Les paradoxes laissent deviner des propriétés de la culture numérique

Ce parallélisme entre propriétés et paradoxes n'était pas prévu...

Selon l'idée initiale de ce carnet, les propriétés fondamentales du numérique étaient présentées indépendamment des paradoxes de se doter d'une stratégie numérique. Ceux-ci étaient présentés comme moyens de susciter une prise de conscience relativement à l'ignorance relative dans laquelle nous demeurons - malgré le fait que le web soit «parmi nous» depuis plus d'un quart de siècle - concernant ce que l'adoption généralisée de cet hypermédia [définition] peut avoir changé aux dynamique sociales, aux modes de construction des relations culturelles ainsi qu'aux manières d'envisager l'inscription de l'individu dans le monde que ce soit au plan psychologique, professionnel ou politique.

C'est en examinant le troisième paradoxe, soit la tendance à négliger l'opportunité que représenterait le fait de miser sur la dimension collective de la stratégie pour en décupler les effets, qu'est apparue évidente la relation avec la propriété la mieux à même de décrire globalement le contexte : la complexité. C'est rétroactivement que les autres propriétés ont été associées aux autres paradoxes. 

Le choix d'associer tel paradoxe à telle propriété tient à une affinité qui apparaît entre eux plus qu'à une relation privilégiée qui serait exclusive. Chaque propriété est annoncée d'une certaine façon par les trois paradoxes. Le lien entre les paradoxes et les propriétés ne doit donc pas être considéré comme univoque. Nous avons simplement souhaité illustrer, pour chaque propriété, une manière différente dont un des paradoxe (jamais le même) pouvait jouer un rôle de signe à l'égard cette propriété.

Il peut aussi être utile de noter que si les paradoxes «révèlent» en quelque sorte les propriétés en vertu de cette affinité qui les unit, ils ne sont pas des causes, mais plutôt des conséquences des propriétés. Mais ils n'en sont pas des conséquences directes. En réalité, ils ont plutôt comme point commun de faire écho à ce contexte qui est le nôtre et qui se caractérise par le fait que notre monde est transformé par la transformation numérique en cours. Celle-ci, que nous le voulions ou non, affecte nos mœurs, nos mentalités et la structure matérielle du monde également (d'où le lien avec l'environnement qui est aussi évoqué à la fin de cette note: «Le plan écologique traverse tous les modes d'inscription dans la numérique» sous Lien commun entre paradoxes et propriétés - en gras).

D'une certaine manière, chacun des paradoxe fait ainsi écho à chacune des propriété. Nous vous invitons en conclusion de cette note à contribuer au carnet en produisant de nouvelles notes indiquant comment tel paradoxe peut être considéré comme un indice de telle autre propriété (que celle à laquelle il a été associé ici).  

Remonter aux sources de la confusion (1er paradoxe) nous conduit au dynamisme (troisième propriété)

Pourquoi, en identifiant les deux sources de la confusion concernant le but (l'ignorance du vrai soi et la superposition des paradigmes historiques), on se trouve à obtenir un indice de l'existence d'un dynamisme inhérent au monde ?

Si on remonte au premier paradoxe soulevé, que nous apprenait-il ? Que l'on est incohérent en agissant comme s'il s'agissait de se démarquer avec une stratégie de marketing alors qu'il s'agit d'identifier la meilleure manière pour nous de nous inscrire dans ce contexte qui est le nôtre. Et on commence à le comprendre, «pour nous», cela veut véritablement dire pour une «communauté», et en même temps pour soi-même en tant qu'individu ou organisation qui fait partie de ce tout et qui doit se respecter pour y participer utilement. 

La confusion concernant le but (paradoxe 1) aurait-elle un lien avec le caractère dynamique du numérique ?

En voyant que ces premières contradictions viennent de ce qu'on croit bien faire en suivant le courant, alors qu'on est dans un contexte où les ruisseaux deviennent torrents, en raison des boucles de renforcement «positif» qui viennent de ce que, justement, le chemin qu'un premier emprunte... les autres suivent, on comprend qu'il faut éviter de suivre aveuglément les tendances du moment et garder toujours à l'esprit les changements profonds qui se dessinent et qui sont dans l'intérêt collectif, mais qui - si on n'arrime pas notre but à leur advenue - pourraient ne jamais arriver.

