Conférence présentée dans le cadre de École d'été sur les communs - juin 2023.

Conférencier

Dan Furukawa Marques est professeur agrégé au Département de sociologie de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de leadership en enseignement Alban D’Amours en sociologie de la coopération. Il est également chercheur associé au Centre d’études des mouvements sociaux (CEMS) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris et directeur de l’axe de recherche Territoire et milieux de vie du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES). Ses recherches portent sur les communs et la construction de communautés coopératives, ancrées sur le travail collectif, la démocratie participative et l’économie solidaire.

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Synthèse

"La tragédie des communs" et la critique ostromienne

Hardin (1968) avance que les communs sont gérés de manière inefficace en comparaison avec la gestion privée ou étatique. Cependant, il commet l'erreur de confondre "libre accès" et "communs". De nos jours, cet article fait l'objet de vives critiques.

Ostrom (1990) part du travail de Hardin en utilisant les mêmes postulats et méthodes économiques, puis elle mène une étude de cas pour vérifier si, concrètement, l'hypothèse de Hardin est avérée. Ses résultats démontrent que la gestion des communs s'avère plus efficace que celle de l'État ou du secteur privé.

Ostrom observe que les commoners établissent leurs propres règles et se jugent entre eux en fonction de leur réputation. Malgré une approche individualiste, les commoners ont intérêt à collaborer, car cela s'avère positif pour leurs intérêts personnels.

Les communs sont accompagnés de faisceaux de droits qui institutionnalisent des obligations et des règles à respecter pour garantir une gestion efficace de la ressource.

L'objectif de cette approche est de proposer une troisième voie entre la propriété publique et privée, à savoir la propriété commune, une alternative à la dichotomie État-privé.

Autre courant de pensée sur les communs : critique de l'École de Bloomington.

Un aspect critiqué dans l'École de Bloomington est l'absence de problématisation des communs par rapport au capitalisme, ce qui maintient une définition compatible avec la pensée dominante du capitalisme. Il est essentiel de considérer que parler des communs implique également de considérer leur relation avec le capitalisme.

Historiquement, les communs sont nés de luttes opposées à l'appropriation et à la privatisation de ressources communes, comme en témoigne l'exemple de la Magna Carta. Cette "autre histoire" des communs commence avec les nouvelles enclosures qui ont eu lieu depuis la fin du XXe siècle. La première enclosure s'est produite en Angleterre avec l'expulsion des paysans, une forme d'accumulation primitive du capital décrite par Marx, qui a permis aux capitalistes de créer des usines.

David Harvey met en lumière le concept d'"accumulation par dépossession" comme un élément nécessaire au capitalisme pour sortir de ses états de crises. Cette accumulation initiale s'est manifestée par la privatisation des montagnes, forêts, rivières, eaux, etc. Par la suite, de nouvelles formes de privatisations sont apparues, telles que la privatisation des connaissances (comme les semences privatisées), des gènes, des données et de l'information, ainsi que de l'espace urbain.

Il est important de souligner que lors de chaque crise, de nouvelles sources de profit sont recherchées, entraînant ainsi la privatisation de nouvelles sphères de la vie. Cela s'est illustré dans le capitalisme financier avec la financiarisation de la vie, ainsi que dans le capitalisme algorithmique avec les géants de la technologie (GAFAM).

Cette critique de l'École de Bloomington nous rappelle l'importance de relier la notion de communs à la dynamique du capitalisme et aux différentes formes de privatisation qui en découlent. En examinant ces interactions, nous pouvons mieux comprendre les enjeux complexes qui entourent la préservation et le développement des communs dans un contexte économique et social en constante évolution.

Enclosure et communs

En réaction aux enclosures, les communs émergent comme une prise de conscience face à la privatisation. Ce qui a été dépossédé était en réalité un commun : une gestion collective d'une ressource essentielle pour notre reproduction. Dardot et Laval font cette observation initiale.

