Voies d’une éducation populaire collective (Montréal)

Comment arriver à partager un bagage de compréhension commun sur ce qui nous arrive le plus rapidement possible ? Voici quelques pistes pour y arriver.

La douzaine de bibliothèques publiques présentes dans mon milieu de vie semble s’impliquer encore assez peu en matière de mise en valeur (recommandation, animation, médiation…) de leurs documents relatifs au thème de la transition/résilience et ceci en dépit des conseils à ce sujet (note 1).

D’une façon générale, les préoccupations socio-environnementales, pourtant omniprésentes dans les médias, ne sont pas encore très visibles dans l'espace de nos institutions publiques alors même que l’on sait que près d’une personne sur 2 se perçoit comme éco-anxieuse (ou éco-consciente) et qu’à tous les âges l’isolement de toutes ces personnes est bien réel.

Des tables de présentation de documents sont bien proposées ponctuellement, surtout lorsque l’espace disponible s’y prête, mais des dispositifs permettant de piquer la curiosité des visiteurs sur ces documents et d’engager la conversation – une pratique également recommandée dans la littérature professionnelle – y sont assez rares. Une exception remarquable notée récemment à la bibliothèque de Petite-Patrie : « Comment va le monde ? », une installation à base de collages d’articles de presse réalisée à l’initiative de 2 vaillants bibliothécaires pour accompagner une sélection de livres portant sur l’actualité de l’économie sociale et politique. Cette modeste mais bien réelle innovation créative ne semble pas pouvoir encore être partagée à d’autres bibliothèques ou tiers-lieux qui pourraient en bénéficier.

On aurait aimé voir associer à ces mises en valeur, une offre de club de lecture ouvert à toustes comme le Club de lecture virtuel sur la crise climatique et la justice environnementale « Climate read » aux USA (note 2).

Repérer et soutenir dans nos espaces publics des initiatives semblables déjà présentes dans la communauté seraient bien sûr à recommander. Il s’agit en effet, maintenant et plus que jamais, d’aider à cheminer dans les transformations personnelles déjà engagées (auto-formation mais aussi apprentissage progressif de l'écocitoyenneté) en facilitant l'étape précieuse de la prise de parole et de son inscription d’une façon ou d’une autre dans l’espace public. Cette prise de parole prépare à une action qui sera d'abord locale et aura vocation d'ouvrir à l'action collective (note 3).

Dans les bibliothèques de mon milieu de vie, mais aussi dans d’autres tiers-lieux semblables de ce même territoire, y compris lorsque ces lieux sont spécialisés en transition comme L'Espace des possibles La Petite-Patrie , on ne peut que constater que les initiatives d’éducation non-formelles proposées manquent encore de visibilité, de structure, de récurrence et surtout de mise en liens avec les réalités et données concrètes propres au territoire pour faire une réelle différence…

Bref, elles semblent manquer d’intention transformatrice véritable (note 4) et ceci en un temps d’urgence qui rendrait nécessaire la collaboration entre tiers-lieux d’une même zone géographique pour davantage d’impact collectif.

L’interprétation/médiation, une des modalités de l'éducation, fait habituellement référence aux activités éducatives des parcs et des musées, des institutions mieux connues par la recherche en Éducation relative à l’environnement (ERE) que les bibliothèques. Il s’agit dans le cas des musées et des parcs de donner du sens aux réalités en constatant qu’il ne suffit pas d’observer les objets ou de les nommer mais qu’il faut aussi les situer en contexte, les relier et mettre en évidence l’univers de significations dans lesquelles ils s’inscrivent.

Or pour donner du sens, participer à faire comprendre, il faut avoir soi-même compris ce qui est rarement le cas en raison de la complexité des problèmes à embrasser mais aussi de notre peu de temps à y consacrer. C’est là le frein principal. Le Centr’ERE (UQAM) propose bien une précieuse formation courte à toute personne de niveau maîtrise qui le souhaite mais elle est sans doute encore trop longue (un an de cours du soir avec travaux) et trop peu accessible. Une autre proposition, déjà pratiquée de quelques bibliothèques, est bien sûr d'organiser " une fresque du climat " mais cette proposition utile semble toutefois insuffisante du point de vue qui nous intéresse ici.

Un premier pas est de reconnaître avec humilité notre ignorance et notre besoin général d’appui sur cet enjeu par ailleurs si chargé en émotions et conflictualités potentielles. Au-delà de ce premier pas nécessaire, une initiative new-yorkaise pourrait, je crois, contribuer efficacement à nous sortir du dilemme du comment contribuer à éduquer quand on ne l’est pas soi-même. Cette initiative pourrait nous aider à cheminer et constituer un premier bagage commun pour se préparer à l'action individuelle ou collective.