Lien possible avec le second paradoxe

Si on se méprend sur l'intention c'est peut-être parce qu'on ne comprend pas bien le contexte.

Si le but ou l'intention poursuivie n'est pas clairement explicitée, cela peut tenir au fait que le contexte est mal connu (ce qui conduisait au second paradoxe : celui concernant le fait que les règles du jeu semblaient mal connues, voire même le but du jeu, si ce n'est sa nature). 

Nécessité de  valider les informations

D'où l'importance de valider les informations et l'intention avant même de s'engager dans une démarche de stratégie numérique. Pour ce qui a trait aux informations, la première «donnée» requise, ce sont les définitions.

Qu'est-ce qu'une stratégie numérique ? 

Se référer à la définition de stratégie numérique (c'est une note d'explication); cela fait partie de s'informer.

Celle-ci nous renvoie à une illustration du processus. Et le cœur de la note est de tenter de  comprendre :  

« Comment  faire  en  sorte  que  la  stratégie  numérique puisse réellement évoluer et être en résonance avec les enjeux actuels »

Ceci est lié à une formation que j'ai reçue sur l'art de se doter d'une stratégie numérique : la stratégie numérique y était définie comme étant principalement «se préparer à tout», notamment en se formant à différentes «compétences numériques» pour faire face aux imprévus.

Cela allait dans le sens de ce que j'avais déduit de ce qu'on nous présente comme étant l'objectif d'une transformation numérique, au sein du RADN, à savoir acquérir un degré satisfaisant de maturité numérique. En effet, la maturité numérique devrait consister en une combinaison de compétences, d'expériences et de connaissances suffisantes pour être en mesure de trouver des solutions face à des problèmes qui peuvent surgir en contexte numérique, notamment en faisant appel à l'intelligence collective, à la force du réseau de partenaires qu'on a pu bâtir au fil du temps, et aux approches misant sur la collaboration et le partage de ressources. Or, comment appelle-t-on le fait d'avoir une maturité numérique suffisante ? On appelle cela «littératie numérique». Il est donc cohérent de dire que de s'organiser pour combler les lacunes en termes de littératie numérique au sein de l'équipe - en misant sur les forces et les intérêts de chacun.e (et sur la complémentarité) - fait partie des approches de base pour fonder une stratégie numérique cohérente (qui tient commpte du caractère dynamique de l'environnement numérique).

Ce qui est intéressant - et on revient ici au lien avec le deuxième paradoxe - est que cela nous indique une orientation de la stratégie qui va dans le sens de s'assurer qu'on arrive à s'adapter au contexte. Mais il s'ensuit aussi que l'on doit définir le but en tenant compte du fait que l'avenir est ouvert mais qu'en se donnant une orientation X, on vient influencer le cours des choses d'une manière qui aura des effets sur les autres et sur soi-même. Autrement dit, l'organisation fait partie du contexte tout comme les individus qui doivent cesser de penser qu'ils sont isolés.

Car ce qu'on comprend du numérique est qu'il est changeant à un degré d'intensité supérieur par rapport à ce qui pouvait être la cas pendant la modernité, alors que celle-ci a connu des bouleversements vraiment majeurs. Mais il est aussi un contexte où la part accrue de hasard est compensée par une caculabilité croissante et où ce pouvoir de calcul des données massivement collectées a de bonnes chances d'être utilisé à des fins de prédiction des comportements. 

C'est ce qui est présenté dans la note sur le dynamisme comme «l'ambiguïté politique d'internet» : d'un côté il nous permet de nous associer et de nous organiser pour être plus libres, mais de l'autre il permet à des compagnies privées ou à des états d'apprendre à prévoir nos comportements pour nous contrôler et/ou en tirer des profits.

Cf. Explications concernant la stratégie numérique qui renvoie à une illustration du cheminement d'être accompagné pour se doter une stratégie numérique.

