Numérique (adj. et nom)

[English] Digital

The representation of physical items or activities through binary code.

Au sens de la période historique

«Numérique» est un terme (adjectif) employé (souvent comme nom) pour désigner une époque («le numérique») qui est marquée par la convergence de plusieurs forces de différentes natures qui contribuent à générer un chamboulement social et politique suffisant pour que de nombreux défis occasionnés par un mélange de facteurs - dont certains sont fortuits ou conjoncturels alors que d'autres semblent structurels semblent répondre à une certaine logique (qui demeure à élucider et dont l'orientation générale elle-même doit pouvoir faire débat encore longtemps) - au nombre desquels (défis) on compte :
- la lutte contre la désinformation et la mésinformation ;
- l'utilisation à bon escient de la capacité computationnelle (notamment afin de lutter contre les changements climatiques) ;
- la préservation de la «neutralité du net» (Internet) pour maintenir le web en tant que milieu susceptible de favoriser l'essort de la démocratie plutôt que sa contraction.
Ces défis sont associés à des asepcts technologiques et logistiques reliés au fonctionnement des NTIC, notamment le Web et Internet, et nous amènent à focaliser notre attention sur les aspects techniques du contexte. 
Or s'il y a une transformation de la civilisation qui s'appuie sur une évolution rapide des technologies de communication, elle est aussi culturelle. Et elle pourrait même être principalement culturelle, d'autant plus que les techniques aussi sont constituées par des pratiques culturelles (le code numérique est d'ailleurs de l'écriture). Mais une chose est sûre : si ce n'est pas une révolution ou un changement de paradigme complet (après tout, l'écologie des médias de Marshall McLuhan expliquait déjà dans les années 1960 comment l'interconnexion électrique avait des répercussion profonde sur la sensibilité, voire même sur la nature humaine) a des implications qui dépassent le registre de la gestion du capital symbolique.
« À la suite de l’omniprésence du web dans nos vies, le numérique est partout. Il y a encore quelques décennies, on pouvait considérer les technologies informatiques comme des outils puissants et aux fonctions multiples capables d’aider les hommes dans plusieurs champs de la production industrielle et culturelle. Aujourd’hui, cette définition serait du moins réductrice, sinon complètement fausse : le numérique est l’espace dans lequel nous vivons. Il ne s’agit plus d’outils au service des pratiques anciennes, mais d’un environnement dans lequel nous sommes plongés, qui détermine et façonne notre monde et notre culture. » (Vitali-Rosati, 2014)

C'est pourtant un fait frappant qu'une bonne part des préoccupations concernant la stratégie à adopter pour s'adapter à cette évolution accélérée du contexte mondial (et informationnel : l'autoroute de l'information est devenue l'«infosphère» ou la «sphère sémantique» pour citer Pierre Lévy, inventeur de l'IEML) tournent autour d'enjeux comme l'«image de marque», la «réputation» et la «notoriété».
Le fait que des questions techniques jouent un rôle et que les opérations des algorithmes soient en partie invisibles fait apparaître le concept de «découvrabilité» qui dépend entre autres d'une utilisation judicieuse des métadonnées.
C'est ainsi au nom de l'amélioration de la visibilité par l'accroissement de la découvrabilité que de nombreux efforts sont déployés afin d'outiller les acteurs de différents secteurs et régions au Québec avec le RADN et partout dans le monde. Des aspects du marketing traditionnel comme la «recommandation» revêtent une importance très grande alors qu'ils deviennent hybride mêlant art du discours et savoir-faire technique.
Parmi les enjeux majeurs de cette période de chambardements, soulignons :
- la remise en question du statut privilégié de la fonction auteur ;
- les assauts contre la vérité ;
- la crise de l'autorité.
Il est à noter que ces trois enjeux sont liés : auctorialité et autorité ayant une racine commune : «auctoritas» ; et le contrôle ou la libération de discours vrais soulève la question de l'origine de «la vérité» (cette source de légitimité), qui suscite la confiance et qui est proche parente de l'autorité bien comprise.

En réalité, l'auteur au sens moderne (qui suppose un sujet personnel) est une «fonction» qui coïncide avec la naissance de l'humanisme.
 « La tradition issue de l’humanisme permet donc l’émergence d’un concept renouvelé d’auteur : l’auteur n’est plus une fonction abstraite, mais l’expression de la spécificité d’une personne particulière qui inscrit sa voix originale dans un document. » (Vitali-Rosati, 2023)
Et sa remise en question, avec le structuralisme déjà, mais qui devient une crise du sujet qui s'intensifie avec ce nexus ou cette conjoncture improbable et pourtant indéniable (et solide comme une structure malgré son caractère décentralisé), explique à un niveau plus fondamental que toute autre chose (parce que c'est une matrice sur laquelle notre monde se tisse) que certains auteurs parlent de l'entrée dans une ère post-humaniste. C'est le cas de Marcello Vitali-Rosati dans cette conférence : «Pour une pensée pré-humaine» (Conférence d'ouverture du colloque «Repenser les humanités numériques / Thinking the Digital Humanities Anew », CRIHN, 2018).

