
Jeudi 19 septembre 2024, de 13h30 à 15h30
Cette conférence s'inscrit dans la série d'ateliers sur la transition socioécologique organisés par les Ateliers des savoirs partagés de novembre 2022 à mars 2025.
Conférencier
Éric Pineault, économiste, professeur à l'Institut des sciences de l'environnement de l'Université du Québec à Montréal.
Textes préparatoires :
3 billets de blogue publiés par le TIESS sur ‘’Le rôle de l’économie sociale dans la transition vers l’après-croissance’’ - Partie 1 - Partie 2 - Partie 3
Consulter la présentation PowerPoint : Vers des économies rurales en transition, par Éric Pineault
pdf Vers des économies rurales en transition Éric Pineault
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Déroulement
00:00:00 - Accueil et mise en contexte
On commence cette nouvelle saison avec le 11e atelier sur le sujet de la transition socioécologique (TSÉ) organisé dans le cadre des Ateliers des savoirs partagés (ASP). Cette série d’ateliers a débuté en 2022 et qui se terminera en mars 2025. L’objectif étant de cheminer ensemble dans notre compréhension de la TSÉ.
Nous avons aussi réalisé une Cartographie d'initiatives rurales inspirantes s'inscrivant dans la transition socioécologique : banque de plus de 800 initiatives, dont une quinzaine présentée sous forme de fiches disponibles sur Praxis.
00:04:12 - Partie 1: Extractivisme, économie et transition
Éric Pineault désire nous amener à « regarder notre économie autrement ».
Nous explorerons ici le concept de transition métabolique en abordant la transition à partir des flux de matières et d’énergie inhérents à notre économie. Ce sera l’occasion de réfléchir au rôle du métabolisme socio-économique et aux implications de l’extractivisme ainsi que du nouvel extractivisme.
Extractivisme et dissipation
La notion d’extraction implique la relation d’une société avec les ressources qu’elle utilise. La dissipation est la façon dont la société décide de disposer de tout ce qui est extrait de la terre. L’extraction et la dissipation sont deux bouts d’une économie. Le flux métabolique représente la quantité brute de matière et d’énergie qu’une société mobilise dans sa reproduction. Le stock réfère à la matière qu’une société accumule.

Comment est-ce que tout ça impacte nos milieux ruraux ?
Du point de vue de la matérialité d’une économie et de l’écologie sociale, il y a 4 grandes relations économiques fondamentales :
- L’extraction
- La production
- La consommation
- La dissipation
Il s’agit d’une clé intéressante pour penser l’avenir et l’économie de nos territoires.
Si l’on prend l’exemple du régime forestier québécois, on constate que le nombre de coupes n’est pas réalisé en fonction de la consommation et de la demande, donc de nos besoins. On produit plus que ce que l’on peut utiliser sur nos territoires (on surproduit du bois), on exporte 70% de ce que l’on produit. Pourquoi? Il s’agit d’abord d’une variable d’actifs à valoriser. Les entreprises ont besoin de faire rouler la production à un certain niveau pour rentabiliser leurs actifs. Nos économies locales dépendent souvent des emplois des grandes entreprises, notamment forestières.
4 grandes familles de matières à extraire :
- Biomasse
- Minéraux non métalliques
- Énergies fossiles
- Métaux

Portrait de l’économie mondiale à travers l’analyse de ces métaux (réalité matérielle de notre économie) :
- Croissance faramineuse de ce que l’on extrait et qui va se ramasser quelque part
- L’augmentation la plus importante est celle des matières qui servent à construire des villes, des routes, des barrages…
- L’humanité extrait autant que ce que la nature est en mesure de produire en matières
- L’ordre de grandeur de notre économie qui est l’équivalent de notre planète vivante
- Très grandes inégalités métaboliques dans le monde
- Boom de la construction résidentielle en Amérique du Nord
- Omniprésence d’énergie fossile et de biomasse en occident
Au Québec, le secteur minier le plus important est le métal, suivi par le béton et finalement la biomasse. Cette matière est extraite des régions du Québec (Abitibi-Témiscamingue, Nord du Québec et Côte Nord).
La particularité du vieil extractivisme est d’avoir déjà configuré et façonné le territoire (métaux classiques, bois d'oeuvre, papiers et pâtes, hydro-électricité, etc.). On sait où la matière se trouve sur le territoire québécois. Les infrastructures qui sont des actifs pour les entreprises et créent des emplois dont les milieux dépendent. Un nouvel extractivisme (matériaux critiques comme le lithium, le graphite, composante de batterie, hydrogène vert, etc.) souhaite s’installer et façonner le territoire. Ce qui peut créer des conflits socioécologiques.
Extraction comme relation ville-campagne
- D’un point de vue métabolique, une ville/une métropole est un avaloir. Avale énormément de matières extraites en région.
- Les villes sont elles-mêmes incapables de traiter leurs déchets et organisent leur territoire en fonction de leur besoin de dissipation. Dissipation vers les campagnes.
