8. Gouvernance, politique et dynamiques d’alliances

Lors de cette mission d’échange d’expertise, la mission québécoise a eu le loisir de discuter avec plusieurs membres des Licoornes, dont plusieurs dirigent déjà des alliances de coopératives au sein de leur organisation. Une grande partie des échanges s’est naturellement concentrée sur l’adaptation de la gouvernance et la dynamique de décision au sein des alliances. Plusieurs réseaux de coopératives dans des secteurs différents (énergie, alimentation, mobilité, transport, etc.) ont partagé leurs points de vue.

Gouvernance et Modes de Décision

Maintenir une gouvernance démocratique dans des structures grandissantes est un défi important et il est essentiel de trouver un bon équilibre entre les méthodes traditionnelles de gouvernance et les innovations démocratiques. La difficulté de maintenir une gouvernance démocratique dans des structures grandissantes est un défi récurrent. La transition vers des structures coopératives plus larges est complexe; elle nécessite un long processus d'adaptation. L’adaptation des modes de décision pour renforcer la dynamique d’alliance est un exemple des changements nécessaires. Les échanges ont souligné combien il est important de réfléchir au choix du mode de décision, car celui-ci doit être adapté à la structure, aux réalités pratiques des organisations et à la taille du réseau ou de l’alliance.

  • La gouvernance par consentement, qui est une approche démocratique où chaque membre doit donner son accord pour une décision, est théoriquement idéale, mais plusieurs participants ont mentionné qu’elle peut se heurter à des obstacles pratiques dans les alliances, car ces organisations sont complexes.
  • Le choix du mode de décision (consentement, consensus, majorité, etc.) doit être adapté à la structure et à la taille du réseau ou de l’alliance. Les petites structures peuvent probablement utiliser le consentement plus efficacement, tandis que les grandes structures doivent trouver des mécanismes adaptés pour maintenir leur efficacité opérationnelle et stratégique, tout en respectant les principes démocratiques.
  • Plusieurs coopératives comme Biocoop et Énercoop ont partagé différentes façons de structurer la gouvernance avec des conseils d'administration, des comités techniques, et des structures politiques et opérationnelles distinctes. À travers les échanges, il est apparu très clairement que la gouvernance, et notamment les questions de centralisation versus d’autonomie, étaient au cœur des réflexions et des décisions prises par tous les participants. Énercoop est un bel exemple de cette idée, car l’organisation, qui affiche clairement sa volonté de rester décentralisée, a une stratégie de délégation de responsabilités aux niveaux régional et local ainsi qu’une coordination nationale pour maintenir une autonomie régionale et une cohérence globale. Biocoop, une coopérative multisociétariale en alimentation biologique avec un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros et 740 magasins, combine une gouvernance politique et technique pour coordonner ses activités. L’organisation est structurée autour de quatre types de sociétaires : les consommateurs (présents au conseil d'administration mais moins moteurs aujourd'hui), les salariés associés (travailleurs dans les magasins ou la coopérative), les coopérateurs (comprenant environ 3000 fermes productrices et des groupements), et les magasins eux-mêmes, qui sont majoritaires et influents dans les décisions. La gouvernance se divise en deux volets : une direction générale supervisée par un conseil d'administration de huit membres issus des différents sociétaires, et une gouvernance opérationnelle axée sur les aspects techniques. Il existe également un niveau territorial avec des maisons locales coopératives et un parlement national qui facilite les échanges entre les sociétaires et le conseil d'administration.
  • Dans la discussion, les participants ont exprimé que la centralisation peut conduire à une perte de dynamique et de connexion avec les membres. La difficulté réside donc dans une mise en œuvre d'une vision inclusive, participative, décentralisée, dans un contexte souvent centralisé.
  • Des participants ont aussi exprimé des préoccupations sur l’efficacité de la gestion par consentement, notamment le risque qu’il devienne un veto, ralentissant soit la rapidité dans la prise de décision ou la prise de décisions en faveur d’innovations à caractère plus radicale. Ce mode de décision s’apprend et prend du temps à instaurer au sein d’une organisation. Des formations, comme celles données par l’Université du Nous, peuvent être bénéfiques.
  • Si, pour un des participants, le consentement est important dans la prise de décision, il faut surtout viser la pérennité dans chaque prise de décisions, même lorsqu'une décision est prise par une majorité. Il souligne que, même lorsqu'une décision est prise par une majorité, il est crucial de prendre en compte les minorités, car elles peuvent revenir avec des critiques ou des objections qui pourraient compromettre la stabilité à long terme. Lorsque bien appliqué le critère de la pérennité illustre que des approches coopératives peuvent renforcer la résilience des organisations face aux défis, y compris de nature économique.

