La posture d’accompagnement dans une perspective de coconstruction et de développement du pouvoir d’agir

Cela fait déjà quelques mois que j’ai intégré l’équipe de conseillères en développement collectif chez Communagir. Psychologue de formation, mes expériences précédentes  tenaient au rôle de coordination, que j’ai occupé à de multiples échelles durant plusieurs années. Je savais en arrivant au sein de l’organisation que ma fonction avec les collectifs serait différente de celle que j’avais pour habitude et que ce changement de fonction allait inévitablement devoir s’accompagner d’un changement de posture. Il a donc fallu laisser derrière moi une posture de leadership, attendue et souhaitée quand on occupe un poste de coordination, pour passer vers une posture de guide, de défricheuse, de conseil, qui ouvre la voie vers des possibles.

Autant vous dire que ce changement de posture ne se planifie pas, il se vit!

À mon arrivée chez Communagir, je me suis documentée, j’ai fait des lectures, regardé des vidéos. Je me suis nourrie des travaux de Maela Paul et Freire, références largement partagées au sein de l’équipe des conseillères. Puis j’ai commencé à accompagner des démarches collectives dans différents contextes, mais qui étaient toutes à la recherche d’une voie de passage, d’un chemin pour consolider leur mobilisation, identifier une vision partagée, clarifier leurs mécanismes de prise de décision ou encore planifier leurs actions dans le but d’avancer de façon cohérente vers l’atteinte d’objectifs communs.

Je me suis alors imprégnée de ce qu’on appelle la coconstruction - qui restait un terme un peu flou pour moi - en prenant connaissance des différentes productions des chantiers partenariaux de Communagir, qui visaient à réunir des acteurs pour réfléchir, analyser et agir sur des thématiques importantes pour le développement collectif au Québec, dans une perspective d’utilité et d’innovation. Une pluralité d’acteurs de tous horizons rassemblés dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet aux visées transformatrices : différents savoirs et différentes perspectives mis à profit au sein d’un travail collaboratif, dans le but d’entreprendre un processus d’hybridation et de transformation de ces savoirs. Voilà ce qu’est la coconstruction.

« Dans la coconstruction, ce ne sont pas les méthodes, mais l’intelligence collective qui est le moteur de l’innovation. »[1]

Le concept m’est alors apparu plus clair, mais je me suis rapidement rendue compte qu’il ne l’était pas forcément pour les démarches, collectifs, organismes ou institutions avec lesquels nous collaborons. Il est vrai que Communagir est une organisation fiable et respectée, ayant développé une solide expertise en matière d’accompagnement des collectivités au fil des années. C’est justement pour bénéficier de cette expertise que les gens font appel à nous. Mais il y a une différence importante entre utiliser l’expertise et en tirer profit! C’est là que toute la pertinence de la coconstruction entre en ligne de compte.

Mon constat est que pour la plupart des gens, un processus de coconstruction est complexe, ardu, fastidieux et qui prend du temps. Dans un monde où l’efficacité et la productivité dominent, prendre le temps et mobiliser des ressources sur la durée relèvent du défi. Dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, de roulement de personnel et de précarité financière, l’engagement des partenaires n’est plus une question de volonté mais de capacité, individuelle et organisationnelle, à dégager du temps pour contribuer. Ce qui est épeurant, c’est qu’ « il est difficile – voire impossible - de déterminer à l’avance quels seront les résultats ou de prévoir les retombées précises d’un processus de coconstruction. [2]» En effet, les résultats dépendent de multiples facteurs internes et externes, sur lesquels nous n’avons souvent que peu de contrôle : le départ d’une personne, l’arrivée d’une autre, la coupure d’un financement, une crise sanitaire…  « L’ensemble des parties (les membres, l’organisation porteuse, le bailleur de fonds) doivent se lancer dans l’aventure en faisant confiance aux autres et à l’intelligence collective mobilisée autour du processus. [3]»

