Il est très important de prêter la plus grande attention à ce qu’exprime réellement son environnement immédiat lorsqu’on se préoccupe de transition. Le « Observe, observe, observe ! » doit être un mantra. Voici donc le correctif d’un article publié initialement le 30 septembre pour lequel je n’avais pas parcouru jusqu’au bout les pages Facebook des bibliothèques universitaires. Ma rigueur retrouvée me conduit à de nouvelles réflexions.

En cette toute première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation , j'ai eu envie d'observer ce que faisaient à ce sujet les bibliothèques de mon milieu de vie. Le fait de célébrer, de commémorer quelque chose dans l’espace physique ou virtuel de la bibliothèque fait, en effet, intégralement partie du pouvoir agir de ces institutions pour bien servir leur rôle de symbole des aspirations de la communauté. Il semble toutefois que ce pouvoir soit encore à utiliser avec davantage de conscience, de constance, de cohérence… mais peut-être aussi de collaboration entre bibliothèques !

Des 4 bibliothèques universitaires de Montréal, seule la page Facebook de la bibliothèque McGill (la bibliothèque de Concordia n’a pas de page) fait mention de la célébration de cette première journée nationale : photos d’employés aux chandails orange, signalement d’une sélection de livres, d’un programme de CBS donnant la parole à des musiciens autochtones et d’une thèse sur le sujet des pensionnats et, enfin, invitation à visionner les collections de la BU en cinéma inuit, métis et des premières nations.

Toutefois les pages Facebook des universités elles-mêmes font toutes mention de l’évènement avec plus ou moins de développements. Ainsi toutes participent à l'Orange Light the Country initiée par le Centre national pour la vérité et la réconciliation (NCTR) mais l’Université Concordia et l’UdeM sont les seules à expliquer le pourquoi du chandail orange qui est à son origine (note 1). Concordia et l’UdeM semblent aussi les seules à avoir développé des activités pour l’occasion en prenant l’avis des employés autochtones de l’université et à proposer des espaces de discussion sur la question (note 2). Enfin, seule Concordia signale une page de ressources spécifiques préparée en collaboration avec les bibliothèques (note 3).

Des 12 bibliothèques publiques de mon milieu de vie au cœur de Montréal, et si on se fie à leurs pages Facebook :

  • 3 bibliothèques n'ont pas commémoré ce jour ni d’ailleurs aucune des autres célébrations autochtones cette même année (Festival autochtone, Mois national de l'histoire autochtone, Journée nationale des Peuples autochtones...);
  • 4 n'ont pas marqué ce jour particulier mais ont tout de même célébré les peuples autochtones à une autre occasion
  • 5, soit un peu moins de la moitié, ont célébré cette journée ainsi que les autres occasions de célébrer ces nations.

Ainsi, BAnQ indique que "Comprendre notre passé, c’est imaginer notre avenir" et signale une très intéressante vidéo de Richard Kistabish commentant, au sujet des terres de ses ancêtres au Témiscamingue, le rapport Paradis, un document d’archives illustré à l'aquarelle et rédigé par le missionnaire oblat Charles-Alfred-Marie Paradis à propos de ce même territoire ;

Plusieurs des bibliothécaires du Plateau partagent leurs coups de cœur dont celui-ci " Un magnifique album que j’ai aimé parce que l’histoire est inspirée du périple véridique de Josephine Mandamin: une Nokomis (grand maman) Ojibwe, qui a fait le tour à pied des Grands Lacs et a marché d’un océan à l’autre pour nous sensibiliser à l’importance vitale de protéger NIBI (l’eau), mère de la vie, pour les générations futures ". Un lecteur partage sous cette mention le témoignage vidéo de cette grand-mère ;

La bibliothèque de Maisonneuve propose de son côté de "découvrir notre exposition - de livres- mettant en valeur des œuvres d'auteurs autochtones" et la Bibliothèque de Rosemont propose elle aussi de souligner cette journée en proposant elle-aussi une sélection d'œuvres littéraires autochtones dans le catalogue Nelligan mais aussi sur le site Les Libraires tout en indiquant "Prenons tous un moment aujourd'hui pour honorer les survivant.e.s des pensionnat, ainsi que leurs familles".

Un éventail assez large, donc, de façons de célébrer cette journée et de conforter (ou non) la reconnaissance de la présence autochtone. Les initiatives pour associer des membres des communautés autochtones à la programmation et les deux vidéos qui leur donnent la parole sont ici particulièrement opportunes bien sûr.

Je rêve du moment où, pour aller plus loin, les concerné-es seront véritablement consultés sur la meilleure façon dont les bibliothèques pourraient apporter une contribution à leur cause en cette journée de commémoration et tout le reste de l’année.