Les intentions demeurent le principal élément à clarifier

Mais les intentions sont d'une importance au moins égale. Déjà une intention semble s'être clarifiée : plutôt que se démarquer, ce serait de s'intégrer aux dynamiques qui façonnent le numérique comme milieu (voir la propriété précédente : «systémique») et de voir comment on peut contribuer à faire du monde numérique - i.e. du monde tout court - un monde meilleur, en s'appropriant les codes de la culture numérique. Ce qui est sous-entendu est que nous avons compris que les pratiques qui définissent la culture numérique modifient le monde. Et notre postulat est que de savoir cela devrait changer complètement la perspective suivant laquelle on aborde la question de savoir : « Comment pourrais-je me doter d'une stratégie numérique apropriée pour mon contexte ? »Parce que «mon contexte», c'est mon intention et le monde tel qu'il est.

Ce qu'on retient de la première manière d'envisager la confusion concernant le but

De cette première manière dont le paradoxe lié à la confusion concernant le but pouvait s'expliquer - qui tient à ce qu'on se méprend sur le lieu où loge notre véritable intérêt (qui devrait avoir au moins une porte mitoyenne avec l'intérêt collectif) - par paresse encore une fois, parce que ça nous paraît plus simple de faire comme si on avait compris où s'en va le monde et quelles en sont les implications en marchant avec assurance dans une direction quelconque (qui a l'air d'être là où tout le monde va) - je retiens qu'il vaudrait mieux tenir compte du changement radical que le numérique introduit, à savoir que la multiplicité est sa force. C'est la force de l'être en vérité. Mais son mérite est de nous l'avoir révélé. Alors c'est notre responsabilité d'en faire bon usage... ce qui ne veut pas dire d'en abuser. L'idée de virtuel repose en grande partie sur cette puissance du réel d'exister selon plusieurs modalités, de dévoiler en leur temps ses diverses facettes. Une condition qui a paru un temps un handicap devient à la faveur d'une conjoncture favorable, une opportunité.

Que nous apprend la seconde façon de comprendre le paradoxe de la confusion sur les propriétés fondamentale du numérique ?

Rappel de la deuxième façon de comprendre la confusion concernant le but

Quant à la deuxième façon dont pouvait s'expliquer la confusion concernant le but, elle consistait à dire que nous pensons probablement les modalités d'actions dans le monde à l'ère numérique en superposant en partie les anciennes approches pour analyser les enjeux en lien avec une situation et les approches plus nouvelles qui sont tout de même inspirées d'une certaine perspicacité relativement aux avancées en termes de liberté d'action et d'ouverture à la différence que le numérique permet d'intégrer à nos schèmes de valeurs et à nos priorités d'un point de vue stratégique. [Trouver un exemple de situations où on risque de ne pas parvenir à vraiment avancer parce qu'on tient compte d'une nouvelle dynamique mais qu'on la bride au nom de principes du passé].

Côté positif de la confusion comme chevauchement des périodes historiques 

Par ailleurs cette hybridation des nouvelles formes d'expression et des anciennes formulations (ou le contraire) peut aussi être judicieuse et apporter une valeur ajoutée dans certaines circonstances. Et l'expérimentation est souhaitable dans un contexte où la multiplicité devrait être accueillie et même provoquée dans la mesure où il n'y a plus de raison de se restreindre à des styles ou à des formats toujours identiques. Mais il y a fort à parier qu'en étudiant la question de savoir quels assemblages de tons et d'intentions se marient le mieux pour tels publics, les impacts des campagnes de communication seront moins aléatoires. 

La question est de savoir si on veut rétablir une plus grande maîtrise rationnelle ou non...

Tout dépend cependant si on veut avoir des taux de succès élevés ou générer une part de perplexité en désarçonnant nos destinataires, qui peuvent bien en venir à apprécier cette inconstance. 
Jouer le jeu du numérique ou prendre acte de ce que nous connaissons maintenant les aspects du monde qui avaient été oblitérés par les limites de notre regard et de notre espoir (en la capacité du monde d'être autre et le même à la fois) c'est épouser les énergies émouvantes de la vie en déséquilibre, rappelons-le. Car les puissances inertielles de l'homéostasie réduiront toujours la portée de nos audaces, rappelons-le. Et entre les deux au pire, nous trouverons toujours un recoin d'équilibre instable à occuper de nos jeux inoffensifs.

