Les boycotts sont souvent perçus comme des défis personnels, mais ils révèlent des blessures profondes laissées par le colonialisme et le capitalisme. En abordant ces pratiques sous un angle somatique et anticolonial, nous pouvons comprendre nos résistances internes et transformer ces actions en opportunités de guérison collective. Comment pouvons-nous élargir notre capacité à résister tout en cultivant la compassion envers nous-mêmes et les autres ?

✨ Cette note est une traduction libre d'une publication instagram de Patricia pat.radical.therapist
"La pratique de l’amour n’offre aucun endroit sûr. Nous risquons la perte, la souffrance, la douleur. Nous risquons d’être influencés par des forces extérieures à notre contrôle."— bell hooks, All About Love
Compassion dans la lutte
Il est important de reconnaître que rencontrer des difficultés avec les boycotts ne fait pas de nous des personnes en échec ou des hypocrites. Cela fait de nous des humain·es. Nous naviguons tous·tes à travers les blessures du colonialisme, du capitalisme et de l'oppression. Mais nous pouvons aussi trouver de la force en nommant ces blessures et en avançant ensemble.
Les boycotts ne concernent pas seulement ce que nous ne faisons pas – ils concernent aussi ce que nous construisons à la place.
Ils sont une invitation à nous retrouver, à réapprendre les soins collectifs et à pratiquer la libération en temps réel. Nous trébucherons, oui. Mais avec de la compassion pour nous-mêmes et les un·es les autres, nous pouvons continuer à avancer vers le monde que nous essayons de créer. Les boycotts sont une pratique, pas une perfection. Ce sont des actes de résistance – et de souvenir de qui nous sommes.
Développer notre capacité
- Élargir notre capacité : La résistance ne nous demande pas de dépasser nos limites, mais de développer progressivement notre capacité à gérer l'inconfort. Cela peut commencer par de petits gestes : boycotter une entreprise, trouver des alternatives ou simplement sensibiliser notre entourage.
- Réapprendre le plaisir : Les boycotts ne sont pas qu’un sacrifice – ils sont une manière d’imaginer et d’incarner de nouvelles possibilités. Retrouver la joie, la connexion et la communauté peut contrer la mentalité de pénurie imposée par les systèmes coloniaux et capitalistes (Piepzna-Samarasinha, 2018).
Co-régulation et pratiques somatiques
- Co-régulation : Résister est plus facile quand nous ne sommes pas seul·es. Se connecter aux autres dans une communauté permet à nos systèmes nerveux de se synchroniser, créant ainsi un sentiment de sécurité qui rend l’action collective plus accessible.
- Pratiques somatiques : L’ancrage, la respiration et le mouvement peuvent aider nos corps à gérer l’inconfort qui surgit lorsque nous rompons avec nos habitudes. Ces pratiques nous permettent de dépasser les réponses de lutte, de fuite ou d’inhibition et de passer à une action intentionnelle.
Guérir le système nerveux pour renforcer la résistance
Les boycotts ne sont pas seulement des actions politiques ; ce sont aussi des pratiques somatiques. Ils nous obligent à affronter l’inconfort de manière à renforcer notre résilience, notre solidarité et notre libération collective. Pour soutenir ce processus, nous devons considérer la résistance sous l’angle de la guérison du système nerveux.
L’impact du colonialisme sur le système nerveux
Le colonialisme, le capitalisme et la suprématie blanche nous ont systématiquement déconnecté·es de nos corps, de nos communautés et de notre capacité à nous sentir en sécurité dans l’action collective. Cette déconnexion n’est pas accidentelle – c’est une stratégie de contrôle. En nous maintenant dans des états d’hypervigilance, d’épuisement ou d’engourdissement, ces systèmes nous rendent plus difficile l’organisation, la résistance ou même l’imagination d’alternatives.
- Hypervigilance : Beaucoup d’entre nous vivent dans un état constant de stress, où nos systèmes nerveux sympathiques sont suractivés. Les boycotts peuvent sembler être « une chose de plus » dans un paysage déjà accablant de survie.
- Blocage/Engourdissement : Pour d’autres, une exposition prolongée à l’oppression peut entraîner des réponses de repli ou de désengagement. Les boycotts peuvent sembler inutiles, comme si rien ne changerait jamais.
- Fragmentation : Le capitalisme prospère sur la fragmentation – nous maintenant isolé·es et centré·es sur notre survie individuelle. Cette déconnexion limite notre capacité à nous synchroniser avec les autres, ce qui est essentiel pour l’action collective (Porges, 2011).
Les boycotts et les réponses du système nerveux
Les boycotts peuvent activer des réponses de lutte, de fuite, d’inhibition ou de soumission d’une manière que nous ne reconnaissons pas immédiatement :
- Lutte (Fight) : Ressentir de la colère ou de la frustration envers le système, mais aussi face à l’inconvénient perçu de perturber nos habitudes.
- Fuite (Flight) : Éviter l’inconfort de prendre des décisions qui remettent en question le statu quo.
- Blocage (Freeze) : Se sentir dépassé·e par la complexité du problème systémique et ne pas savoir comment agir.
- Soumission (Fawn) : Rester inactif·ve ou apaiser le système pour maintenir un sentiment de stabilité ou d’aisance.
Ces réactions ne sont pas des échecs – elles sont des réponses corporelles à des siècles d’oppression systémique. Le corps s’en souvient, même quand nous n’en avons pas conscience (Menakem, 2017).
Le besoin de sécurité face au boycott
Nos systèmes nerveux sont programmés pour rechercher la sécurité et la prévisibilité. Sous les systèmes coloniaux et capitalistes, la sécurité a souvent été associée à la conformité, et non à la résistance.
Ce mécanisme de survie est particulièrement fort pour les personnes noires, autochtones et autres communautés marginalisées, qui ont historiquement subi des violences pour avoir résisté à des systèmes oppressifs.
Lorsque nous devons prendre la décision de boycotter, notre système nerveux peut l’interpréter comme une menace – perturbant les habitudes familières sur lesquelles nous nous sommes appuyées, même si ces habitudes nous nuisent.
Pourquoi est-il si difficile de s’engager dans un boycott?
Les boycotts nous demandent de faire une pause, de bouleverser nos routines et de repenser notre participation aux systèmes qui nous nuisent. Mais pourquoi est-ce si difficile pour beaucoup d’entre nous de s’y engager ?
Ce n’est pas seulement une question d’inconvénience. C’est plus profond – inscrit dans la manière dont nos corps ont été conditionnés sous le colonialisme, le capitalisme et la suprématie blanche.
Depuis des générations, on nous a appris à privilégier le confort individuel plutôt que la libération collective. Cette leçon ne vit pas seulement dans nos esprits – elle est inscrite dans notre système nerveux, dans nos corps mêmes.
Inspirations
S’appuyant sur les travaux transformateurs de bell hooks (All About Love), Resmaa Menakem (My Grandmother’s Hands), Leah Lakshmi Piepzna-Samarasinha (Care Work), ainsi que sur les enseignements de Lama Rod Owens, je rends hommage à la sagesse des leaders du somatique et de l’incarnation tels que Linda Thai, Efu Nyaki, Francine Kelley et Deb Dana.
Ancré dans l’Expérience Somatique, la Théorie Polyvagale et les pratiques ancestrales des corps colonisés – souvent volées mais jamais perdues – ce travail met au centre la résilience et la sagesse de celles et ceux qui ont préservé ces traditions comme voies de guérison et de libération.