Faire advenir le futur : c’est à notre portée ! (BAnQ 1)

Ici et là, dans tous les secteurs, cultures et systèmes, de nouvelles façons de fonctionner émergent plus respectueuses de l’humain et des besoins de notre époque. Ces avancées sont précieuses et il est important de les faire connaître.

En voici une de taille : depuis le 14 décembre 2020 une évolution notable des façons de faire est en place au service de l’abonnement et de l’emprunt de la Grande Bibliothèque. Cet accomplissement souligne l’intérêt de compter sur toutes les intelligences (note 1). Il s’agit de mieux travailler avec les partenaires externes mais aussi les « membres » de la bibliothèque (note 2), c'est-à-dire ceux et celles à qui la bibliothèque s’adresse dont – c’est important de le réaliser jusqu’au bout - les employés eux-mêmes font partie.

L’équipe de près de 50 personnes de ce service de la Grande Bibliothèque avait l’habitude, depuis des années, de fonctionner selon une grille complexe d’assignations gérée au quart d’heure. L’horaire des 33 commis permanents de l’équipe était ainsi entièrement quadrillé du matin au soir ne laissant que bien peu d’initiatives à des employés pourtant hautement expérimentés et qualifiés. Cette situation était le reflet de la difficulté de gérer des flux vraiment très importants de documents mais aussi et surtout l’héritage de la culture très hiérarchisée de ce vaisseau amiral des bibliothèques publiques qui compte plusieurs centaines d’employés et de nombreux niveaux d’encadrement. La situation inédite de la pandémie a ouvert une brèche prometteuse dans l’ordre habituel des choses. Voici comment s’est passée cette évolution remarquable et la découverte de ses nombreux avantages.

Les circonstances de la transformation

Au printemps 2020, la Grande bibliothèque a dû fermer pour cause de pandémie. Deux semaines avant sa réouverture, les commis ont repris le travail pour traiter les chariots de documents retournés accumulés. Il n’y avait plus d’assignations en ce temps de crise mais l’équipe a néanmoins réussi à traiter 85 chariots en moins de deux semaines. A la réouverture début juillet, les habituelles assignations ont repris et l’équipe a dû s’adapter à toutes sortes de situations nouvelles dont la mise en place du service des mises de côté, qui a connu un succès croissant, et les procédures d’hygiène permettant de faire face à la peur du virus. À l’automne, quelques temps après la nouvelle « phase rouge de reconfinement », le contrat des commis surnuméraires n’a pas été renouvelé. Le moral des troupes était au plus bas et la frustration à son comble, d’autant plus que - un classique - l’information percolait bien peu au niveau le plus bas des nombreux échelons hiérarchiques.

Une valeureuse membre de l’équipe des commis a eu alors une idée pour remonter le moral de ses collègues : Pourquoi ne pas revenir à l’absence d’assignations vécue avant l’ouverture ? Elle a eu le courage de défendre son idée auprès de sa supérieure hiérarchique immédiate, la bibliothécaire coordonnatrice du service de l’abonnement et de l’emprunt. Arrivée depuis un an dans son poste, cette dernière, détentrice d’une formation en gestion, avait même suivi dans ce cadre un cours de 45H en mobilisation des équipes. Ayant à cœur la santé physique et mentale des membres de son équipe, croyant en la collaboration et ayant appris comment s’y prendre, elle a tout suite vu l’intérêt de cette proposition et a su la défendre comme un projet pilote réaliste auprès de ses deux supérieurs hiérarchiques. Elle a imposé des balises : Certaines assignations restaient fixes (vider la chute à livres, accueillir les membres au comptoir de réservation et de prêt) et des objectifs moyens journaliers devaient être respectés pour toutes les autres tâches. Par exemple, au moins 60 bacs traités par jour; au moins une moyenne de 75 réservations traités à l’heure... Des rencontres entre commis ont été organisées pour discuter de la mise en place de cette nouvelle façon de travailler davantage basée sur l’engagement moral, l’autonomie et l’auto-régularisation. Certains étaient intéressés, quelques-uns étaient convaincus que ça ne marcherait pas mais, finalement, la grande majorité des 33 commis permanents concernés se sont engagés par écrit à tenter l’expérience. Sur le formulaire d’engagement volontaire figuraient quelques balises supplémentaires comme le fait qu’il s’agissait bien de s’autoorganiser et non de gérer ses collègues. Les objectifs journaliers globaux étaient affichés au mur et dès qu’ils étaient atteints, on devait les cocher en indiquant l’heure de fin de la tâche.