Lien avec l'approche de Meriol Lehmann : la pensée numérique et les artistes

C'est pourquoi il est vrai que les artistes en particulier ont intérêt à s'alimenter à la réflexion sur les chamboulements dont le numérique est gros, autre façon de dire qu'ils et elles ont encore le droit de rêver devenir les avant-gardes. Mais attention, cela pourrait se retourner contre eux et elles s’ils récupèrent les bonnes idées d'hier surtout pour mieux appliquer les bonnes pratiques d'aujourd'hui. Ielles ont aussi l’option d’aller à fond dans la dynamique post-moderne, qui est toujours pertinente aujourd’hui (et difficile à démoder il faut le dire).

Dans les deux cas, ça serait une expérience instructive s’ils le font en connaissance de cause pour tenir compte de ce que notre époque permet la rencontre entre différents temps.

Question sur le caractère paradoxal de la rencontre entre époques, si on la comprend ?

Pourquoi cette espèce de rencontre entre deux époques qui semble fonctionner ou non, qui nous paraissait signifier une confusion, mais qui finalement se comprend par le fait que les dynamiques plus intenses dont le numérique peut être porteur sont aussi peut-être enrichies en étant confrontées ou mises en relation avec des dynamiques plus uniformes, apparaissait comme un paradoxe, si elle est finalement bien compréhensible ?

Parce qu'il se pouvait aussi que ce soit parce que l'individu n'avait pas compris ce qu'ils souhaitait accomplir, ou que l'organisation se méconnaissait elle-même, de sorte qu'elle prenait le parti de suivre la moyenne des personnes semblables à elle (ce que la pousse à faire la recommandation par les algorithmes d'ailleurs). Ainsi, la première source de la confusions s'expliquait également. Car la multiplicité n'efface pas l'unité. Elle la multiplie. Chacun peut être unique tout en ressemblant aux autres. Nous en avons glissé un mot ici. [Où ?... ] Et nous y reviendrons en lien avec le dynamisme..

De manière similaire, le fait que les plis pris dans les replis du monde présent et provenant de pliures issues de présents passés - ces traces à la fois étouffées et vives que certains continuent d'alimenter comme une couche de braise (pendant que les nouvelles plissures se forment sous la pression des avancées vers des pans moins défrichés de l'imaginaire matériel humain) - cela peut bien vouloir dire qu'une médiation est à l'oeuvre et permet que deux «reliefs» (ou plis) exprimant deux moments du temps, se touchent et se «contaminent» en partie.

Le présent n'est pas «pur», malgré la «discrétisation» (voir note sur [note-terem Numérique (nom)] Définition-numérique). Le numérique n'est pas le tout du réel. De l'analogique suinte des pores de la matrice. C'est ce que disait McLuhan : les anciens médias deviennent des contenus pour les nouveaux médias. Les nouveaux médias de son époque (télévision et radio notamment) deviennent donc des contenus pour le nouveau nouveau média qu'est le web (dont on comprend  mieux pourquoi l'appellation hypermédia lui convient bien).

Tout ce qui précède était un laborieux et parfois inspiré (par une éthique écologique un peu pesante, mais qui exprime bien la pression présente pour des changements importants à cet égard) effort pour montrer que les deux modalités du premier paradoxe pouvaient faire écho en fait aux troisième et quatrième propriétés du monde à l'époque numérique, la multiplicité et la médiation, dont nous devons traiter dans cette note. C'était donc une façon supplémentaire et médiée d'en traiter avant d'en faire un exposé plus systématique, idéalement encore plus en rapport avec la stratégie. On pourrait donc dire que le premier paradoxe s'explique par (ou exprime) le dynamisme en tant que propriété du monde révélée par l'apprentissage de la métaontologie.

