L'éducation dans l'Anthropocène : un problème d'échelle.

Dans un texte récent, la chercheuse norvégienne Hanne Svarstad (2021) écrit que :

« The challenges of global climate change  will require responsible action for decades to come, but such action is not likely to be taken unless citizens learn how to examine the reasons behind the climate emergency and how to explain why major mitigation choices so far have failed to provide effective and just solutions. » (Svarstad, 2021, p. 215)

Au cours des dernières semaines, j'ai lu plusieurs ouvrages sur l'Anthropocène (sur sa définition, l'origine du concept, sa pertinence, etc.). Plusieurs auteur·rices concluent que l'Anthropocène est marquée par le fait que l'être humain manipule des forces comparables à celles mises en mouvement de l'orbite terrestre ou des plaques tectoniques. Dipesh Chakrabarty (2023), historien de son état, soutient ainsi que l'être humain doit dorénavant être considéré comme une force géologique. Il donne plusieurs exemples pour justifier cette affirmation. L'exemple qui me semble le plus frappant est cette idée que l'être humain déplace plus de terre et de minéraux annuellement que toutes les autres forces géologiques en présence.

Si on admet que l'être humain est dorénavant une force géologique, on doit aussi admettre que notre espèce le restera jusqu'à que ce qu'elle perde cette capacité ou qu'elle ne disparaisse. Dans les deux cas, il est difficile d'imaginer que cette possibilité se concrétise sans une ou des crises majeures entrainant morts et souffrances à une échelle sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Or, si l'être humain est réellement devenu une force géologique et que, selon toute vraisemblance, il le restera, ça implique, ce me semble, qu'à partir d'aujourd'hui, chaque génération qui suivra devra, pour chacune de ses décisions collectives, choisir consciemment l'option qui ne met pas en péril l'habitabilité de la planète. Il parait impossible de reculer. Dorénavant, chaque génération sera pleinement responsable, comme ce ne fut jamais le cas auparavant, de choisir de vivre sur terre et de conserver son habitabilité.

Cette situation est totalement inédite. Il y a sûrement quelques comparaisons possibles, mais aucune de cette envergure.

Or, les implications de cette situation semblent peu explorées en éducation. Plusieurs auteur·rices, comme Svarstad (2021) plus haut, avancent qu'il faut enseigner les changements climatiques. Souvent, ils et elles parlent de l'urgence d'agir. Moins souvent, de l'importance d'agir collectivement. Mais généralement, il n'est question que des enjeux auxquels fera face la prochaine génération, dans les quelques prochaines décennies. Pourtant, l'Anthropocène ne se mesure cependant pas en décennie, mais en millénaires. Peut-on imaginer une éducation de l'Anthropocène à cette échelle? À l'échelle non pas de la seule prochaine génération, mais aussi de celle qu'elle engendra et des quelques milliers qui la suivront? 

En histoire, nous apprenons que Périclès vécut au Ve siècle avant notre ère. Il y a donc plus ou moins 2500 ans. Or, le carbone que nous mettons dans l'air aujourd'hui a un cycle de vie de plusieurs dizaines de milliers d'années. Ainsi, à titre illustratif, parce que les modifications à l'atmosphère se calculent en milliers d'années, il importe donc non seulement que notre génération cesse d'ajouter du carbone dans l'atmosphère et que nous éduquions la prochaine pour qu'elle poursuivre cette oeuvre, mais que toutes les générations qui suivront prennent aussi la décision collective de poursuivre dans cette voie. Essentiellement, même si le temps qui nous sépare de Périclès ne permet pas de bien saisir l'ampleur du problème auquel nous sommes confrontés, il faudrait essentiellement qu'il fût possible, au temps de Périclès, qu'une décision soit prise qui fût reprise volontairement d'une génération à l'autre pendant 100 générations, à travers la chute d'Athènes, l'Empire romain, le Moyen Âge, la Renaissance, l'ère industrielle, jusqu'à nous, et ce, à dans toutes les communautés de la planète.

On peut imaginer des exemples de traditions multimillénaires qui persistent aujourd'hui. On connait des sociétés qui ont eu cette souplesse. Elles sont cependant radicalement différentes de celles que cherchent à entretenir nos systèmes d'éducation. 

Même une éducation aux changements climatiques, aussi essentielle soit-elle, ne permet pas de saisir l'ampleur de ce qu'implique l'être humain comme force géologique sur nos sociétés et sur les visées de l'éducation. Il y a un problème d'échelle qu'il faudra nécessairement envisager.

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Les Carnets Dédalus - Réflexions de C.-A. Bachand
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Intégré par Charles-Antoine Bachand, le 27 avril 2023 17:18

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27 avril 2023

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28 juin 2023 13:17

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