Quand tous, mais vraiment tous les déchets ont de la valeur

Dans sa conférence (juin 2019) de 44 minutes sur son histoire personnelle et celle de son entreprise Loop , David Côté explique les principes de l'économie circulaire et insiste sur le fait que tout ce qui n'est pas utilisé a de la valeur.  Pour lui, l'économie circulaire " c'est créer de l'or avec des déchets ou des espaces non utilisés, c'est voir les choses qui ne valent rien comme un gisement " (à partir de 39mn15).

Parmi tous les déchets, il n'hésite pas à aborder le caca comme ayant aussi de la valeur .  Le mot est lancé!  Certes, ça peut nous rendre mal à l'aise.  Peut-on pousser jusque là la valorisation des déchets?  Bien sûr!  Rien de nouveau!  Mais peut-on partir une entreprise sur cette base ou est-ce réservé aux grands investissements publics?  Petit tour d'horizon.

« Tout l’engrais humain et animal que le monde perd, rendu à la terre au lieu d’être jeté à l’eau, suffirait à nourrir le monde », écrivait Victor Hugo en 1862.  Visionnaire Victor?  Assurément!

« On doit arrêter de voir les excréments comme un déchet. C’est une source d’énergie gratuite beaucoup plus verte que le pétrole », indique d’emblée Catherine Bourgault, doctorante en génie des eaux à l’Université Laval, à Québec, qui se spécialise dans la biodégradation des matières fécales. « À condition de s’assurer de l’absence de pathogènes, c’est tout à fait logique de valoriser la matière fécale et de la récupérer, sinon on gaspille de l’énergie pour s’en départir », dit-elle.

Dans les pays industrialisés, où presque tout le monde a accès à des toilettes confortables, le gaspillage est double, puisqu’on utilise de l’eau potable pour transporter les matières fécales jusqu’aux stations de traitement. Selon Environnement et Changement climatique Canada, un Canadien consomme en moyenne 328 L d’eau par jour à la maison, dont 30 % finissent dans le tuyau de toilette. Un non-sens, selon l’Américain Joseph Jenkins qui prône le compostage de la matière fécale. Selon un procédé simple, le compost appelé « fumain » (fumier humain), prêt au bout de deux années, fertilise la terre du jardin .

La toilette à compost , connue également sous les noms de toilette sèche ou cabinet à terreau, a suscité de l’intérêt au Québec. «Ici, les températures froides représentent un défi pour générer du compost à partir des excréments, car il faut contrôler et éliminer les pathogènes avec une chaleur suffisante, mais c’est possible de le produire », assure Catherine Bourgault.

La réglementation obligeant l'installation de fosses septiques, quand il n'y a pas de connexion directe à un système de traitement des eaux usées, désole Lucie Mainguy qui avait lancé le projet Caca d’or dans la région de Portneuf pour mettre en place un type de toilette sèche récupérant la chaleur générée par le fumain.

Les boues usées municipales , issues du traitement des eaux, sont épandues dans les champs ou vendues sous forme de compost pour fertiliser des cultures destinées à l’alimentation animale .   Elles peuvent aussi être séchées en « galettes », puis incinérées . Les cendres qui en résultent sont ensuite enfouies, mais une partie est récupérée pour entrer dans la fabrication du ciment ou d’engrais agricoles.

Par nature, les matières fécales sont riches en bactéries, en fibres, en polysaccharides et en protéines. Elles forment donc une biomasse idéale pour générer de l’engrais, comme on le faisait traditionnellement dans l’Antiquité, mais aussi pour produire de l’énergie. C’est le principe de la « biométhanisation », où la matière organique est fermentée dans un « biodigesteur ». À l’intérieur de ce gros estomac de béton, dans un milieu contrôlé et sans oxygène, des millions de milliards de bactéries s’activent pour décomposer la matière. Ce repas gargantuesque, en se dégradant, produit du biogaz, dont une quantité importante de méthane qui servira comme source d’énergie. En 2021, la ville de Québec aura sa propre usine de biométhanisation qui transformera annuellement 86 000 tonnes de résidus alimentaires ainsi que 96 000 tonnes de boues municipales en 6,6 millions de mètres cubes de biométhane.

Si la totalité des rejets humains était transformée, on fournirait de l’électricité à 138 millions d’habitations, tout en économisant 9,5 milliards de dollars américains , selon un rapport du United Nations University Institute for Water, Environment and Health, publié en 2015. Déjà, une quarantaine de véhicules municipaux de la ville de Grand Junction, au Colorado, et les autobus assurant la liaison entre Bristol et Bath, au Royaume-Uni, comptent sur le méthane produit à partir des boues usées pour rouler .