La reconnaissance de notre ignorance du contexte fait signe vers le fait que celui-ci constitue probablement un écosystème qui possède une certaine cohésion (d'où le lien numérique - «systémique»)

La réalisation de ce qu'on ignore la nature du numérique comme contexte (susceptible de nous prescrire des règles, à la manière d'un jeu) permet d'entrevoir la dimension systémique de cet environnement «culturel» mais qui est peut-être aussi «ontologique»

La propriété que l'être aurait d'être systémique à l'instar du numérique nous est révélée par le paradoxe du manque de connaissance de la nature même du «jeu » (le contexte numérique) pour lequel il faudrait déployer une stratégie...

Autrement dit, il devrait d'abord s'agir de savoir comment on peut bien lire le mouvement des courants qui se croisent dans cette mer du monde numérique qu'on compare souvent à une mer en fluctuation constante. Mais il s'agit aussi de cerner quel est le style de navigation qui nous convient comme navire et comme flotte. Il ne s'agit pas nécessairement de faire la guerre. Il peut s'agir d'arpenter les mers. Alors il y va de notre capacité à bien deviner l'évolution des flots et de trouver une manière de coordonner nos manoeuvres avec d'autres bateaux, embarcations ou vaisseaux de manière à ne pas entrer en collision et à pouvoir favoriser l'élargissement et l'amélioration des dynamiques d'échanges entre toutes ces collectivités exploratrices du monde marin que nous partageons. Les plus gros paquebots ne devraient pas faire chavirer les plus petites barques. Chacun devrait pouvoir battre pavillon aux couleurs de ses valeurs, sans offenser les autres et en arrimant ses initiatives à celles qui font bouger les choses dans le meilleur sens possible pour l'ensemble. Car nous sommes tous interdépendants dans cet environnement. Et rappelons que la mer est une métaphore, et qu'en réalité ce sont nos actions qui constituent les points d'appui sur lesquels la trame qui constitue la matrice dont nous dépendons se constitue. Nous y reviendrons, car ce point est en lien avec la systématicité qui équivaut à la dimension ontologique des dynamiques formant le contexte spécifique au numérique. 

On ne connaît pas la nature du «jeu» numérique alors comment y déployer une stratégie ?

Ce paradoxe semble paralysant. Trop de mouvement nous étourdit. Mais si la curiosité l'empotait ? Si nous allions voir derrière la scène de cette «mauvaise nouvelle» d'un tourbillon qui emporterait tous nos repères, s'il n'y aurait pas des courants dominants, des forces centriguges et centripères, des tensions qui se dessinent et aussi des jeux d'équilibres qui se créent à travers la dialectique de ces confrontations entre tendances opposées.

Quelles seraient les chances que nous découvrions qu'il y a tout de même une certaine cohésion qui régit sans l'assujettir à des lois déterministes, la transformation qui semble globale et constituer une évolution touchant l'ensemble de ce que nous appelons la culture, mais aussi peut-être le monde dans lequel nous vivons.

Si on craint de miser sur le collectif, c'est qu'on entrevoit la complexité du défi auquel le numérique nous convie

La tendance à reléguer le caractère collectif (de la stratégie) au second plan s'explique probablement par la peur de devoir faire face à des défis d'une grande complexité si on devait le prioriser...

...d'où la perception du rôle de révélateur du collectif (dans la stratégie numérique) à l'égard de la complexité (dans le monde)

Nous allons parler ici du  caractère collectif de la culture numérique qui devrait être d'emblée intégré à la stratégie.

Car ce potentiel que le numérique présente de mettre les différents acteurs d'un secteur ou d'une région en relation, ne demande qu'à être activé afin que ce contexte qui est le nôtre, qui constitue notre culture et notre environnement, puisse livrer tous ses fruits. 

Mais pour des raisons tenant aux circonstances, à une peur de se remettre en question ou à la préférence pour une perspective particulière à soi par rapport à un point de vue global, auquel il serait trop difficile de s'élever, on penche généralement pour se doter d'une stratégie singulière. Sous prétexte que le but est de se démarquer tout en économisant énergie et argent, on néglige donc de considérer que ce serait en unissant nos forces qu'on innoverait véritablement et qu'on se démarquerait durablement. Alors, on s'engage - sans s'en rendre compte, faute d'avoir pris la mesure de ce que le numérique avait à nous offrir - dans une avenue moins prometteuse, qui risque même d'être une impasse, dont on ressortira peut-être, mais en regrettant alors d'avoir perdu autant de temps (sous prétexte d'en «sauver»).