Les résultats

Quelques semaines après le démarrage de cette façon plus souple – et aussi bien plus humaine - de travailler, l’expérience est une réussite totale. Non seulement on a réussi à atteindre les cibles mais les changements d’affectation se font naturellement pour l’ensemble des tâches. Certains membres de l’équipe, qui faisaient autrefois plutôt moins que les autres, aident maintenant plus volontiers leurs collègues et travaillent à un rythme nettement plus soutenu. Des alliances inattendues entre collègues ont pu s’installer. L’équipe a même découvert qu’en cas de conflit entre collègues, il devenait enfin possible de ne plus avoir à travailler ensemble. Les techniciens qui perdaient un temps précieux à recalculer des assignations peuvent maintenant consacrer davantage de temps à leurs autres tâches et arrivent enfin à les terminer à temps. Surtout, la bonne humeur est revenue dans l’équipe et tous découvrent des bénéfices au-delà des espérances à ce nouveau système. Il y avait bien des peurs (que va-t-il arriver si j’ai fini et que ne sais pas quoi faire? que va-t-il arriver si je ne peux pas remplir mes quotas?) mais elles ont été balayées avec l'expérience

Il s’agit encore bien sûr d’une expérimentation pilote qui devra démontrer qu’elle fonctionne dans la durée, notamment quand l’équipe aura retrouvé tous ses employés surnuméraires. Toutefois, cette expérience rapproche BAnQ d’autres organisations qui démontrent au quotidien, et quelques fois depuis des décennies, qu’on peut travailler autrement tout en restant efficace (note 3). Les résultats sont tels qu’ils laissent même espérer que l’on peut maintenant s’attaquer à d’autres irritants de longue date.

Quels ont été les ingrédients principaux de cette belle réussite ? Le partage d’objectifs précis qui conforte la confiance, sans doute ; la bienveillance et l’humilité bien comprise des personnes en situation de décider, également ; mais aussi et surtout la participation active de tous les membres de l’équipe qui auront réussi collectivement à mettre en place une nouvelle organisation de travail qui mobilise davantage leur habituel souci de bien faire et leur attachement à l’institution.

Pour transformer nos organisations et trouver les meilleures solutions ce n’est donc peut-être pas tant d’innovations techniques que nous avons besoin que de changements profonds en nous-mêmes et la bonne nouvelle est que cette source d’amélioration est, en tout temps, à notre portée. À l’heure des changements climatiques et du monde en perpétuel bouleversement qui est sans doute maintenant le nôtre, nous sommes tous invités, plus que jamais, à tourner ainsi notre attention vers nous-mêmes (note 4).

J’écris ces lignes, au moment où nous découvrons tous avec stupeur, avec l’exemple de nos voisins américains, jusqu’où peuvent nous conduire certains de nos aveuglements volontaires. Comme suggéré par Rich Harwood (note 5), il est grand temps de nous demander « que défendons-nous, pourquoi nous battons-nous, en quoi croyons-nous, en qui croyons-nous, comment croire à nouveau en l’autre ? C’est le travail qui nous attend… ayons le courage et l’humilité de faire face à cette réalité, d’engager notre imagination pour recréer une société qui nous permette de vivre nos vies et nos communautés dans notre pays de manière à construire une société plus juste, plus équitable, plus inclusive et davantage porteuse d'espoir. Nous avons encore beaucoup à faire ».

Note 1 : Voir sur le sujet l’article publié ici sous le titre « Travaillons ensemble 2 »

Note 2 : J’utilise intentionnellement le mot « membres » parce que je crois, comme David Lankes, que les mots comptent. Voir l’un des nombreux articles qu’il a publié à ce sujet : Customers, Members, and Users oh my! (2019)

Note 3 : Il s’agit d’entreprises privées ( entreprise « opale » ou entreprise « libérée » ) mais aussi d’organismes à but non lucratif comme le regroupement d’infirmières néerlandais Buurtzorg ou même de structures gouvernementales comme le gouvernement écossais. Ce dernier va d’ailleurs bientôt publier sa nouvelle stratégie quinquennale en matière de bibliothèques publiques qui sera « axée sur les personnes, les lieux et les partenariats et prendra également en compte l'impact de la COVID-19, les changements climatiques et la nécessité de la viabilité. »

Note 4 : On peut lire à ce sujet L’intention, l’écoute générative, des moyens pour faire advenir le futur (2019) .

Note 5 : Communication du Harwood Institute for Public innovation du 7 janvier 2021 " Against the insurrection : What do you stand fo r".

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Intégré par Chloe Luchs, le 3 avril 2024 15:49
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Observations bibliothèques en transition 2020-2023
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Intégré par Pascale Félizat, le 3 avril 2023 21:17

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Publication

14 janvier 2021

Modification

4 avril 2023 13:15

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