En Ontario, l’usine de biogaz ZooShare recyclera dès la fin de 2018 des déchets alimentaires ainsi que les fèces des animaux du zoo de Toronto . Il prévoit transformer en biogaz 17000 tonnes de matériel organique, dont 2 000 tonnes de déjections animales, chaque année.

En stimulant la croissance de certains micro-organismes déjà présents dans les boues usées à l’intérieur d’un fermenteur, ceux-ci synthétiseront alors enzymes, biopesticides, bioplastiques, etc . Par exemple, pour produire du bioplastique (poly-3-hydroxybutyrate), les boues sont placées à l’intérieur du fermenteur dans des conditions contrôlées et spécifiques favorisant la croissance de certaines bactéries, dont les espèces Pseudomonas et Bacillus , qui sécrètent le polymère convoité.

J'allais oublier l'urine peut être un bon fertilisant , allez le demander à cette jeune entreprise française Toopi organics .  Toutes les explications en vidéo .

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Jerry Espada 26 mai 2021 à 15:41

Les audiences du BAPE sur l’état des lieux et la gestion des résidus ultimes au Québec (la gestion des matières résiduelles) a débuté le 25 mai dernier.

Claude Villeneuve, professeur titulaire et directeur de la Chaire en éco-conseil, se pose la question : pourquoi, après 40 ans d’efforts, ne vient-on pas à bout de réduire significativement le volume des déchets à éliminer (640kg par personne et par an)?

Il mentionne qu'il faudra chercher au-delà de la formule magique des 3RV (réduction à la source, réemploi, recyclage et valorisation) pour régler le problème qui est tout simplement systémique.

Pour réduire à la source, il faut d’abord appliquer l’écoconception, qui est du ressort des manufacturiers, et l’achat responsable, du ressort des consommateurs et des gestionnaires aux approvisionnements.

Les municipalités n’ont donc pas plus de pouvoir en amont qu'en aval puisque lorsqu’il s’agit de recycler, il faut des débouchés pour des produits qui n’ont pas été optimisés pour trouver leur voie dans l’économie circulaire. La machine à générer des ordures est structurelle et les villes n’y peuvent pas grand-chose.

Le gouvernement aura beau imposer des cibles aux municipalités, la réduction des résidus ultimes interpelle toute la chaîne de production. Passer la responsabilité au suivant n’est pas une option. Il faut de la cohérence, des outils de mesure adéquats, de la traçabilité et une taxation dissuasive à l’enfouissement.
https://www.lesoleil.com/claude-villeneuve/ordure-vous-avez-dit-ordure-0...

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Jerry Espada 17 mai 2021 à 11:59

Marc Lurcotte, professeur titulaire de la chaire de recherche stratégique sur la transition vers la durabilité des grandes cultures de l’UQAM, estime qu'i faut miser sur la richesse des boues municipales pour les grandes cultures comme le maïs, le soya, le blé plutôt que pour la culture de fruits et de légumes, en raison de la possibilité d’y retrouver des pathogènes.
https://www.lavoixdelest.ca/actualites/un-tresor-insoupconne-dans-les-bo...

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Jerry Espada 9 décembre 2020 à 14:07

À la suite d'un précédent commentaire sur la méthanisation agricole qui montrait du doigt la taille de projets français, Bernard Lemoult, directeur de recherche à IMT Atlantique et directeur du Collège des transitions sociétales (France), a rédigé une note intitulée :
"LE PROJET DE METHANISATION DE LA COOPERATIVE D’HERBAUGES : QUE P(A)ENSER ?"
https://web.imt-atlantique.fr/x-de/cts-pdl/uploads/images/College%20TS/N...

En conclusion, la note mentionne qu'on ne peut plus mener des projets d’infrastructure, même s’il s’agit de projets de transition, en s’inscrivant uniquement dans le cadre règlementaire qui n’a pas (encore) anticipé les attentes sociétales. C’est d’autant plus vrai pour des projets « hors normes » qui concernent l’ensemble des acteurs de leur territoire. L’enjeu n’est pas d’imaginer un dispositif pour « faire accepter », mais bien pour « faire adhérer », avec en visée une situation apaisée pour ce projet … et pour les suivants.