Est-ce que c'est l'erreur d'éviter de prendre en compte les relations avec les autres acteurs de notre secteur ou de notre région (la collectivité que nous pourrions former) qui révèle la complexité en tant que propriété du numérique ? Pas uniquement évidemment. Mais la difficulté qu'il y a à travailler ensemble et le saut qualitatif que ça représente d'être dans le concertation et d'organiser des évènements de manière collaborative plutôt que chacun de son côté, cela nous fait toucher du doigt quelque chose de vraiment significatif qui constitue une véritable propriété ou force non seulement de la culture numérique, mais du monde à l'époque du numérique. Le numérique c'est la multiplicité, on le verra. Mais c'est aussi l'unité. Car l'union fait la force, n'est-ce pas. Or le numérique bien compris est aussi ce qui fait la force. Et pour activer cette force du numérique - qui est de combiner multiplicité et unité (et c'est cela que j'appelle «complexité» et que je considère comme une propriété de l'être que nous révèle le numérique) -, un des meilleurs moyens qui soient à la portée des êtres humains, c'est de se coordonner, de former des «collectifs», de se doter de principes communs et de se tenir prêts à les affirmer et à les défendre. Les outils numériques devraient faciliter la formation de telles «unions», mais on sait qu'il peut y avoir des défis techniques liés à l'implantation de ces instruments. Cependant ce sont les facteurs humains qui rendent généralement la collaboration plus difficile. La résistance qu'il peut y avoir à surmonter ces difficultés explique en partie le fait qu'on renonce à mettre la dimension collective au coeur de la stratégie numérique, parce que cela semble trop complexe. Mais la complexité réelle qu'il peut y avoir à collaborer est aussi ce qui rendrait une stratégie numérique plus en phase avec ce qu'est le monde à l'époque dite «numérique», à la fois sur le plan humain et sur le plan technique. Et la culture numérique c'est la conjugaison des deux. Bref c'est la culture ... Et la culture c'est le monde pour nous êtres humains, en tant que nous sommes capables d'y intégrer des outils pour agir sur le monde... qui en retour rétroagit sur notre culture et donc sur nous-mêmes.

Cela n'est pas nouveau. Il en a toujours été ainsi, mais la rencontre avec le défi d'intégrer la dimension collective à une stratégie numérique nous amène à nous en rendre compte, car même si ça semble aller de soi, on s'en éloigne trop souvent. 

La complexité est révélée par l'ensemble des paradoxes et en particulier par celui concernant le caractère collectif négligé alors que cette dernière dimension (le fait d'être «collectif») serait aussi un trait essentiel du numérique qui nous révèle une structure profonde de l'être.

Pour en savoir plus sur la propriété de la complexité, lisez la note dédiée à l'idée selon laquelle «la culture numérique est essentiellement complexe».

Réflexion sur les relations entre paradoxes et propriétés

Nous arrivons maintenant à un point de où il serait bon de réfléchir sur le rôle que les paradoxes de se doter d'une stratégie numérique ont pu avoir de nous laisser deviner les propriétés fondamentales du numérique.

Est-ce que ce sont les paradoxes qui viennent en premier ou les propriétés ?

Il est beaucoup question de «prise de conscience» dans ces notes. Le titre initial de cette note était «Les paradoxes révelent des propriétés de la culture numérique». Mais nous avons modifié cette formulation et remplacé le verbe «révèlent» par «laissent deviner», car ultimement, ce sont les propriétés de la culture numérique qui nous apprennent quelque chose à propos du monde.  C'est le fait de pressentir qu'il y aurait quelqe chose à savoir «globalement» qui nous fait éprouver que ce serait paradoxal à agir sans clarifier ces intuitions. Et c'est de là que vient la volonté d'appréhender ce qui, dans la culture numérique - qui nous englobe en effet - , a quelque chose d'assez fondamental pour relever véritablement de notre monde (et pas uniquement de notre imagination). Et partant de là, l'attention s'aiguise pour identifier plus précisément en quoi ce serait paradoxal de s'élancer dans la planification stratégique alors qu'on n'a pas mis le doigt sur les principales propriétés du nouveau territoire où nous essayons de prendre racine.

