activité à proposer aux classes qui viennent habituellement à la bibliothèque et Ha loan, la responsable du fablab de la bibliothèque a déjà quelques idées pour lui donner un coup de main. Elle est tout particulièrement emballée par les activités bi-générationnelles organisées en ligne par JMU. Tous sont convaincus qu’en en faisant un projet de service sur plusieurs années, il serait plus facile de défendre le projet et de faire toujours mieux avec les fonds limités actuels. Si le projet devient celui de plusieurs bibliothèques, on pourra mutualiser les ressources mais aussi trouver plus facilement du financement.

Lisette, qui s’occupe des services aux ados, fait valoir que ça serait une bonne idée de recueillir le point de vue du club ados à ce sujet. Elle est finalement chargée par le groupe de constituer un groupe de travail élargi pour nourrir le projet. Lisette écrit à Yves Plante pour lui demander si lui ou un ou une des bénévoles de JMU seraient intéressé-e-s à participer au groupe de travail, elle fait aussi un appel à participation sur la page Facebook de la bibliothèque et sur le babillard de l’entrée. Elle appelle quelques partenaires réguliers de la bibliothèque qui pourraient être aussi intéressées comme Caroline Saunier qui a l’habitude d’organiser des ateliers créatifs à la bibliothèque et bien sûr tous les partenaires en environnement ou en transition, avec qui la bibliothèque travaille déjà, pour sonder leur intérêt à s’associer au projet. Elle a entendu parler de la plateforme "bibliothèques en transition , l'accélérateur" et pense également utiliser cette source pour avoir davantage d'idées et de partenaires pertinents.

On met en place un document partagé pour noter et documenter toutes les idées. Elles sont si nombreuses qu’il devient nécessaire de réfléchir à comment faire un choix. À la fin on organise un vote public et on demande aussi à Yves Plante de donner son avis et de proposer de voter aux bénévoles de JMU. Tout ce projet a été une belle occasion pour l’équipe de la bibliothèque de progresser en matière de participation citoyenne. Il faudra continuer à se former pour faire toujours mieux à ce sujet.

Noémie se demande quels indicateurs pourraient servir à évaluer si ce projet, et son objectif global de reconnexion de la population au fleuve, est un succès. On consultera les membres du groupe de travail sur les moyens d’évaluer plus qualitativement le projet mais elle pense que compter tout simplement le nombre de personnes qui auront effectué au moins une fois une navigation sur le fleuve grâce à l’intervention de la bibliothèque serait un bon début. Elle se promet de commencer par les membres de son équipe et prend aussitôt son téléphone pour organiser la chose avec ses collègues.

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Tiers-lieux - Outils pratiques pour davantage d'impact transformateur
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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 13:58

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Publication

11 janvier 2022

Modification

5 août 2023 17:11

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