Au-delà de l’enjeu de déployer sur nos territoires des installations techniques de production d’énergies renouvelables à partir du vent, du soleil, de la biomasse, on voit bien l’importance de la manière dont ces projets sont portés et conduits sur les territoires.

La nécessaire adhésion sociale encore une fois ne peut pas se limiter à des actions de communication de la part du porteur de projet, aussi sincères et pédagogiques soient-elles. Il faut aller plus loin, et avec les autres parties prenantes.


Commentaires importés

Jerry Espada 28 septembre 2020 à 15:20

Les boissons alcoolisées sont devenues le nouveau paradis de l'économie circulaire. Découvrez comment des microbrasseries et des distilleries naviguent dans cette économie sans pour autant "tourner en rond".
https://unpointcinq.ca/sinspirer/economie-circulaire-alcool-jus/?utm_sou...

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Marie-France Bellemare 28 août 2020 à 11:11

Effectivement, tout dépend de la taille du projet et des valeurs qui le sous-tendent. La coopérative Agri-Énergie Warwick s'est développée autour d'un modèle de biométhanisation agricole coopérative. Elle est contrôlée par des agriculteurs locaux, opère à partir de déchets uniquement et non de cultures, et prend en compte l'ensemble de ses externalités pour éviter les nuisances et constituer au contraire un projet structurant pour la communauté. La Coop Carbone offre l'expertise nécessaire à la réalisation et à l'opération du projet, dont le déploiement sera suivi par le TIESS dans la prochaine année dans le cadre de son projet sur l'économie circulaire.

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Jerry Espada 28 septembre 2020 à 15:08

Pour en savoir plus sur l'expérience coopérative Agri-Énergie : https://unpointcinq.ca/sinspirer/fumier-de-vache-gaz-naturel-renouvelabl...

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Jerry Espada 25 août 2020 à 10:18

La méthanisation agricole oui, mais attention à la taille du projet et ses effets pervers.
Notamment, pour fonctionner, un méthaniseur doit recevoir régulièrement du substrat, fumier et lisier, mais aussi des cultures intermédiaires — avoine, orge, maïs — plantées dans le seul but de nourrir le processus de production du gaz. La terre qui gaze remplace la terre qui nourrit.
De plus, pour "nourrir la bête" 100 à 120 passages quotidiens de camions sont nécessaires contribuant ainsi aux émissions de GES et à l’usure des routes et des rangs à la charge des villages.
Enfin, la matière restante après production du gaz (le digestat) est utilisé comme un engrais épandu sur les terres agricoles, sauf que les fermes bio n’en veulent pas, parce que ce digestat sortant d’élevages intensifs concentre pesticides et antibiotiques. La cuve du digesteur est une marmite d’éléments pathogènes nocifs pour les vers de terre ou les abeilles, avec le risque d’empoisonner les sols sur lesquels ces résidus sont étendus, selon le Collectif scientifique national sur la méthanisation (CSNM).
En France, la pratique d'autosurveillance de ces procédés est remise en cause, dénonçant que : "Dans l’état actuel de la situation, on va droit à des problèmes de salubrité publique et de graves pollutions environnementales. (...) On ne peut consciemment confier plus de déchets à des unités qui n’ont pas fait la preuve de leur sérieux et de leur capacité à prendre en considération les populations riveraines, la biodiversité et l’environnement. »
https://reporterre.net/Methanisation-la-fuite-en-avant-de-l-agro-industr...

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Jerry Espada 2 août 2020 à 7:39

Questions et réponses du ministère de l’environnement sur l’utilisation des boues municipales en agriculture.
Un peu moins de la moitié (42%) de ces biosolides sont «recyclés», pour la plupart sur des terres agricoles, le reste passant par les mêmes voies que les autres matières résiduelles, soit l’incinérateur (49%) et l’enfouissement (9%). Ce n’est pas une source très importante d’engrais puisque seulement 1,5 % des champs du Québec s’en servent, comparativement à 65% pour les engrais minéraux et 50% pour les fumiers animaux.
http://www.environnement.gouv.qc.ca/matieres/articles/boues-epuration/fa...

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Jerry Espada 11 juin 2020 à 7:46

Le documentaire « Tes déchets ma richesse » (ICI Tout.TV) fait une belle incursion dans l’économie circulaire avec la présentation d’initiatives québécoises inspirantes. https://www.quebeccirculaire.org/articles/h/tes-dechets-ma-richesse.html...

https://www.quebecscience.qc.ca/environnement/la-deuxieme-vie-de-nos-excrements/

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4 juin 2020

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