Il y a eu quelques rencontres professionnelles à ce sujet et des recommandations - notamment celles du Comité des questions autochtones de la Fédération canadienne des associations de bibliothèques. Signalons aussi l’intéressante initiative de sensibilisation aux questions autochtones proposée aujourd’hui aux étudiants en bibliothéconomie de l’UdeM.

Avons-nous déjà des engagements auprès des nations autochtones, nous les bibliothécaires québécois ? Et si oui, se traduisent-ils dans les faits au fil des années ?

Ce que nous lisons de ce panorama des initiatives c’est la difficulté apparente des bibliothèques de s’impliquer concrètement dans l’éducation concernant la situation réelle des peuples autochtones ici et maintenant au Québec. Où sont dans le temps et l’espace « nos » propres histoires d’oppression des peuples autochtones ? Car à l’évidence nous avons encore à documenter la mémoire qui manque. Personnellement je me suis instruite sur la question grâce à un zine « Les pensionnats indiens au Québec » publié par Larry D.  Il nous invitait « à retourner les pierres de notre propre jardin ». Celà reste largement à faire.

Que ces journées de célébration soient aussi le moment pour les bibliothèques de rendre compte de l’avancée des engagements pris de ce point de vue auprès des nations autochtones serait sans doute aussi à recommander.

Je crois que d’une façon générale il y aurait lieu de réfléchir davantage à la fois à la nature des célébrations choisies mais aussi aux moyens utilisés pour ce faire.

Une étude rapide des autres commémorations mentionnées sur les pages Facebook des 12 bibliothèques publiques examinées pouvant avoir un lien avec la question de l’éducation relative à l’environnement - qui comprend aussi les questions d’Équité, Diversité et Inclusion - donne les statistiques suivantes en nombre de bibliothèques différentes ayant célébré au moins une fois l’événement sur sa page Facebook:

Jour de la terre (22 avril) : 9

Mois de l’histoire des noirs (Février) : 8

Mois de l’accessibilité universelle (Octobre) : 5

Journée internationale des droits des femmes (8 mars) : 4

Journée mondiale de la sensibilisation à l'autisme (2 avril) : 3

Semaine de la liberté d’expression : 3

Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie (17 mai) : 2

Journée mondiale de l'environnement (5 juin) : 2

Journée mondiale de l'eau (22 mars) : 2

Journée mondiale des abeilles (20 mai) : 1

Journée mondiale du vélo (3 juin) : 1

Journée mondiale contre la malbouffe (21 juillet) : 1

Mois de la nutrition (mars) : 1

Journée mondiale de la santé mentale (10 octobre) : 1

J’ai passé plusieurs heures à m’assurer de bien comprendre ce que faisaient la douzaine de bibliothèques publiques de mon milieu de vie pour souligner le Jour de la terre, qui, je le pensais un peu naïvement, aurait pu être un bon indicateur de l’engagement des bibliothèques à soutenir la cause environnementale.

Le premier « Jour de la terre » qui rassembla 20 millions de personnes le 22 avril 1970 aux États-Unis, fut en effet un succès si énorme, qu’encore à ce jour, ce jour constitue la plus importante mobilisation en environnement dans le monde, plusieurs organismes choisissant chaque année cette date pour témoigner de leur engagement environnemental. Célébré depuis 1995 au Québec sous l’égide des organismes Projets Saint-Laurent , Jour de la terre Québec et EarthDay Canada , cette journée a fait objet d’une manifestation monstre à Montréal en avril 2012, la foule formant un arbre géant dans la rue du Parc et ses abords.

Cette année-là, 3 bibliothèques sur 12 seulement mentionnent l’évènement sur leur page Facebook (BAnQ, Père Ambroise dans Ville-Marie et la bibliothèque Robert-Bourassa à Outremont). Seule BAnQ signale une action réalisée à cette occasion (une sélection de livres). En 2021, elles sont à peine plus (5) à signaler le Jour de la terre sur leur page Facebook. Il faudrait bien sûr contrôler ces statistiques avec les concernées en demandant qui reçoit et exploite effectivement du matériel promotionnel "Jour de la terre" dans ses locaux.