Tout se passe comme si l'intensification de l'usage des technologies pour communiquer avait démasqué le caractère artificiel de l'autorité de l'auteur.

L'autorité risque alors d'être détournée au profit des charlatans les plus manipulateurs.
Mais la véritable autorité ne devrait pas reposer sur la contrainte que ce soit par la force physique ou la puissance des arguments rationnels (elle se dégrade alors en pouvoir politique ou de persuasion). Son fondement légitime est la confiance que la capacité qu'une personne ou plus vraisemblablement un groupe, voire un contexte en partie impersonnel (comme une plateforme de médias sociaux ou un forum ou une encyclopédie en ligne, comme Wikipédia) a de générer l'assentiment ou l'approbation et de susciter des appuis par rapport à ce qu'il/elle(s) dit, fait (ou contribue à favoriser : comme la circulation de tel ou tel type d'informations) de la part des autres personnnes, organisations ou agents pouvant être considérés comme des «parties prenantes».
Il devient alors intéressant de se demander si, dans le contexte des transformations que l'évolution des modes de communication entraînent ou accélèrent, il devient possible qu'un niveau de confiance élevé (réservoir d'autorité, rappelons-le) soit engendré à l'endroit de dispositifs automatisés pour leur capacité à recombiner différents discours et actes - dont certains peuvent ne pas être attribuables à des acteurs humains (on pense notamment à la fascination provoquée par les services de conversation alimentés par de l'IA mis en place par Microsoft avec ChatGPT et GPT4 en 2023) ? Et si oui, est-il possible que le niveau de cette confiance dépasse celui que des experts, un réseau de chercheurs ou des institutions d'enseignement pourraient produire chez le même public ?
Si tel était le cas (mais il faudrait savoir comment mesurer cette confiance), cela poserait d'importantes questions éthiques, politiques et philosophiques. Entre, autres, cela requiert qu'on examine la bonne perspective à partir de laquelle examiner ce que Marcello Vitali-Rosati appelle «l'ambiguïté politique d'Internet» (Vitali-Rosati, 2011), en s'appuyant sur la lecture de La Démocratie Internet : promesses et limites, de Dominic Cardon (Seuil, 2010):

«Au terme de ce parcours, qui clarifie plusieurs aspects de l’Internet et articule une série complexe et hétérogène de pratiques nouvelles, je reviendrai sur ma question initiale : y a-t-il, dans l’évolution des formes politiques, une tendance à l’élargissement de l’espace public qui pousse à la création d’Internet, ou bien est-ce Internet qui détermine cette tendance [à l'élargissement de l'espace public] ?»

«Je crois que l’ambiguïté constitutive du réseau dont parle Dominique Cardon peut avoir deux causes opposées, que je présenterai ici comme des hypothèses. Première hypothèse : Internet est une rupture, il change le cours de l’histoire humaine ; il crée la possibilité d’un espace public élargi où le plus grand nombre de personnes peut s’exprimer. Mais on constatera une résistance à cette ouverture, du fait que la société est réglée par des formes politiques plus centralisées. Seconde hypothèse : une tendance à l’élargissement de l’espace public se développe depuis des siècles dans la société ; elle tente de s’exprimer au moyen des outils dont elle dispose, elle a notamment exploité la naissance du réseau [Internet et le Web] ; mais l’outil Internet [malgré le déploiement du Web sur cette infrastructure] ne répond pas complètement à ce besoin d’ouverture et de liberté.» (Vitali-Rosati, 2011; nous soulignons)

Cette définition se veut une base pour lancer la réflexion.
Autres définitions bienvenues, bien entendu.

Pour aller plus loin, voyez, entre autres, sur Praxis la note : «Numérique (explications)» : elle permet de poser notamment la question des «contours de cet espace» (y a-t-il un «dehors» du numérique ?).
Vous êtes invités à consulter l'ensemble du carnet : Des paradoxes d'une stratégie numérique aux propriétés du numérique.
Communauté pertinente pour échanger autour des enjeux soulevés par la définition du numérique : Culture numérique en questions