Toutes les propriétés de la culture numérique qui sont présentées dans la note sur les «propriétés fondamentales du numérique» sont en réalité des propriétés du monde. C'est dire que chercher à comprendre «le numérique», c'est chercher à comprendre «le monde». Et c'est ce que nous sommes appelés à faire d'une certaine façon en essayant de tirer au clair pourquoi nous rencontrons des paradoxes importants si nous essayons de nous doter d'une stratégie numérique en faisant preuve de rigueur comme le requiert l'enjeu (la survie).

Comment on arrive à ce besoin d'en apprendre davantage

Comment cela se fait-il ? Pourquoi ces paradoxes principaux (car il y en a d'autres) ont-ils tous effet de nous aiguillonner à vouloir en apprendre davantage sur comment le monde numérique est structuré, nous conduisant ainsi à découvrir des propriétés du monde, alors que nous croyions que nous allons identifier des caractéristiques de la culture numérique qui nous permettraient d'élucider cela ?

Pour répondre à cette question, il nous faudra procéder en trois temps. D'abord, nous chercherons à identifier ce qui est commun aux trois paradoxes. Puis nous verrons en quoi cet élément commun renvoie à l'être du monde et pas uniquement aux visions du monde qui peuvent aussi être considérées comme de la culture. Enfin nous essaierons de voir si le numérique nous a ainsi révélé quelques propriétés qui ont appartenu à l'être de tout temps ou s'il ne nous révèle que des propriétés de l'être à l'heure du numérique (compris comme monde et comme culture) ?

Lien commun entre paradoxes et propriétés 

Une certaine erreur qui n'est pas irréparable

La raison pour laquelle ces paradoxes révèlent des propriétés du numérique est qu'ils nous montrent donc que nous nous méprenons sur ce qu'est en train de devenir le monde alors que l'interconnexion se généralise et s'intensifie, les barrières de la langue étant elles-mêmes battues en brèche. 

Les paradoxes pourraient aussi annoncer l'ambiguïté du numérique

Cependant, il ne faut pas perdre espoir. Il se pourrait non seulement que nous arrivions à trouver un sens au fait de nous doter d'une stratégie numérique, mais encore que nous arrivions à reconnaître que le caractère ambigu du numérique ne peut être dépassé et que le fait d'avoir conscience de ces paradoxes soit un atout dont il serait recommandé de jouer pour bien s'inscrire dans ce contexte. 

Il pourrait être nécessaire de renoncer à tout comprendre et d'apprendre à vivre avec le doute

Ainsi, il ne sera peut-être pas possible de résoudre tous les problèmes théoriques et pratiques que pose le fait d'avancer dans un monde dont on ne comprend pas bien les règles de fonctionnement ni s'il y a un  but qui soit en adéquation avec son orientation globale. Alors, nous n'aurons pas le choix d'épouser sa complexité. Et on pourrait le faire sans trop de mal simplement en acceptant la part irréductible de hasard qu'il y a à espérer atteindre un objectif.

Le plan écologique traverse tous les modes d'inscription dans la numérique

Au début de cette note, nous évoquions trois plans d'inscription de l'individu dans le monde : psychologique, professionnel et politique.

Évidemment, il y a aussi le plan écologique. Car l'enjeu du 21e siècle c'est la lutte aux  changements climatiques, car on ne peut nier les risques de bouleversement complet de l'écosystème planétaire, pour lesquels les NTIC pourraient jouer un rôle de pharmacon: à la fois susceptibles d'aggraver le problème mais offrant éventuellement la puissance de transformation nécessaire pour que l'adaptation aux changements climatiques soit gérée et l'atténuation des causes de ces changements atteinte.

