La complexité des crises actuelles appelle à une métamorphose des savoirs

« Il faut faire en sorte que les sciences nourrissent les mouvements sociaux et que les mouvements sociaux questionnent les sciences »

[Ce billet s’inscrit dans l’atelier Métamorphoses des savoirs des Rencontres Sans Transition qui avaient lieu à Paris les 5 et 6 novembre 2021. ]

En ce matin du 6 novembre 2021, nous sommes une trentaine de personnes issues des mouvements sociaux, du milieu de la recherche ou associatif. L’objectif étant de réfléchir ensemble à la nécessaire métamorphose des savoirs pour faire face aux enjeux actuels.

D’emblée l’atelier s’amorce sur des questions aussi fondamentales que :

  • Quel type de savoirs produit-on?

  • Qui les produit?

  • Sur quoi portent-ils?

  • Quelle est leur finalité?

  • À quels besoins répondent-ils?

Ces questionnements en appellent à considérer les savoirs comme quelque chose de vivant, qui évolue et s’adapte aux contextes, aux évènements et aux personnes qui les portent. On voit émerger en France quelques exemples de programmes de master qui proposent des approches  interdisciplinaires en environnement. Ou encore des étudiant·e·s qui appliquent collectivement à des bourses d’études pour tenter de dépasser les logiques de compétition.

L’atelier d’aujourd’hui vise à sortir des traditionnelles institutions dominantes du savoir. En effet, en marge des universités, on voit se former de nouvelles institutions issues de la société civile. Ces dernières se positionnent politiquement pour créer des espaces de contre-pouvoir qui défendent la légitimité d’autres formes de savoirs tels que les savoirs traditionnels, les savoirs locaux, les savoirs faires, les savoirs être ou les savoirs vernaculaires.

Ces autres savoirs, ancrés dans les territoires en lutte et dans les territoires de vie collective, tentent de réorienter les questions de recherches des institutions dominantes dont « les questions posées ne semblent pas en mesure de répondre aux principaux défis sociétaux »

Cet atelier vise ainsi à présenter différentes initiatives françaises qui proposent d’autres formes de production des savoirs. Je vous présente ici le projet Horizon Terre.

Horizon Terre : pour une stratégie alternative de recherche

Camille Besombes est chercheuse en épidémiologie des maladies infectieuses émergentes, elle fait partie de l’Association Sciences Citoyennes ainsi que de la Revue d’écologie politique Terrestres.

Pour Camille, la complexité systémique des crises climatiques, écologiques et sociales auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontées exige un renouvellement radical des savoirs. Cependant, pour la chercheuse, si nous avons besoin de décoloniser les savoirs, il ne faut toutefois pas jeter les sciences et les savoirs scientifiques « avec l’eau du bain ».

Il s’agit plutôt d’ouvrir des nouvelles possibilités de maillage afin de faire travailler les sciences avec les savoirs vernaculaires, les arts, le sensible et les savoirs locaux. Comme elle le souligne, il s’agit de « redonner du sens aux sciences et tenter de faire advenir le monde que l’on veut ».

Promouvoir les sciences par et pour les citoyen·ne·s

C’est sur cette base que l’association Sciences citoyennes aspire à construire un nouveau rapport de force entre les sciences dominantes et la société civile. Pour ce faire, différents axes sont mobilisés:

  • Articulation d’une critique et une remise en question des sciences dominantes

  • Démocratisation des savoirs par la :

    • Réalisation de conventions citoyennes

    • Positionnement citoyen sur les principales décisions et choix sociétaux

  • Promotion des tiers-secteurs scientifiques pour :

    • Renforcer les expertises associatives

    • Renforcer les expertises citoyennes

  • Promotion de la recherche participative pour :

    • Partir des besoins et des interrogations de la société civile

    • Encourager l’autonomie des communautés

    • Encourager l’émancipation et la légitimation des autres savoirs

Horizon TERRE - Tous et toutes ensemble pour une recherche engagée et responsable

Tout récemment avait lieu le lancement du projet Horizon TERRE. Développé en collaboration avec l’Atelier d’écologie de Toulouse et l’ association d’Ingénieurs sans frontières , le projet se veut une réponse au programme officiel d’ Horizon Europe qui a pour mission de définir les pistes de recherche pour les 7 prochaines années.