Coordination, ouverture et scission

  • Fédérer ensemble des groupes de coopératives tout en préservant une certaine identité propre nécessite un effort constant, qui peut parfois créer une certaine tension. Les participants sont conscients que trop de centralisation peut diluer les objectifs originaux des groupes au sein d’une alliance. Certains pensent donc que parfois, des scissions peuvent aider à maintenir des visions claires et des dynamiques locales. Il ne s’agit donc pas de s’allier et de devenir gros à tout prix mais plutôt d’être stratégique pour maintenir une certaine cohérence et un certain degré de militantisme.
  • Les discussions sur la taille d’une alliance se sont naturellement orientées vers l’ouverture aux autres : à quel moment faut-il une alliance à de nouveaux partenaires ? Un des participants, dont la coopérative est un regroupement de plusieurs coopératives régionales, est d’avis qu'il est préférable d'adopter une approche plus progressive. Son expérience lui confirme qu’il faut d’abord s’assurer qu’il y ait une bonne vie démocratique et de bonnes bases de gestion par consentement avant d’ouvrir l’alliance à d’autres membres. L’instauration de bases solides est nécessaire avant de chercher à se développer rapidement, car autrement on peut perdre une certaine culture, voire un certain degré de radicalité – un élément important dans le contexte de changements systémiques en faveur de la transition socioécologique.

Mobilisation citoyenne, politique et transition

  • Les échanges ont montré une diversité de perspectives sur comment influencer le système politique et social, en soulignant les défis et les opportunités liés à l'engagement direct, à la mobilisation de la société civile, et à la nécessité d'une approche coordonnée et stratégique pour accélérer les changements systémiques propices à la transition.
  • La difficulté de coordonner les efforts pour la transition socioécologique vient du manque de leadership gouvernemental et de la diversité des initiatives étaient au cœur des discussions. Le constat principal semblait être que les actions restent trop dispersées pour créer un impact significatif.
  • Cependant, les défis politiques en France et au Québec ont mis en lumière une inquiétude partagée concernant la déconnexion entre les mouvements sociaux et les partis politiques, ainsi que la difficulté de maintenir un engagement politique cohérent. Si certains défis sont plus spécifiques à des territoires (par exemple l’ascension de l'extrême droite en France ou les limitations des pouvoirs municipaux au Québec), d’autres semblent communs à tous, comme un sentiment de désillusion face à la politique traditionnelle. Un enjeu est la déconnexion entre les citoyens, les territoires et les représentations politiques. Certains ont exprimé un certain pessimisme quant à la capacité des partis progressistes à prendre le pouvoir, citant un déclin de leur influence.
  • Un participant a alors souligné le lien historique entre l'économie sociale et les partis politiques, et la nécessité de ne pas ignorer cette connexion. Pour accélérer la transition, ces mouvements doivent être prêts à intégrer la politique de manière active, malgré les risques.
  • La question s’est alors posée de comment les mouvements sociaux et les organisations de la société civile peuvent influencer les politiques sans être absorbés par les partis existants. La réflexion a porté sur l’importance de créer des passerelles efficaces entre les mouvements sociaux et les institutions politiques, et sur la nécessité d'une stratégie pour intégrer ces mouvements dans le processus politique sans perdre leur essence. Le défi est néanmoins de taille car les partis politiques semblent souvent réticents aux factions et aux mouvements externes, ce qui rend difficile leur influence de l'extérieur.
  • Une participante a partagé que la coopération entre municipalités voisines et la mise en place de structures de gouvernance plus inclusives peuvent être des leviers importants pour répondre aux enjeux locaux. Mais il faut d’abord surmonter le désengagement politique, en partie provoqué par la réduction des espaces de dialogue avec la population.
  • Pour transformer le système, le Grand Dialogue pour la transition socioécologique du Saguenay-Lac-St-Jean a brièvement partagé son approche au Saguenay, qui consiste à créer une vision commune à partir des souhaits des citoyens, indépendamment des partis. Quand les organisations de l’économie sociale n’ont pas de mandat explicite pour effectuer des activités de plaidoyer ou qu’une gouvernance floue les empêche de plaider efficacement, il est alors probablement possible de construire un plaidoyer efficace par le biais de cellules d’action citoyennes influentes et diversifiées, lesquelles exercent une pression sur les politiques en se concentrant sur des besoins concrets et urgents.
  • La discussion a abouti à une interrogation sur les moyens d’influencer la politique de manière efficace, que ce soit en créant de nouveaux mouvements, en influençant les partis existants ou en trouvant des solutions intermédiaires. La question de comment fédérer les énergies citoyennes pour exercer une influence politique significative afin d’accélérer la transition demeure un sujet clés pour toutes les organisations d’économie sociale présentes.

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Transition socioécologique et changement systémique
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Intégré par Barbara Duroselle, le 27 août 2024 12:53

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Publication

27 août 2024

Modification

3 septembre 2024 10:16

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Pour citer cette note

Barbara Duroselle. (2024). 8. Gouvernance, politique et dynamiques d’alliances. Praxis (consulté le 14 septembre 2024), https://praxis.encommun.io/n/gguwUwC83NPkVc4Wj_wWiy06J80/.

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