Voir les carnets de Martin Deron (de Chemins de transition) sur :

Finalement ces paradoxes nous sensibilisent à notre responsabilité politique

De sorte que ce «plan» est finalement un enjeu qui est transversal. On aurait plus parler du plan communautaire et culturel ou collectif en général. Mais celui-là aussi on considère qu'il est transversal. C'est d'ailleurs également le cas du plan politique. Cependant celui-ci n'occupe pas la même place chez tout le monde. Et la conscientisation aux paradoxes du numérique peut aussi jouer un rôle de sensibilisation à l'importance d'un engagement politique car les petits gestes peuvent faire une grande différence lorsque le numérique est notre milieu, étant donné que tout y est relié.

Conclusion 

La volonté de comprendre (tisser des liens) est stimulée par la profondeur de la réflexion requise pour agir avec lucidité (saisir des opportunités).

Invitation à contribuer en tissant davantage de liens entre propriétés et paradoxes

Rappelons que la raison d'être commune de ces paradoxes est une déconnexion entre notre vision du monde et le monde tel qu'il est en train de devenir, ce qui se reflète dans nos manières de nous engager dans la démarche de se doter d'une stratégie numérique. Une contribution intéressante à ce carnet pourrait être de montrer comment les différents paradoxes observables en cette matière (la démarche de se doter d'une stratégie numérique) font écho aussi aux autres propriétés identifiables de la culture numérique et du monde à l'époque du numérique.

Par exemple il serait possible de montrer comment la complexité de la réalité dans laquelle nous sommes plongés avec l'interconnexion constante qui suppose de multiples interventions par des agents parfois hybrides et dont plusieurs (de ces interventions) sont largement automatisées, est à relier au paradoxe de «manque de connaissance du contexte».

En un sens cela serait facile : il suffirait d'exprimer que nous n'avons pas conscience de tout ce qui est impliqué par les possibilités d'interaction en apparence «en temps réel» car elles consistent justement à faire illusion en donnant l'impression d'une «dématérialisation». Nous parlons donc du «nuage» comme si les échanges d'information se faisaient par des électrons voyageant dans les airs.
Nous avons tendance à faire une stratégie numérique en tenant compte du fait qu'il est possible d'avoir de telles relations à distance, combinant voix, vidéo, collaboration sur des documents multimédias et accès aux connaissances sur le web que l'on peut partager par de simples liens.
Mais nous ne nous soucions pas du fait qu'il s'agit en fin de compte toujours d'écritures numériques mais qui passent par des chaînes d'éditorialisation complexes faisant en sorte qu'il y a des risques d'atteinte à la confidentialité des informations, des coûts énergétiques qui peuvent contribuer au réchauffement climatique, des enjeux d'interopérabilité en lien avec la culture des métadonnées et le choix des formats, qui peuvent mettre à mal la mémoire collective de l'organisation et compromettre les chances que ces interactions soient des facteurs d'évolution significatifs pour le secteur d'activité (car les retombées seront moindre si on ne peut pas se référer aux idées qui sont ressorties lors de l'échange après deux ans, si les formats ont changé ou si les serveurs ont été débranchés suite à la fermeture d'une compagnie par exemple).

Une note d'espoir pour terminer : l'écologie de l'attention pour vaincre les dérives actuelles

En fin de compte, on réalise que le paradoxe réside en ceci qu'une partie des orientations que tendent à prendre les stratégies numérique n'est pas mauvaise, mais une autre ruine les mérites de la première. Cela peut être décourageant car il y a tant d'ignorances à vaincre.

Il est plus important de bien s'inscrire dans le contexte partagé pour y contribuer de manière constructive que d'essayer de tirer la couverture de son côté pour amasser la part du lion des ressources limitées que nous n'avons pas le choix de partager avec équité. Si l'attention est la première denrée que tout le monde essaye de s'accaparer, elle aussi est limitée et devrait être partagée équitablement.

Une culture de l'éducation au regard et à l'attention peuvent émerger. Il s'agit d'intégrer le principe de l'écologie de l'attention à la littératie numérique. On vaincra peut-être ainsi les dérives de l'économie de l'attention, qui est le «mal du siècle».

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Remonter à l'examen de l'ensemble des paradoxes

Aller au premier paradoxe : la confusion concernant le but

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Intégré par Fabrice Marcoux, le 22 mai 2023 19:08
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Publication

22 mai 2023

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1 juillet 2023 16:50

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