L'observation des mouvements sociaux à travers le monde révèle une revendication croissante du terme "commun" dans divers contextes tels que l'altermondialisme, les mouvements écologistes, féministes, paysans de Via Campesina, les occupations de places (comme Occupy Wall Street et Nuit Debout), où de nouvelles formes d'organisation sont préfigurées, ainsi que dans les revendications des droits des peuples autochtones (concept de "buen vivir") et les mouvements municipalistes. Le terme "commun" est employé dans des contextes très variés, ce qui témoigne d'un changement significatif.

En somme, il est indéniable qu'il se passe quelque chose autour du concept de "commun". C'est une réaction face aux enclosures qui suscite une prise de conscience sur la valeur et l'importance des ressources gérées collectivement pour le bien-être et la reproduction de la société.

Définition des communs (Federici, 2019)

Les communs incarnent de nouveaux modes de production et d’institutions centrés sur unepropriété partagée ou commune. Les communs ne sont pas des choses, mais des relations sociales: un bien commun n’est pas un commun. Pour dépasser cette conception du “bien commun” il faut cesser d’y réfléchir en termes de simples ressource et pratiques. Les communs implique du temps d'y consacrer du temps. Le temps constitue souvent le nerd de la guerre. De plus, les communs impliquent de prendre conscience de notre interdépendance ainsi que de notre vulnérabilité.

Les communs exigent la mise en place collective de règles de gestion. Ils reposent sur des droits et des devoirs envers la communauté, comme l'exprimait Simone Veil. Les communs émergent du besoin de créer un imaginaire social partagé, une culture commune en réponse à des affinités et des traditions communes, enracinées dans les cultures locales et les habitudes régionales.

La coopération sociale et les relations de réciprocité, plutôt que la compétition, sont au cœur des communs. Ils reposent sur des décisions collectives et visent à rechercher le bien-être collectif dans tous les aspects de la vie et du travail.

Le commun est un principe politique, constitué de pratiques sociales. Dans un commun, les actions ne sont pas menées de manière isolée, mais inscrites dans un contexte global. Ils sont interdépendants, et en favorisant l'inter-coopération, on peut construire une fédération des communs.

Il est primordial de dépasser les communs individuels et de créer un écosystème où ils communiquent entre eux pour une meilleure cohésion et un impact plus significatif. En tant que principe politique, les communs permettent d'imaginer plus largement un projet coopératif, démocratique et commun. Cependant pour cela, il est nécessaire de fédérer les communs. Pour se faire, il est possible de s'inspirer des partenariats public-commun de Barcelone ou des pactes de collaboration de l'Italie.

Période de questions

Pourquoi utiliser le terme “structure de gouvernance” plutôt que “démocratie interne” ?

On est hésitant à réutiliser le vocabulaire associé à l’école ostromienne des communs.
On préfère utiliser des concepts comme “institution”, “démocratie participative”, “démocratie directe”, “commoning", "mise en commun”.

Quel est l’espace de la nature dans les communs?

Quelle est la relation entre les communs et le territoire sur lequel ils se développent?Lorsqu’on parle de commun on se trouve dans le paradigme de la préservation du territoire sur lequel on crée le commun

Quelle est la différence entre les communs urbains et ruraux ? Quels impacts sur les pratiques sociales?

Chaque commun a des pratiques sociale qui lui sont propres et qui sont adaptées à son contexte. Néanmoins, on retrouve de grandes dimensions, de grandes tendances qui se retouve dans plusieurs communs. Cette question est davantage abordée dans la conférence Des pratiques de commoning au Québec.

Quelles sont les conséquences, les défis associés à la dématérialisation de l’économie sur l’émergence des communs?

Ce n’est pas tant la dématérialisation de l’économie, mais les crises économiques qui en découlent qui contribuent à faire émerger des communs. 

Comment peut-on de relier les communs?

les communs peuvent être reliés à travers divers patenariats, par exemple: les partenariats publics-communs)

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Intégré par Camille Sanschagrin, le 11 avril 2024 09:45
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Note, Introduction, Fonctionnement, Définition, Avancé·e
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École d'été sur les communs
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Intégré par Marie-Soleil L'Allier, le 21 juin 2023 18:03

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Publication

21 juin 2023

Modification

16 novembre 2023 08:37

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