Il s’agit de l’initiative Think Resilience , un cours en ligne, proposé gratuitement en plusieurs langues, dont le français, par le Post Carbon Institute . Cette formation de préparation à l’action propose vingt-deux conférences vidéo - environ quatre heures en tout - avec Richard Heinberg , un des experts mondiaux sur l’urgence et les défis de la transition de nos sociétés vers l’abandon des combustibles fossiles. Elle porte sur 2 questions principales : 1. Comment donner un sens aux défis complexes auxquels la société est actuellement confrontée ? Quelles sont les forces systémiques sous-jacentes en jeu? Qu'est-ce qui nous a amené là ? Et 2. Comment renforcer la résilience de la communauté ?

Chaque intervention de quelques minutes se voit associée à des références de livres et autres ressources en ligne. Un forum permet la discussion entre participants et on propose à chaque étape d'accéder à des œuvres artistiques en relation avec chaque sous-thème (Pour une description plus complète, voir l’aperçu du cours ). Chacune des 22 interventions vidéos ou des 6 grandes sections de ce cours pourrait constituer un thème de discussion-partage à proposer dans le cadre d'un club de lecture.

À Montréal, je crois qu’on pourrait partir de cette base new-yorkaise et l’enrichir de nos œuvres artistiques et autres trouvailles locales. Y seraient aussi ajoutées – et ceci en mode collaboratif et le plus rapidement possible – des informations propres à Montréal et au Québec qui permettraient d’ancrer ce portrait général dans nos réalités propres mais aussi de passer plus rapidement à de l’action citoyenne concrète et concertée.

En plus de soutenir et de participer à cette initiative, les bibliothèques de Montréal pourraient en profiter pour s'assurer de former les membres de leurs équipes et de compléter leurs collections. En complément, elles pourraient également contribuer à répertorier et promouvoir d'autres formations en ligne pertinentes offertes gratuitement, surtout lorsque celles-ci ont été mises au point par des montréalais ou des canadiens et concernent plus précisément nos réalités locales.

Selon les mots de Richard Heinberg, « Agir sans cette compréhension, c'est comme mettre un sparadrap sur une blessure profonde ». Alors quand est-ce qu’on commence ?

On consultera aussi ce même sujet l’article " Ces personnes sont là pour répondre à vos besoins " qui porte davantage sur la nature des documents à mettre en valeur. Si "Mères au front" invite ses membres à réclamer des documents aux bibliothèques, il n’y a pas, à ma connaissance d’initiative structurée de la part des bibliothèques pour faire connaître davantage cette possibilité aux lecteurs et lectrices les plus actifs à ce sujet ni pour les associer formellement aux politiques d’achat en la matière. Il y aurait pourtant et par exemple une grande pertinence à rendre ces ressources un peu moins occidentalo-centrées en signalant davantage les penseurs de haut calibre remarqués en Afrique, Inde, Amérique du sud et centrale, Asie etc, par des concitoyen-es qui les connaissent davantage. Il y a aussi des enjeux quant à la nature des documents choisis : documents autres que des essais, fiction, BD, cartes, littérature grise ou produite par la communauté. Un club de lecture peut être le lieu de ces repérages citoyens.

Notes

  • Note 1 :

Sahavirta (2013) indique que la mise en place d’étagères réservées, virtuelles ou réelles, (« eco-shelves », « green corners ») permet à la fois de contourner l’éclatement actuel de la thématique dans plusieurs cotes de la classification mais qu’elle constitue aussi un premier pas pour prendre davantage soin des acquisitions réalisées à ce sujet. Dans le même article et dans un contexte d’édition particulièrement foisonnante, il recommande également de préférer peu de documents à jour et de qualité à davantage de documents. En soutien à ce travail de curation, un comité citoyen ou encore des notes d’appréciations sur certains de ces ouvrages, rédigées par le personnel ET les citoyens qui le souhaitent, ados ou adultes, pourraient constituer un plus. Saharvita recommande aussi de faire de « l’animation » autour de ces sélections de documents c’est-à-dire de mettre en place des conditions donnant l’envie d’apprendre et de stimuler l’engagement actif des participants. L’animation est une des modalités du réseau notionnel de l’éducation bien connue des bibliothèques. Pour « augmenter l’intérêt de personnes qui n’auraient pas déjà à l’esprit les questions environnementales » et leur transmettre de l’information fiable à ce sujet, Sahavirta suggère par exemple d’associer aux sélections de documents des objets de nature à éveiller la curiosité comme un jeu fait de bâtonnets en bois invitant à deviner quels aliments à la plus grande empreinte carbone. Ces présentations de documents peuvent être aussi associées à des évènements à thèmes ou des activités.