L’incertitude et l’inconnu liés à ce type de processus rendent l’implication des acteurs d’autant plus difficile. Au Québec, et ailleurs dans le monde, une multitude de démarches inspirantes et d’exemples de réussites inspirantes ont vu le jour au cours des dernières décennies et ont donné vie à des projets concrets et contribué à réduire le travail en silo et accroître la complémentarité et la cohérence des actions mises en œuvre dans les communautés. Je pense par exemple au projet de recherche-action FabRégion Bas-Saint-Laurent, démarche territoriale pour une autonomie régionale durable, ou encore à la démarche COSMOSS, déployée à l’échelle régionale et dans les huit territoires de MRC du Bas-Saint-Laurent afin de s’assurer de l’harmonisation des efforts déployés pour le développement des jeunes, ou encore à Développement Social Laurentides, autre démarche régionale qui vise à mutualiser les efforts déployés et à soutenir le développement des compétences des organismes du milieu. On peut également citer le projet  Montréal en commun (MeC) qui vise à expérimenter des solutions innovantes et collaboratives pour créer une Ville de demain plus verte, plus inclusive et égalitaire ou l’Engrenage St-Roch qui se préoccupe, entres autres, des enjeux de transition socio-écologique et de cohabitation à l’échelle d’un quartier tout en impliquant les citoyen‧ne‧s tout au long du processus.

C’est sur des centaines d’exemples que nous pouvons nous appuyer, et qui alimentent notre argumentaire pour faire valoir la pertinence du travail en coconstruction.

L’une des conditions essentielles que l’on retrouve de façon systématique dans tous ces exemples de réussites collectives qui ont émané d’un processus de coconstruction, c’est l’engagement des membres de la démarche à toutes les étapes du processus et la responsabilité partagée qui en découle. Car après tout, qui de mieux placé pour trouver des solutions et initier des transformations durables que les collectivités elles-mêmes?

En tant que conseillère, il ne s’agit donc pas de faire « à la place de » et d’incarner la personne qui détient le savoir, mais bien de questionner et fournir des outils aux démarches collectives afin que ces dernières soient en mesure de lire, d’analyser et de comprendre leur écosystème, pour ensuite expérimenter des nouveaux chemins, de nouvelles avenues qui leur permettront d’opérer des changements dans leur communauté.  Chaque accompagnement génère de multiples ajustements afin de préserver ce qui fait partie de nos valeurs fondamentales chez Communagir : développer le pouvoir d’agir des collectivités que l’on accompagne.

On parle ici de mettre en place les conditions favorables à la mise en valeur et la prise de conscience du potentiel et des capacités des collectifs. Cependant, la mise en place de ces conditions n’est pas chose facile. Elle passe notamment par la relation de confiance qui se développe entre la conseillère et les personnes qu’elle accompagne. Or, nous savons tou‧tes que la confiance ne s'établit pas en claquant des doigts. Elle nécessite du professionnalisme, du savoir-faire, mais aussi et surtout de l’ouverture, de l’écoute, de la disponibilité, de la compréhension, de la bienveillance, de l’empathie… Toutes ces choses qui relèvent du savoir-être et qui permettent de créer la relation.  Parce qu’accompagner nécessite un engagement personnel, une connexion à soi, à l’autre, aux autres, au monde.

Toutes ces réflexions mûrissent depuis déjà plusieurs mois au sein de l’équipe de conseillères de Communagir. Les besoins de mieux comprendre la posture d’accompagnement sont grandissants pour bon nombre de coordinations ou d’agent‧e‧s de développement, ce qui nous a conduit à bonifier notre formation “Animer et accompagner des démarches collectives” avec pour intention de prendre le temps d'aborder toutes ces questions liées à la relation.

En ce qui me concerne, je pousse mes réflexions sur le sujet tout en travaillant sur cette nouvelle mouture de formation et j’ai hâte de vous retrouver afin de poursuivre mon propre développement en tant que conseillère!

Violaine Guérin


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Intégré par Quentin Ayadi, le 25 juillet 2024 11:32

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Publication

25 juillet 2024

Modification

25 juillet 2024 11:45

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Pour citer cette note

Violaine Guerin. (2024). La posture d’accompagnement dans une perspective de coconstruction et de développement du pouvoir d’agir. Praxis (consulté le 27 juillet 2024), https://praxis.encommun.io/n/h6lGWalRJCdMuNYl0HnqjAOi7d4/.

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