Ressentir pour apprendre : le design comme catalyseur

Crédit: Isadora Ayesha

Cette note est un témoignage de Claudia Loutfi réalisé suite à sa participation à la Journée des savoirs ouverts 2024. Pour voir l'ensemble des témoignages, accédez au carnet Témoignages des participant·es à la Journée des savoirs ouverts 2024.

Exposée à un flux constant d'informations et passant d'un Reels à l'autre, je remarque que mon attention s'étiole. Ces habitudes renforcent ma sensibilité à l'expérience utilisateur et aux interfaces bien conçues, surtout en contexte d’apprentissage, où l’information doit être claire, fluide et accessible.

L'approche «  Don’t Make Me Think » en matière de navigation intuitive peut sembler paradoxale en pédagogie. Cependant, les recherches montrent qu'un environnement d'apprentissage bien conçu ne se limite pas à l’efficacité : il favorise aussi la motivation et la rétention des connaissances.

Faire vivre le concept

C'est dans cette optique que je souhaite ouvrir le dialogue sur l’apprentissage vécu, par l'affect, plutôt que l’apprentissage pensé : l'importance de l'expérience sensible dans la transmission des savoirs. C'est-à-dire, comment peut-on amener quelqu’un à comprendre, par le ressenti, un concept parfois abstrait ?

Dans des domaines concrets – l'art oratoire, les démonstrations d'outils, la gestion de projets – il est plus facile de favoriser l’apprentissage dans l'action. Mais dès qu’on aborde des concepts plus abstraits, cette approche se complexifie.

C’est la conférence de Jonathan Lapalme, intitulée « La Faculté de l’ignorance », qui m’a fait comprendre que, même pour des notions conceptuelles, l’apprentissage peut se faire par le ressenti, par le design, par une sorte de vécu amplifié.

J'ai constaté jusqu’où un bon design pouvait servir l’apprentissage. Il ne se contentait pas de nous transmettre une idée, il nous la faisait vivre, souvent sans qu’on s’en rende compte.

Palper l'ignorance

Jonathan a su exprimer le concept de l'ignorance d'une manière unique. Non seulement il nous parlait de la nécessité d’explorer nos zones d’ombre, mais il matérialisait littéralement ces zones par le design de sa présentation. Sur son support visuel, des effets de flou sont subtilement ajoutés, des textures de grains superposées, des contrastes parlants entre zones claires et sombres. Ces détails rendent l’ignorance presque tangible, palpable, nous la faisons nôtre sans qu’on ait besoin de nous l’expliquer.

Constater la subtilité langagière

À un moment, Jonathan évoque la différence entre la langue française, qui se concentre sur des noms démonstratifs et statiques, et l’anishinaabemowin, qui utilise davantage de verbes pour exprimer la constante mutation de la vie.

Pour illustrer cette différence, il utilise une image d’une baie. D'abord immobile, puis évoluant en vidéo, elle incarne l'interprétation d'un même concept à travers deux langues. On ressent la subtilité de chaque approche linguistique. Plus qu'une simple explication, c'est une immersion.

Apprendre par l'empathie

Jonathan nous livre aussi une tranche de son quotidien en affichant une capture de son écran. Dessus, un nombre impressionnant d’onglets ouverts, symboles modernes de la pression de savoir, qui peut facilement basculer en surcharge mentale.

Instantanément, un sentiment de familiarité s’installe : nous avons tous connu cette pression de l’accumulation, du « trop ». Il n’a même pas eu besoin de mettre des mots dessus, cette image nous plongeait dans l’expérience même de la peur de l’ignorance et du non-savoir, une manière de vivre cette anxiété plutôt que d’en parler abstraitement.

Expérimenter l'inconfort de l'inconnu

La présentation se clôt sur une période de questions… mais avec une contrainte déroutante : seules les questions sont permises, pas de réponses. Ce qui débute comme une série de demandes de clarification se transforme rapidement en une séance de questionnement collectif, souvent sur des thèmes existentiels que personne ne cherche à résoudre !

Cette période de questions nous plonge dans une expérience commune de l’ignorance. On explore sans but final, sans réponse absolue. Le design pédagogique de cette expérience nous immerge dans un environnement de questionnements ouverts, de zones grises, exactement ce que Jonathan voulait transmettre sur l’ignorance.

D'ailleurs, les quelques infractions à cette règle, où des réponses ont été données, se sont révélées tout aussi instructives ! L'inconfort que nous ressentons à laisser une question sans réponse montre notre profond besoin d'y répondre.

Susciter l'affect

Le design, par sa capacité à susciter l'affect, est un puissant levier d'apprentissage. En créant des expériences immersives et sensibles, il permet aux apprenants de ressentir et de saisir des concepts abstraits de manière significative.

Cette approche est particulièrement pertinente dans un contexte de poly-crises et de clivages idéologiques. En établissant des connexions authentiques via des techniques comme le design ou le « deep canvassing », nous sommes encouragés à écouter avec empathie, à reconnaître les émotions des autres et à bâtir des ponts pour y faire face ensemble.

En intégrant ces principes, nous transformons nos interactions en véritables opportunités d'apprentissage et de compréhension mutuelle. Cela favorise un environnement où curiosité, émotion et réflexion prospèrent, rendant l'apprentissage plus accessible, humain et authentique.

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Intégré par Claudia Loutfi, le 30 octobre 2024 11:43

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Publication

30 octobre 2024

Modification

7 novembre 2024 08:22

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Pour citer cette note

Claudia Loutfi. (2024). Ressentir pour apprendre : le design comme catalyseur. Praxis (consulté le 22 mars 2025), https://praxis.encommun.io/n/ky-IrX_y68PxVoSeNPDCOFBBIDE/.

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