Transition en commun (TeC) a entamé un processus pour décoloniser ses réflexions et ses démarches vers une transition socioécologique. Cette note présente les principaux apprentissages issus de l'exercice pratique réalisé lors du deuxième atelier d'accompagnement de TeC par Mikana. 

Animateur de l'exercice

Samuel Rainville, issu de la communauté Innu de Pessamit, est activement impliqué dans un processus de décolonisation au sein de l'Université de Montréal. Il a choisi une méthode d'engagement qui, bien que plus longue à mettre en œuvre, permet une transformation plus substantielle des processus, structures organisationnelles et paradigmes culturels. Formé en sciences de l'environnement, Samuel Rainville est personnellement investi dans des initiatives de justice environnementale. Professionnellement, il se consacre à la décolonisation du milieu de l'éducation.

Discussions préparatoires

Dans le contexte de cette session de formation, Samuel a été sollicité pour initier un sous-groupe de TeC à un exercice conçu pour renforcer notre aptitude à collaborer adéquatement avec des organisations autochtones. Cet exercice avait également pour but de nuancer et d'élever notre langage lorsqu'il s'agit de discuter des enjeux et luttes autochtones.

L'atelier a été structuré en deux phases distinctes. La première, une étape préliminaire, avait pour objectif de nous fournir les outils nécessaires pour identifier certains de nos angles morts en tant qu'allocthone. La seconde phase était l'exercice pratique proprement dit.

Cette note vise à présenter une synthèse des thématiques traitées, ainsi qu'un résumé des résultats et des apprentissages tirés de cette session de travail.

Comment définir l'environnement?

" Tu me parles d'environnement, je te parle de territoire "

Lorsque la question de l'environnement est abordée, la perspective autochtone préfère en général se concentrer sur la protection "nos" territoires. Le terme "nos" dans ce contexte ne suggère pas une notion de propriété, mais plutôt un sens d'appartenance et de responsabilité. Il est similaire à la manière dont on parlerait de "nos" parents ou "nos" enfants. Les termes et le vocabulaire employés pour discuter de questions environnementales divergent substantiellement lorsqu'on les considère à travers le prisme autochtone.

Importance de consulter les Premiers Peuples

Dans le contexte de la collaboration entre TeC et Mikana, Samuel souligne l'importance cruciale de considérer les analyses et les points de vue des communautés autochtones en matière de protection territoriale et environnementale. D'une part, il est à noter que plusieurs précédents juridiques existent et que les Premiers Peuples jouissent de droits spécifiques, y compris le droit à la consultation. D'autre part, il est essentiel d'explorer diverses méthodes pour solliciter les perspectives autochtones, afin de prévenir une sursolliciation à leur égard.

Comment "travailler avec" sans sursolliciter ?

Alors que la sursollicitation des organismes autochtones paralyse énormément d'organisations, il importe d'avoir une réflexion critique. Bien qu'il n'y ait pas de remède universel, Samuel nous propose plusieurs voies de réflexion à considérer.

PISTE 1 - Privilégier une relation à long terme

• Développer des ententes à long terme
• S'assurer que le temps passé avec un partenaire sera de qualité

PISTE 2 - Bâtir une relation en 3 temps

1. Investissement de la relation: bâtir une relation de confiance
2. Établissement d'une réciprocité relationnelle: un échange où les deux parties reçoivent et contribuent
3. Pérennisation de la relation sur le long terme

PISTE 3 - Partager ses ressources

• Proposer  un budget substantiel
  • Par exemple, allouer 25 000 $ par an pour une durée de trois à cinq ans.
  • Une telle approche offre de l'agentivité à l'organisation
• Préparer la collaboration
  • Identifier les personnes à contacter au sein de l'organisation
  • Cartographier les parties prenantes concernées par l'enjeu à aborder
  • Réfléchir aux façons de préparer les partenaires de l'organisation contactée pour s'assurer qu'iels puissent contribuer aux discussions

PISTE 4 - Décoloniser nos collaborations

• Être prêt à ralentir le rythme
• Accepter que parfois on perdra le contact avec l'organisation
• Consulter les protocoles de collaboration pour mieux interagir avec l'organisation

Prendre conscience de ses privilèges

Par la suite, Samuel souligne l'importance de la prise de conscience de nos privilèges pour adopter une attitude empreinte de bienveillance et d'empathie dans nos interactions avec les organisations autochtones. À cet égard, la "Roue des Privilèges" s'avère être un instrument particulièrement efficace pour identifier et comprendre la multiplicité et la cumulativité des privilèges auxquels nous avons accès. Il convient de noter qu'il existe diverses adaptations de la Roue des Privilèges; la version présentée ci-après provient spécifiquement du contexte néo-brunswickois.

OUTIL - La roue des privilèges permet de prendre conscience de l'intersection de nos privilèges.

Comme l'indique Samuel, être en position de privilège n'est pas intrinsèquement problématique. Toutefois, une fois cette réalité reconnue, il devient impératif de s'interroger sur l'utilisation responsable de ce pouvoir conféré. En effet, avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. Il est donc essentiel de réfléchir aux moyens de valoriser les perspectives qui sont souvent marginalisées ou sous-représentées.

Prendre conscience des différents niveaux d'oppression

Par la suite, Samuel nous invitent à réfléchir aux différents niveaux d'oppression et aux façons dont ces niveaux s'articulent entre-eux: 

• Oppression Idéologique : Une conviction prédominante selon laquelle un groupe est supérieur à un autre, lui conférant le droit de le réguler ou de le contrôler.
• Oppression Institutionnelle : Des systèmes juridiques et politiques établis qui matérialisent et perpétuent cette idéologie dominante.
• Oppression Interpersonnelle : Les interactions au sein de la société sont influencées, de manière consciente ou inconsciente, par cette idéologie dominante.
• Oppression Internalisée : Les individus subissant l'oppression tendent à intérioriser les valeurs et les croyances de l'idéologie dominante, ce qui peut affecter leur propre estime de soi et leurs comportements.

