Le commoning, ou l’art de faire ensemble autrement

Photo: Amy Humphries sur Unsplash

On parle de plus en plus des communs. On les voit comme des ressources à partager, des lieux collectifs, des alternatives aux marchés et à l’État. Mais ce qu’on oublie souvent, c’est que les communs ne sont pas des choses. Ce sont avant tout des pratiques.

Et c’est là qu’entre en jeu un mot moins connu, mais essentiel : le commoning.

Le commun comme verbe

Le commoning, c’est l’acte de mettre en commun. Ce n’est pas une étiquette qu’on colle sur un projet, mais une façon de faire, de décider, de vivre ensemble. C’est ce qu’on observe dans des cuisines collectives, des habitats partagés, des coopératives autogérées, des monnaies locales, des réseaux d’échange de services, des fermes communautaires…

Plutôt que de se demander “est-ce un commun ou non ?”, on peut se demander : “quelles pratiques de commoning sont à l’œuvre ici ?”

Le commoning, en 7 dimensions

Dans ma recherche, j’ai approfondie 7 grandes dimensions du commoning qui ont initialement été proposées l'économiste allemand, Johannes Euler. Elles permettent de reconnaître — et de soutenir — les pratiques de commoning. Voici ces dimensions traduites dans un langage simple, avec des exemples concrets.

1. Faire ensemble, pour et avec

On n’est pas simplement consommateur ou spectateur : on contribue, on façonne, on prend soin.

Le commoning dépasse la séparation entre producteur et utilisateur. Dans un commun, les participant·es ont la possibilité de co-produire les ressources qu’ils utilisent, tout en en prenant soin.

Exemple :

Dans une cuisine collective, les personnes cuisinent ensemble, partagent les repas, échangent des recettes, et organisent la répartition des tâches. Chacun·e est à la fois contributeur·rice et bénéficiaire.

Indices concrets :

  • Les membres peuvent proposer ou modifier des services.
  • Il existe des moments où la production (faire) et l’usage (profiter) se rencontrent.

 

2. Répondre à des besoins, pas générer du profit

On crée des ressources pour vivre, pas pour faire de l’argent.

Le commun vise d’abord la satisfaction de besoins essentiels (se nourrir, se loger, apprendre, se déplacer…), et non la création de valeur économique ou la vente rentable.

Exemple :

Une bibliothèque d’objets permet d’emprunter outils, appareils ou équipements gratuitement ou à faible coût. L’objectif est d’éviter l’achat individuel, pas de maximiser les revenus.

Indices concrets :

  • L’activité économique est orientée vers l’accès, pas la croissance.
  • Les tarifs sont réfléchis collectivement, parfois modulés selon les moyens.

 

3. S’engager librement, avec le cœur

La participation est volontaire. On vient parce qu’on y croit, pas parce qu’on y est forcé.

La participation est volontaire, motivée par le sens, l’utilité sociale, l’envie de contribuer. Il ne s’agit pas d’un contrat de travail, mais d’un choix actif, dans la mesure du possible.

Exemple :

Dans un jardin communautaire, chacun·e vient quand iel peut. Il n’y a pas d’obligation formelle, mais un engagement basé sur la confiance, le respect des saisons et des autres.

Indices concrets :

  • Les gens participent par envie ou conviction, pas (seulement) pour l’argent.
  • L’engagement est modulable (temps, rythme, rôle).

 

4. S’auto-organiser, sortir des cadres classiques

On crée nos propres règles. On décide entre nous comment ça fonctionne.

Les communs fonctionnent en dehors de hiérarchies figées. Ils reposent sur une organisation horizontale, souple, évolutive, où les règles sont décidées collectivement.

Exemple :

Une coopérative d’habitation prend ses décisions en assemblée, avec rotation des rôles de facilitation, et ajustement des règles selon les besoins du moment.

Indices concrets :

  • Pas de chef permanent ou d’organigramme rigide.
  • L’organisation peut changer, s’adapter, évoluer par essais-erreurs.

 

5. Décider entre pairs, sans chef ni patron

Le pouvoir est partagé. Chacun·e a une voix, et on cherche à décider ensemble.

Le commoning repose sur une gouvernance où toutes les voix comptent, sans que le pouvoir ne soit accaparé par une poignée de personnes. Les décisions peuvent être prises par consensus, consentement ou rotation.

