Analyse de la définition de la culture numérique dans Wikipédia

En commençant ce carnet («Se doter d'une stratégie numérique: une entreprise paradoxale ?» - en cours), je me demandais si je pourrais vraiment aller au fond des choses et soulever la question de ce qu'est le numérique. Car, selon ce que j'ai été formé à analyser derrière ce terme, il y a une grande méprise qui s'est installée et qui nous fait perdre de vue l'essentiel lorsqu'on examine des défis que nous pose le numérique ou des manières de l'intégrer à nos vies sans exacerber les impacts qu'il peut avoir, c'est que nous le regardons comme une sorte de bête étrange qui serait devant nous et qu'on ne saurait comment domestiquer, dompter ou apprivoiser.

Mon malaise provenait en partie du fait que je ne savais pas si ce serait mal venu, dans le contexte de Praxis, de faire un pas de côté y compris par rapport aux efforts que j'avais pu faire pour définir le numérique en tant que culture, dans mon ancien rôle d'ADN afin de présenter des hypothèses de mon directeur de recherche à l'époque où j'étais à la maîtrise et qui concernent la portée ontologique de la révolution en cours (qui se cache et qui court) sous ce qu'on identifie comme «le numérique».

Mon directeur de recherche, Marcello Vitali-Rosati, a fondé la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques. Il a fait des recherche en philosophie sur les liens entre la pensée de Merleau-Ponty et le sens véritable de virtuel, qui - là encore - n'est pas ce à quoi on pense lorsqu'on en parle généralement. Je vous invite à lire son essai S'orienter dans le virtuel, pour bien comprendre ce malentendu. Il est aussi éditeur et a développé un outil d'édition ouverte qui s'appelle Stylo, et qui encourage les chercheurs à partager leur savoir de manière à pouvoir le republier sous plusieurs formats et en respectant différentes normes éditoriales pour les différentes revues où ils pourraient être republiés, mais surtout en y intégrant au fur et à mesure les métadonnées pertinentes pour assurer que les robots indexeurs des moteurs de recherche, et en particulier les moteurs de recherche sémantiques, puisse effectuer des interprétations adéquates de leur contenu et bien proposer ces articles et livres aux lecteurs potentiellement intéressés en fonction des requêtes qu'ils auront effectuées dans ces engins de recherche sur le web.

Or, comme j'ai redéfini le plan du carnet après une rencontre avec l'animatrice de la première cohorte en édition de savoirs ouverts, Véronique Larose, en cette année de naissance de Praxis, j'ai bien identifié la question de savoir ce qu'est la culture numérique comme étant au cœur de ce que je devrais élaborer comme contenu pour que ma réflexion sur l'application d'une stratégie numérique en tant qu'entreprise paradoxale fasse sens. Ce qui m'a amené à commencer par vérifier s'il existait des définitions de la culture numérique qui existent déjà. Eh bien, devinez quoi, il y en a une sur Wikipédia. Et à qui pensez-vous que cette définition renvoie ? Aux travaux de mon directeur de recherche, Marcello Vitali-Rosati...

Définition de Culture numérique sur Wikipédia

La première chose à noter est la suivante :

l'expression « culture numérique » vise à donner une définition du numérique qui ne se réduit pas seulement à un ensemble d'outils et de dispositifs techniques. 

La citation qui suit cette observation, tirée de Pratiques de l'édition numérique, un ouvrage collectif auquel j'ai contribué pour le chapitre sur le livre numérique, et qui est paru aux PUM en 2014, dans la collection Parcours numérique, en accès libre, exprime bien l'idée principale que j'aimerais que les lecteurs de ce carnet retiennent et conservent en tête en lisant les notes qu'il contient, bien que je ne me gênerai pas pour y revenir et la reformuler de différentes façons lorsque cela sera pertinent (puisque chaque note doit en principe pouvoir se tenir de manière autonome) : 

« L’outil produit les pratiques et produit aussi le sens de ces pratiques, il modifie notre façon d’être au monde mais aussi notre « nature », car il change notre façon de comprendre, notre façon de gérer l’attention, notre façon de penser, notre perception du temps... »5

Je laisse la référence puisqu'elle va vous conduire sur l'article de Wikipédia. Mais voici le titre du chapitre : « Pour une définition du "numérique" », Pratiques de l'édition numérique, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 2014, p. 71.

Pour lire l'ouvrage au complet : Pratiques de l'édition numérique.

Un des enjeux qui va devoir être souligné est le fait qu'on répète souvent dans différents contextes, comme lorsqu'on a débattu sur l'impact de ChatGPT récemment, que le numérique ne doit être envisagé que comme des outils qui sont neutres. Leurs conséquences dépendrait uniquement de l'usage que nous en ferons.

Or, comme l'exprime bien la proposition initiale de la définition dans Wikipédia, ce ne sont pas que des outils techniques.

La thèse de Marcello Vitali-Rosati, et de tout un réseaux de chercheurs qui ont collaboré notamment de 2013 à 2017 pour les séminaires Sens public sur le thème «Écritures numériques et éditorialisation», est que le numérique est difficile à définir, car il s'agit de plus qu'un dispositif technique et qu'il faut l'envisager du point de vue de l'espace un peu comme lorsqu'on réfléchit aux liens entre architecture et environnement.

En réalité, le numérique serait à la fois un synonyme de «notre monde commun» (car un monde est toujours un milieu de vie pour des personnes qui entrent en relation avec celui-ci d'une certaine façon) et de «la culture façonnée par les actions» - humaines et techniques - qui structurent cet espace.

Par conséquent il y a toujours une médiation qui permet les échanges quels qu'ils soient et quel que soit son degré d'opacité et de transparence.

On n'a pas eu besoin d'attendre l'avènement de l'informatique pour que des penseurs s'inquiètent des impacts que pourraient avoir les «nouvelles technologies» sur les relations entre les êtres humains et par conséquent sur ce qu'on appelle le «tissu social» et les valeurs morales, spirituelles et les principes éthiques en général qui servent de repères dans  nos vies. On se rappellera les travaux de Marshall McLuhan sur les «nouveau médias de première génération» comme je les appelle dans mon mémoire, et qui nous prédisait que les médias électroniques auraient pour effet de contracter l'espace en accélérant la vitesse des communications de sorte que nous nous retrouverions à être les voisins des personnes vivant à l'autre bout de la planète, cohabitant dans un village global.

Retenons donc déjà une chose : nos pratiques de communications au moyen des différents outils que nous mobilisons afin d'avoir des échanges de différentes natures façonnent l'espace et modifient le sens de ce que nous appelons «le monde».

Rappel : Ce n'est pas la première fois que des techniques sont considérées comme source de perturbation pour la culture. Déjà, Platon avait souligné, dans le Phèdre, les inquiétudes que l'écriture pouvait susciter en tant que moyen de conserver les discours. La préoccupation exprimée - à travers la voix d'un souverain, le roi égyptien Thammous, auquel l'invention de l'écriture est présentée (par Theuth, un autre personnage légendaire de l'Égypte) - est que la préservation du sens dans le texte écrit entraîne une atrophie de la mémoire.

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Des paradoxes d’une stratégie numérique aux propriétés du numérique (en tant...
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Intégré par Fabrice Marcoux, le 24 mai 2023 06:02
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enjeux philosophiques, culturelle, théorique, valeurs, fondements, liens entre différents sujets, environnement, numérique

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Publication

20 avril 2023

Modification

3 juillet 2023 11:33

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