Ces niveaux d'oppression sont souvent imbriqués et se renforcent mutuellement, créant un système complexe de domination et de subordination.

Prendre conscience des différents éléments de pouvoir

Il existe plusieurs dimensions du pouvoir, chacune ayant ses particularités :

• Pouvoir personnel : Il s'agit de la confiance en soi et du respect de soi-même, des qualités intrinsèques qui favorisent l'autonomie individuelle.
• Pouvoir institutionnel ou organisationnel : Ce pouvoir émane de la position, du mandat, des ressources et de l'ancienneté au sein d'une organisation ou d'une institution.
• Pouvoir collectif : Ce volet du pouvoir est caractérisé par la solidarité au sein d'une communauté, l'habilitation d'autrui et des actions créatives visant à contester ou à remodeler le pouvoir institutionnel.
• Pouvoir social : Ce type de pouvoir est intrinsèquement lié à notre identité sociale, comme le sexe, la race, la classe sociale et le genre.

Il est à noter que chacune de ces formes de pouvoir peut faire l'objet de décolonisation.

Différencier les intentions des résultats

Dans le cadre d'une collaboration avec des communautés autochtones, il est essentiel de ne pas se reposer uniquement sur ses bonnes intentions. L'erreur est humaine et inévitable dans tout processus de collaboration. Lorsque des erreurs surviennent, il est crucial de les reconnaître, d'en assumer les répercussions et de collaborer activement à l'élaboration de solutions mutuellement bénéfiques.

Respecter la souveraineté narrative des luttes autochtones

 “Quand je parle de souveraineté narrative, ce dont je parle c’est la capacité des nations de posséder un contrôle sur les histoires qui les décrivent.” - Jesse Wente, Indigenous screen office

Conjuguer autonomie et récits autochtones

Samuel nous encourage ensuite à nous familiariser avec la notion de souveraineté narrative. Cette démarche vise à sensibiliser au fait que la narration de l'histoire des populations autochtones, telle qu'elle a été présentée dans les institutions académiques, les médias dominants, ainsi que dans les arts et la culture populaires, a souvent été réalisée par des individus non-autochtones. Ce phénomène a contribué à la perpétuation de stéréotypes et à la création de divers préjugés.

ACTIVITÉ - Amplifier le pouvoir d'agir des Premiers Peuples

2 grandes priorités autochtones pour la justice environnementale

Étant donné que l'alliance TeC concerne la transition sociale et écologique, Samuel a réfléchi à deux priorités autochtones en lien avec la justice environnementale et la transition socioécologique.

PRIORITÉ 1 - La gouvernance territoriale

• Nous avons besoin de mettre le leadership autochtone au coeur des processus décisionnels
• Nous avons besoin d'amplifier le pouvoir d'agir des Nations autochtones et de leurs organisations

PRIORITÉ 2 - La valorisation des savoirs autochtones

• Il faut nous rappeler que les Premiers Peuples sont les expert·es de l'adaptabilité
• Qu'ils possèdent des savoirs axés sur l'urgence d'agir
• Qu'ils considèrent essentiel de prendre soin du territoire pour les 7 prochaines générations

À partir de ces priorités, Samuel nous invite à réaliser un exercice pour mettre en pratique les différentes notions présentées et développer notre capacité à bien préparer une future collaboration avec des organismes autochtones.

Déroulement de l'activité

Cette activité a pour but d'identifier une problématique prioritaire en matière de protection territoriale pour les communautés autochtones. Elle implique de réaliser une cartographie des parties prenantes autochtones concernées par cette thématique. L'objectif étant de "mettre sa lentille d'allié·e pour la lutte à la protection du territoire".

Identifier une priorité autochtone

Il importe de se poser des questions pour déterminer quelles sont les priorités des Premiers Peuples. Pour ce faire, on peut effectuer des recherches sur internets et des sources qui portent les voix autochtones. Il est nécessaire de vérifier qui parle, au nom de qui et d'expliquer en quoi un enjeux est prioritaire pour une communauté autochtone.

Cartographier les acteur·rices autochtones 

Ce faisant, on est invité à cartographier les différents organismes et groupes impliqués dans la priorité: identifier le nom du groupe, son territoire et sa communauté d'appartenance, ses relations avec les autres acteur·trices.

D'une part l'exercice nous permettra d'élever notre niveau de language pour parler de manière adéquate des luttes et priorités autochtones. Par exemple, plutôt que de parler en généralité "Je travaille avec la communauté autochtone", on sera en mesure d'être précis dans notre parole: " Je travaille avec le mouvement 60 qui est appuyé par le conseil de la communauté Atikamekw".

D'autre part, l'exercice contribuera à montrer notre sérieux et à construire une relation de confiance à l'égard des partenaires autochtones avec qui ont désire collaborer à résoudre cet enjeux.

Réfléchir aux termes de la collaboration

Une fois l'enjeu déterminé et la cartographie complétée, il faut réfléchir à la mission de notre organisation (dans ce cas-ci TeC) ainsi qu'aux façons dont nos activités peuvent contribuer à amplifier les voix et la capacité d'agir des communautés autochtones.

L'objectif étant d'éviter de tokeniser la collaboration et de s'assurer que la relation que nous désirons construire permettra d'établire une réciprocité relationnelle.