- Les campagnes sont passées d’une économie de subsistance à une économie d’extraction
- Relation de pouvoir d’une région à une autre… échanges écologiques inégaux, car en plus de s’appauvrir la région brise son environnement
- Couplage et télécouplage villes et territoires ruraux
- Couplage : relation ville – campagne « arrière-pays » = CIRCUITS COURTS
- Télécouplage : relation métropole – marchés globalisés – territoires ruraux = CIRCUITS LONGS
- Actuelle prédominance des circuits longs. Pour faire la transition, il faudra donner la priorité au modèle des circuits courts.
00:43:05 - Période de questions
- Est-ce que le développement symbiotique est une alternative au développement extractivisme ? Qu’est-ce que ça impliquerait? Éléments clés à considérer?
On ne peut pas envisager une démétropolisation du Québec, on va continuer à avoir des villes avaloirs. Maintenant, il faut penser leur transition et leur décarbonation (transport collectif, alimentation, etc.). Il faut permettre aux régions de continuer à diversifier et monter leur chaine de valeur. Comment se débarrasser de la contrainte d’exportation?
- Qu’est-ce que ce portrait (une transition) voudrait dire pour les individus et de leur mode de vie?
Ça représente un choc culturel important pour les gens. Plus le niveau de vie est élevé, plus le choc sera important. Les personnes avec un niveau de vie moins élevé pourraient en bénéficier.
- Est-ce qu'il y a des pistes de solution dans le modèle de la gestion de l’offre, sans tomber dans le protectionnisme?
Dans la réflexion en économie écologique, il y a le concept de « corridor de consommation ». Entrevoir la consommation avec un plancher et un plafond et tenter de faire atterrir les économies dans ce corridor. Le plancher est plus facile à fixer. C’est plus difficile pour les plafonds et la gestion de l’offre est une façon de gérer le plafond. En théorie on a un plafond. Concernant le protectionnisme, l’écotaxe est un outil puissant qui existe et qui nous permet d’être protectionnistes. On s’en va dans une ère de protectionnisme.
00:55:35 - Discussion : Quelle implication pour les communautés rurales et la transition socioécologique ?
- Il y a quelque chose de très concret dans ce qui est discuté maintenant.
- Lien avec le concept de biorégion, un concept qui parle du territoire que l'on habite à partir de différentes dimensions: géographique (bassin versant, montagnes, etc.), mais aussi culturelle, politique, économique, symbolique, etc.
- La notion de « pas dans ma cour » a permis de mettre de côté un projet de mine de graphite dans la Petite Nation. Il n’y avait pas d’acceptabilité sociale.
- On constate une perte de diversité très visible, tout fini par se ressembler.
- On le sait que les matières que l’on utilise viennent de quelque part et qu’elles vont quelque part ensuite. Il faut en être conscients.
- Il faut évaluer et prioriser les matières dont on a besoin dans notre société. Par exemple, si on a besoin des téléphones cellulaires, on a besoin de métaux rares et besoin de mines.
- Il faut réfléchir et prioriser des régimes de propriété qui sont loin de la contrainte de profit.
- La notion de gaspillage semble exclue des discussions.
01:08:18 - Partie 2: Verrous à la transition métabolique et outils de transition
Nous poursuivrons nos apprentissages en compagnie d’Éric Pineault qui nous présentera différents verrous à la transition métabolique et différents enjeux structurels de transition à partir des secteurs de l’énergie. Ensuite, nous explorerons différents outils de planification écologique pour acter la transition. Aussi, la présentation des 3 sphères de l’économie (naturelle, monétaire de production et de l’ordinaire) viendra nous outiller pour mieux lire les réalités économiques de nos milieux et identifier des leviers de transition.

L'impératif de croissance est l'un des principaux verrous. Nos usages sont construits et nos usages sont un verrou en soi. Par exemple, pour être en mesure de dissiper, de jetter, on s'organise, on a des jobs associées à la gestion des matières résiduelles.
Si l'on pensait autrement l'économie... le modèle des 3 sphères :
- Sphère de l’économie naturelle
- La nature produit beaucoup de richesse pour nous – capacité de nous fournir de la richesse importante, par-delà l’extraction.
- Résilience écologique, habitabilité, sens et identité
- Sphère de l’économie de l’ordinaire ou de subsistance
- Sphère de l’activité reproductive
- Production de biens, de liens et de services hors marché
- Contexte de production privé (domicile) ou collectif (communauté)
- Sphère de l’économie monétaire de production
- Extraction de masse et dissipation de masse (n’a pas de limites formelles)
Inverser la tendance. Faire croître l’économie naturelle et ordinaire ainsi que limiter l’économie monétaire de production. Les entreprises d’économie sociale répondent à ce besoin. Comment passer au modèle où même les entreprises privées n’a pas besoin de croitre?