Plus près de nous d'autres idées connexes ont été proposées aux Réseau des bibliothèques de Montréal par Marie Martel et ses étudiants : Gestion des bibliothèques et transition écologique , 30 juin 2020.

Source: Sahavirta, Harri. 2013. “… Proud That My Own Library Is Such a Responsible Operator!” Vallila Library in Helsinki Shows the Greener Way. in The Green Library - Die grüne Bibliothek , édité par P. Hauke, K. Latimer, et K. U. Werner. Berlin, Boston: De Gruyter Saur.

  • Note 2 :

Ce club fonctionne grâce à la collaboration d’auteurs du groupe « Writers Rebel », d’éditeurs et de bibliothécaires de la Brooklyn Public Library. Citons aussi, l’expérience de mise en place d’un club de lecture semblable par Dan Grace à la bibliothèque publique de Sheffield (UK) en 2014. Dans ce compte-rendu, Il note qu'en raison du manque d'accessibilité de plusieurs copies d'un même livre, "le groupe est passé de la lecture par titre, où tout le monde lit le même livre, à la lecture par thème" et que les gens appréciaient surtout "de rencontrer des personnes qu’ils n’auraient pas rencontrées autrement, d'entendre les idées des autres, tout en comprenant (un peu) de leurs backgrounds". Un des plus repérés a été aussi de contribuer à former des liens avec d'autres organisations "amies" dans la ville.

Source: Grace, Dan. 2014. Reading for a Better Future: Books For A Better Future (BFABF) and Sustainability Literacy in a UK Public Library .

  • Note 3 :

Selon Hannah Arendt et sans doute bien d'autres, l’action et la parole, l’une et l’autre indissociable, participent au sens de l’existence. Les actions et la parole doivent être montrées. "C'est par le verbe et l'action que nous nous insérons dans le monde humain". Et c’est bien la construction de sens (sens de sa propre vie mais aussi, c'est l'objet de cet article, sens commun pui précède l'action collective) qui semble nous faire de plus en plus cruellement défaut.

Sur les tiers-lieux qui, en permettant la prise de parole et le partage, permet de "trouver du sens à sa vie" et de "construire l'espace civique", voir aussi l'intéressant article de Pascale Desfarges (2020) " Les tiers-lieux et la résilience des territoires ". Sur la question d’apprendre à modifier nos représentations et à renforcer notre appartenance à la nature, comme un des points d’appui pour traverser l’Anthropocène, on peut lire Nathanaël Wallenhorst (2021) Mutation, l’aventure humaine ne fait que commencer .

  • Note 4 :

La bibliothécaire Raphaëlle Bats (2020) insiste sur ce devoir de médiation. Elle nous invite à avoir une réflexion sur la nature des informations offertes via la documentation mais aussi via la programmation et les services, que ces informations soient scientifiques, techniques et pratiques ou gouvernementales. Cette auteure fait l’hypothèse qu’en sélectionnant et présentant ces informations et ces documents, par exemple sur le thème des changements climatiques, les bibliothécaires – et autres animateurs de tiers-lieux - agiraient comme des « médiateurs » et, qu’à ce titre, ils et elles devraient pouvoir faire la preuve de leur impact transformateur. Elle invite les bibliothécaires à assumer pleinement ce rôle de médiation, un rôle non neutre par définition. Pour les bibliothèques, R. Bats fait l’hypothèse que « l’équation de l’éducation à l’environnement repose sur trois éléments : la transmission d’information pour comprendre, pour prendre conscience, et pour pouvoir agir. » et elle cite l’initiative « Borrowed time » (2020) de la bibliothèque publique de Mill Valley aux USA qui témoigne d’un plan de travail sur le changement climatique en trois temps sur une année : 1) Introduire le sujet et ses difficultés 2) faire le lien entre le problème général et la réalité locale 3) proposer « d’agir en gardant espoir ».

Source : Bats, Raphaëlle. 2020. Un outil stratégique pour les bibliothèques. Bibliothèque(s), Vert-ueuses bibliothèques. (Dossier)(102-103), 29-31

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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 12:56
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Intégré par Pascale Félizat, le 3 avril 2023 20:54

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Publication

23 août 2022

Modification

29 août 2023 15:09

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