Surtout ce qui frappe c’est que cette mention du Jour de la Terre par les bibliothèques semble loin d’être constante à travers les années. On peut peut-être les comprendre, il y a eu un peu de flottement dans l'organisation de cette journée :

  • En 2015, 20 ans après le premier « Jour de la terre » au Québec, les équipes organisatrices françaises et québécoises s’associent pour « insuffler une nouvelle dynamique au mouvement » et en 2019, l’organisme Tous les jours basé à Paris et dans le Vieux-Montréal s’allie avec Earthday Canada . La mission annoncée sur le site (jourdelaterre.org) est d’accompagner les personnes et les organisations à diminuer leur impact sur l’environnement. Il s’agit surtout d’éco-gestes : ramassage de déchets, plantation d’arbres, recyclage de piles et de matériel informatique, « programme à vos frigos » depuis 2015 pour lutter contre le gaspillage alimentaire... On multiplie depuis plusieurs années à cet effet des programmes clés en main mis en place avec le soutien financier de plusieurs entreprises dont la Banque TD et IGA. Sur leurs rapports annuels figure l’énigmatique message suivant : « De nos jours, le Jour de la Terre est de plus en plus perçu par les entreprises comme une opportunité d’accroître leurs profits en vantant leurs produits comme étant écologiques. Afin de contrer des utilisations mercantiles du Jour de la Terre, la propriété de la marque de commerce du Jour de la Terre a été transférée, en 1993, de Earth Day International à Earth Day Canada, afin que celui-ci puisse s’assurer que le Jour de la Terre garde l’essence même de sa mission d’origine en sol canadien. Ainsi, le Jour de la Terre est une marque de commerce au Canada et Earth Day Canada possède les expressions « Earth Day » et « Jour de la Terre ».
  • Les statistiques des actions notées scrupuleusement de 2013 à 2015 se raréfient mais la liste des logos s’allonge… et certains en viennent même à douter de la pertinence de cette célébration qui, de fait, n'a eu que bien peu d'impact après ses 50 ans d'existence.

Pour ce qui est de la Journée mondiale de l’eau, et si on se fie à leurs pages Facebook, les bibliothèques ne seraient aussi que deux à la célébrer. Cette célébration a pourtant lieu le 22 mars depuis 1994...

Par contre, et de façon très intéressante, les bibliothèques sont très nombreuses à souligner d’une façon ou d’une autre les saisons et d’autres évènements naturels comme l’éclipse de cette année.

Il serait donc peut-être grand temps de repenser au pourquoi et au comment de toutes ces célébrations dans une perspective réellement éducative et si on veut qu'elles aient un plus grand impact dans la décennie cruciale à venir.

Sur la page Facebook de l’UdeM une personne faisait remarquer « bienvenue à l'UdeM où on fait la promotion de certains événements importants (la cause autochtone) et qu'on en oublie d'autres (marche pour l'environnement)! C'est fou ce que ça fait d'avoir de l'argent de placé dans des compagnies pétrolières multinationales !!! ». Et oui, il faut aussi se poser plus que jamais la question de la cohérence de nos actions. Célébrer moins peut-être mais célébrer pour de bon, avec humilité et transparence, avec constance et pertinence pour ne pas entretenir davantage le cynisme et le découragement…

Et comme, oui, ça demande du temps et un peu de moyens si on veut s’y engager pour de bon, il faudrait aussi se demander pourquoi on ne collabore pas davantage entre bibliothèques pour y arriver. C'est évident : Il y a du transfert de connaissances à faire entre bibliothèques des universités et bibliothèques publiques et des écoles.

C’est à notre portée !

Notes

Note 1 : Le chandail orange sensibilise la population à l’histoire des pensionnats autochtones et rend hommage aux enfants qu’on y a envoyés. Cette journée s’inspire de l’histoire de Phyllis Webstad, une survivante des pensionnats autochtones qui, lors de son arrivée au pensionnat, à l’âge de six ans, s’est vu confisquer le nouveau chandail orange que lui avait acheté sa grand-mère. Le chandail est devenu couleur sur les bâtiments des 4 universités et, dans le cas de l’UdeM distribution de ruban orange.

Note 2 : Pour Concordia, on propose d’assister à un panel virtuel qui discute des répercussions des pensionnats et donne la parole aux personnel autochtone ainsi qu’aux enseignants et étudiants. Pour l’UdeM, on propose plutôt d’assister à une conférence sur le thème de l’éducation à la réconciliation (précédée d’un témoignage personnel de Joséphine Bacon) mais aussi d’échanger autour de la projection du Film Beans choisi par le Centre étudiants des Premiers Peuples.

Note 3 : Sur la page Facebook de Concordia, on propose d’en apprendre plus grâce à la Bibliothèque Concordia et aux ateliers offerts tout au long de l’année dans le cadre de Pîkiskwêtân (« parlons-nous ») en se rendant sur https://bit.ly/3utdyI3 .

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Observations bibliothèques en transition 2020-2023
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Tiers-lieux - Outils pratiques pour davantage d'impact transformateur
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13 octobre 2021

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12 septembre 2023 14:11

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