Rôle de la planification de l’économie, de la démocratie
- Question de l’investissement
- Question de l’équilibre des 3 sphères
- Question de la longueur des circuits
- Question des couplages
- Question des besoins
- Question de la propriété
« Planifier la transition à petite échelle »
00:28:49 - Période d’échanges, de questions et de discussion
- Comment placer le politique à l’intérieur de toute cette modélisation?
La mise en œuvre de cette réflexion sur la planification et la façon de démocratiser cette planification est un processus politique. Pour le moment, le chemin de cette politisation de la planification, c’est à travers le « pas dans ma cour ». C’est-à-dire qu’à force de bloquer les projets, on politise l’investissement. Les luttes anti-extractives sont porteuses d’une politisation de l’investissement que l’on devra assumer positivement. Sera potentiellement conflictuel. Quels projets veut-on à la place pour créer des emplois? Une piste de solution serait l’approfondissement de la vie démocratique et une augmentation de la pesanteur politique des MRC, niveau qui se rapproche le plus des biorégions.
- Comment percevez-vous ce qui se passe actuellement autour de l’enjeu de la protection du caribou, en lien avec l’industrie forestière? L’exemple de Boisaco au Saguenay, une entreprise d’économie sociale intéressante, actuellement confronté à des exigences de conformité à des impératifs de territoire… il n’y a malheureusement pas de lieu où cette situation peut être gérée, avec entre autres un gouvernement en faux-fuyant.
Problème de planification… le problème plus large de l’industrie forestière, on surproduit et les usines sont mises en concurrence les unes avec les autres pour l’accès à la matière ligneuse. Il y a beaucoup d’enjeux et l’absence de planification fait en sorte que l’on n’arrive pas à gérer la situation autrement, donc on en reste à refuser la diminution de la quantité de bois que l’on extrait pour faire vivre des actifs et garder des jobs. Il n’y a pas de solution facile... Ça implique que Boisaco devra trouver une autre source de bois et il faudra une planification plus structurée de l’approvisionnement des usines.
- Enjeu de la répartition de la richesse qui a été effleuré… les sociétés riches sont celles qui consomment le plus de flux. Apporte la question de la répartition de la richesse entre les régions. On extrait de la matière des régions, au profit, en grande partie, des milieux urbains. Lors de la création d’aires protégées, il manque un élément à l’équation, c’est-à-dire la compensation aux régions. Il faut trouver des façons de répartir la richesse entre les territoires, des compensations.
C’est en effet fondamental comme question. Il faut trouver une façon de compenser, sans monétiser la nature, mais organiser un système de crédit pour que les milieux qui n’ont pas d’aires protégées compensent pour celles qui en ont.
- Les petites municipalités sont encouragées à avoir plus de responsabilités, mais sans les moyens qui viennent avec… très difficile de garder les services de proximité pour la population. Tout est contre les petites municipalités.
On ne peut pas garder le modèle actuel de la taxe foncière qui fait vivre nos municipalités… tant que l’on sera dans ce modèle, ça fera en sorte que l’on gruge de l’espace dans nos milieux naturels et nos terres agricoles. Il faudrait aller vers autre chose complètement que la taxe foncière. Idée de la dette écologique de temps, on la chiffre et chaque geste de remboursement qu’une municipalité fait, le gouvernement paie pour ce geste (aires protégées, industries vertes, etc.).
- Les pouvoirs locaux, municipalités et MRC, doivent jouer un rôle important en ce moment, dans la transition, dans la création d’espaces de délibération. Implique une alliance avec la société civile pour proposer des solutions et faire la pression sur les paliers de gouvernement plus haut.
- Ce qu’il manque dans l’arène politique est la notion de compromis. Chaque chose que l’on fait dans la vie vient avec des avantages, et chaque chose vient avec des inconvénients… on met souvent l’accent sur l’un plus que l’autre, on met rarement en avant le lien entre les deux. On doit savoir et mettre de l’avant ce qui vient avec les choix que l’on peut prendre.
Pour en savoir plus - Suggestions de lectures
Cédric Durand, Razmig Keucheyan (2024). Comment bifurquer : Les principes de la planification écologique. Zones, 256 p.
Kirkpatrick Sale (2020). L’art d’habiter la terre. La vision biorégionale. Éditions Wildproject, 272 p.
Mathias Rollot et Marin Schaffner (2021). Qu’est-ce qu’une biorégion? Marseille, Wildproject, 139 p.
Maxime Pedneaud-Jobin (2023). Libérer les villes. Pour une réforme du monde municipal. XYZ, 134 p.
Articles
Les biorégions : une géographie alternative plus respectueuse du Vivant
Sécurité sociale de l’alimentation : une solution pour lutter contre la précarité alimentaire
Lancement de l’expérimentation en Gironde d’une caisse commune de l’alimentation
Cette fiche a été réalisé par l'équipe de coordination des Ateliers des savoirs partagés, à partir de leurs notes personnelles.