Pour ce faire, Horizon TERRE a rassemblé des chercheurs·cheuses, des étudiant·e·s et des personnes du monde associatif afin de définir ensemble des scénarios de recherche alternatifs. Pour Camille, alors qu’Horizon Europe favorise les technosciences et une technologisation du futur, les propositions d’Horizon TERRE reposent d’abord et avant tout sur une réorganisation radicale de la recherche pour développer des scénarios alternatifs. Comme elle le souligne, il s’agit d’imaginer ensemble comment se soigner, se nourrir, se déplacer et se loger de façon à intégrer les limites écologiques et les propositions des communautés locales.

« Ce qui est important, c’est qu’il y a réellement la volonté de ré-ouvrir les imaginaires de la recherche. Parce qu' en fait, les étudiant·e·s actuel·le·s se rendent compte que les projets de recherche qu’on nous propose sont en silo et qu’il n’y a pas du tout possibilité de créer autre chose. Il a vraiment un but de réfléchir ensemble à des nouvelles pistes de recherche qui vont  pouvoir faire sens pour les étudiant·e·s qui arrivent »

Pour Camille, l’originalité de cette démarche repose sur trois aspects :

  • la constitution d’équipe mixte

  • la reconnaissance et la légitimation des différents savoirs

  • la définition de la recherche nécessaire à partir des utopies et besoins sociétaux telle que définie par la société civile

Comment articuler luttes sociales et programmes de recherche?

Pour Camille, deux formes d’articulations sont particulièrement prometteuses.

D’abord, il nous faut développer des programmes de recherches qui ont pour objectif d’outiller les mouvements sociaux et les associations dans leurs luttes.

Elle donne en exemple le cas de la confédération paysanne qui est aujourd’hui confrontée à des approches sanitaires, qui ont été conçues pour l’agro-industrie et qui ne sont pas du tout adaptées à la réalité paysanne. Malheureusement, la confédération ne possède aujourd’hui aucun plaidoyer scientifique pour défendre son modèle. Et, aujourd’hui, aucun programme de recherche ne se penche sur ces questions.

Ensuite, il nous faut créer des programmes de recherche participative pour permettre des transferts de connaissances vers les communautés.

Pour la chercheuse, il est fondamental de «  développer des connaissances communes pour se donner prise sur son territoire et se fédérer ». Cette fois-ci, elle donne l’exemple d’un projet de recherche participatif dans lequel les habitant·e·s ont été formé·e·s à reconnaître les plantes bio indicatrices (ex. les lichens) afin de repérer des îlots de biodiversité. La réappropriation de ces savoirs-faires permet aux habitant·e·s de mieux défendre leur territoire contre les projets de coupe à blanc.

En somme, pour Camille, la recherche participative consiste à « partir des questions, des problématiques et trouver des solutions pour y répondre et impliquer les populations locales et fédérer par des connaissances communes ».

Pour une listes des opportunités de métamorphoses des savoirs au Québec, je vous invite à consulter le billet : Quelles opportunités pour le Québec?

Crédit: Suzanne D. Williams sur Unsplash

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Métamorphose socioécologique - Enjeux, leviers et stratégies
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Intégré par Équipe En commun, le 31 mars 2023 15:01
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Réfléchir, Ré-apprendre à s'unir, Repenser notre façon d'habiter le monde
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Métamorphose des savoirs - Enjeux, leviers et stratégies
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Intégré par Marie-Soleil L'Allier, le 22 mars 2023 15:19
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Finalité de l'éducation et programme de recherche, Décolonisation et reconnaissance des différents savoirs (autochtones, citoyens, ...), Réfléchir (rapport, analyse, veille, opinion), S'inspirer (cas inspirant, utopie réelle)

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Publication

17 novembre 2021

Modification

21 septembre 2023 11:25

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