Exemple :

Un groupe utilise la prise de décision par consentement : chacun·e peut exprimer une objection ou une réserve, et le groupe cherche une solution qui intègre ces tensions.

Indices concrets :

  • Méthodes de décision explicites (vote, consensus, consentement…).
  • Pouvoir réparti, voix égales ou pondérées selon l’expérience, jamais imposées.

 

6. Inclure sans s’épuiser

On ouvre la porte, mais on respecte nos limites. L’accueil se fait avec soin.

L’inclusion est centrale, mais elle se pense en fonction des capacités d’accueil du commun. Il s’agit d’ouvrir l’espace, tout en respectant l’équilibre collectif et les limites humaines.

Exemple :

Une monnaie locale prévoit un processus d’intégration progressif pour les commerçant·es, incluant mentorat, outils pédagogiques et accompagnement par des pairs.

Indices concrets :

  • Facilité d’intégration pour de nouvelles personnes (explicitation des codes, accueil, accompagnement).
  • Prise en compte des différences (langue, genre, culture, mobilité…).

 

7. Tisser des liens avec les autres et avec le vivant

Le commun n’est pas une bulle. Il est en relation avec d’autres personnes, d’autres projets, la nature.

Un commun s’inscrit dans un réseau vivant, en lien avec d’autres groupes, institutions, environnements ou luttes. Il prend soin de ce qui dépasse son propre cercle.

Exemple :

Une coopérative alimentaire travaille avec des producteurs locaux, participe à un réseau de communs alimentaires, et organise des activités de sensibilisation écologique dans le quartier.

Indices concrets :

  • Relations avec d’autres initiatives ou institutions.
  • Attention portée à l’environnement naturel ou social autour du commun.

 

Un apprentissage continu

Faire du commoning, ce n’est pas simple. C’est un chemin collectif fait de tentatives, de tensions, de réussites. On y apprend à écouter, à ralentir, à transformer nos habitudes. À réparer nos relations autant que nos outils.

Et ce n’est pas “réservé” à ceux qui se disent commoners. Beaucoup de groupes communautaires, d’initiatives citoyennes, ou de projets sociaux font du commoning sans le savoir. Le reconnaître, c’est un premier pas pour le renforcer.

Et chez nous ?

Au Québec, ma recherche a identifié plus de 300 initiatives avec un potentiel du cultiver des pratiques de commoning, dans des domaines aussi variés que l’agriculture, l’éducation, la santé, la culture, ou l’environnement.

On y retrouve par exemple :

  • Une ferme maraîchère en milieu rural qui fonctionne par travail partagé et prise de décisions collective.
  • Une initiative citoyenne d’intégration de personnes réfugiées, sans hiérarchie, construite autour de relations humaines solides.
  • Un espace communautaire autogéré où se croisent jardinage, ateliers, cuisine et médiation interculturelle.

Et vous ?

  • Quelles dimensions du commoning pratiquez-vous déjà, sans forcément y penser ?
  • Dans votre groupe ou organisation, lesquelles sont à renforcer ?
  • Et si vous faisiez un petit diagnostic en équipe ? (on vous propose un outil dans la prochaine note…)

🌿 Poursuivre la lecture : 5 grandes formes de commoning au Québec : panorama rapide (À venir!)

noteNote liée

paddingCarnet qui inclut cette note

Faire communs autrement : pratiques, tensions et leviers au Québec
file_copy 2 notes
person
Intégré par Marie-Soleil L'Allier, le 2 mai 2025 12:39

Auteur·trice de note

forumContacter l’auteur·trice

Communauté liée

Cultiver les communs

Profil Passerelles

Carnets Praxis

forumDiscuter de la note

Publication

2 mai 2025

Modification

2 mai 2025 17:51

Historique des modifications

Licence

CC BY-NC-SA, sans utilisation commerciale autorisée - plus d'informations

Visibilité

lock_open public

Pour citer cette note

Marie-Soleil L'Allier. (2025). Le commoning, ou l’art de faire ensemble autrement. Praxis (consulté le 17 mai 2025), https://praxis.encommun.io/n/udyDIR5Te_vecaQ7o5cF-djLwRo/.

shareCopier