Écopoétique et géopoétique

J’ai appris aujourd’hui deux nouveaux mots à l’occasion des très intéressantes Journées de l’éducation relative à l’environnement 2021 organisées par Centr’ERE (UQAM) : "écopoétique" et "géopoétique". Ils ont sans doute beaucoup d’avenir dans nos bibliothèques.

L’écopoétique est un courant de critique littéraire issu de l'écocritique, qui, depuis le début du XXIe siècle, s’intéresse aux représentations de la nature, de l’environnement, du monde vivant non-humain, dans les textes littéraires. Le courant est bien présent et en fort développement aux États-Unis. Il y a une variante bien vivante en France depuis quelques années. Au Québec, elle est en plein développement et plusieurs de nos universitaires s’y emploient en faisant se rencontrer les univers disciplinaires et prônant l’utilisation de ses expériences sensibles et subjectives comme moyen d’analyse. Plusieurs projets inspirants sont en cours : Réécrire la forêt boréale (Jonathan Hope), projet (É)co-écritures (Catherine Cyr et Jeanne Murray-Tanguay) sur les dramaturges québécois contemporains…

La géopoétique vise, elle, à "développer un rapport sensible et intelligent à la terre sur laquelle nous vivons, en élaborant une nouvelle manière d'envisager les rapports entre les disciplines artistiques et scientifiques". On pratique les ateliers géopoétiques depuis 2004 à l’UQAM (Rachel Bouvet). L’expérience a eu tellement de succès que le groupe est maintenant constitué en OBNL : La traversée géopoétique .

Il s’agit d'ateliers de création nomade à l’extérieur de 3H ou de 3 jours alimentés à la fois par de multiples regards de spécialistes de diverses disciplines mais aussi par la recherche d’œuvres littéraires portant sur ce lieu. L’expérience de terrain nourrit la création qui, à son tour transforme le regard y compris des scientifiques invités. C’est aussi contribuer à redonner une existence et une voix à des éléments naturels qui l’auraient perdue, la Rivière des Prairies par exemple. Combiné ou non à un atelier Wikipédia (à tester !), cette activité créative et réflexive est féconde en éducation non-formelle.

Elle inspire déjà nos bibliothèques puisqu’elle y fait l’objet d’une première (?) expérimentation à la bibliothèque d’Ahuntsic : De mai à septembre 2021, Karine Légeron y est écrivaine en résidence. Son projet de création artistique collective, intitulé À la (re)découverte géopoétique d’Ahuntsic, propose aux participants de sortir de chez eux, de (re)découvrir leur quartier, de s’en délecter et de s’en inspirer pour créer, ensemble. Pendant sa résidence, Karine offre plusieurs activités visant un public large et varié : des conférences ou tables rondes, un blogue collectif sur lequel les résidents peuvent afficher leurs créations (photos, textes, poèmes, dessins, etc.), quatre ateliers d’écriture créative, et des rencontres individuelles sur rendez-vous.

A ce même colloque, Marie-Hélène Massie présentait un projet d’utilisation des albums jeunesse comme tremplin pour éveiller les sens et passer à l’action par des ateliers en extérieur dans le cadre d’un « cours d’éducation pour un avenir viable » s’adressant aux enseignants. Une communauté de pratique pour explorer ces nouvelles pratiques serait en formation.

Il serait bon – et c’est peut-être déjà le cas – que des bibliothécaires découvrent ce champ de pratiques inspirantes qui invite à se renouveler, à faire sauter les barrières entre disciplines et à aller à la rencontre du monde.

Le champ de l'utilisation de la création littéraire (et des arts en général) en éducation relative à l'environnement est immense. Pour les bibliothèques, il serait notamment à rattacher à leur mandat "Berceau de la démocratie". Les bibliothèques, y compris à Montréal mettent en place de nombreux ateliers d'expression sous toutes ses formes. Ce soutien à la créativité et au récit individuel ou collectif encourage à l’autonomie réflexive. Il est pourrait être aussi un véhicule d’un naître à soi-même et à sa communauté tel que préconisé en Éducation relative à l'environnement (ERE). Ainsi à titre individuel, l’histoire de vie, et en particulier l’exercice de « l’autosociobiographie environnementale » (Berryman, T. 2007), est un outil puissant de prise de conscience de son propre parcours personnel qui permet notamment de faciliter le passage du subir à l’agir. D’autres techniques d’expression moins intimes mais tout aussi familières de l’ERE pourraient sans doute être utilisées aussi avec profit dans le contexte des bibliothèques, avec les adultes (Hansotte, M. 2021) comme avec les enfants (Planche, E. 2017).

Signalons, à cet égard et pour terminer, l’intéressante recherche doctorale en cours de la bibliothécaire Hanna Kleemola (2017) sur les activités d'art littéraire des bibliothèques publiques finlandaises, suédoises, danoises, norvégiennes et islandaises qui permettent de promouvoir « le développement socialement viable, le sens de la communauté et l'inclusion sociale ». Ce travail souligne non seulement l’intérêt de la production d’œuvres littéraires de tous types (ateliers de rap et de bande dessinée, groupes d'écriture créative etc) mais aussi l’importance d’offrir ce service en continu dans nos bibliothèques.

Références :

  • Buekens, S. (2019). L’écopoétique : Une nouvelle approche de la littérature française. Elfe XX-XXI. Études de la littérature française des XXe et XXIe siècles , 8 , Article 8. https://doi.org/10.4000/elfe.1299
  • Hansotte, M. 2021. Du subir à l’agir. Au fil des intelligences citoyennes. Éducation relative à l’environnement. Regards - Recherches - Réflexions, Volume 16-1, Article Volume 16-1. https://doi.org/10.4000/ere.6393 . La méthode expérimentée en éducation populaire par Majo Hansotte permet de raconter des situations injustes et destructrices pour créer une réaction et une implication active. La méthode fait appel à 4 intelligences : déconstructive, narrative, prescriptive et argumentative.
  • Planche, E. 2017. Créer pour recréer le lien avec l’environnement. Éducation relative à l’environnement. Regards - Recherches - Réflexions, Volume 14-1, Article Volume 14-1. https://doi.org/10.4000/ere.2674 . Il s’agit ici de sortir du rationnel omniprésent et de réactiver, par l’art et la poésie, l’existence d’autres liens plus sensibles afin de se rapprocher d’une forme de « pensée sauvage ».
  • Kleemola, H. 2017. Public libraries, literary art activities and social inclusion. http://library.ifla.org/2564/1/156-kleemola-en.pdf

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Observations bibliothèques en transition 2020-2023
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Intégré par Pascale Félizat, le 15 mai 2023 14:08
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7 octobre 2021

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12 septembre 2023 14:51

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