Manque de connaissance du contexte

Pour un résumé du propos de cette note sur le second paradoxe : «Manque de connaissance du contexte», lisez la partie de la note globale sur les paradoxes qui lui est consacrée.

On le verra, à propos des propriétés du monde à l'époque du numérique, il y a des aspects de la réalité que le numérique nous amène à découvrir qui font qu'on pourrait réviser notre projet et abandonner tout ce qu'on a pu se donner comme stratégie à ce jour.

C'est pourquoi le premier paradoxe qu'il y a à se doter d'une stratégie numérique, selon notre analyse, était la confusion concernant le but. C'est bien beau se donner une stratégie, mais si on ne le fait que pour faire comme tout le monde, à quoi bon ?

Analogie entre numérique et jeu

Afin de nous aider à mieux saisir la teneur du second paradoxe, je propose de recourir à une analogie : celle du jeu. Car jouer à un jeu se marie bien avec l'idée de stratégie. Cependant, la stratégie à adopter ne découle pas immédiatement de la connaissance des règles qui sont appliquées pour ce jeu.

Il faut d'abord connaître, cela semble aller de soi, quel est le jeu ou le «non-jeu» dans lequel on évolue, et quelles sont ses règles, ou en quoi consiste son absence de règles... Et puis, à partir de là, sachant comment ça fonctionne «le monde dans lequel on vit», ou sachant qu'on ne le sait pas..., il vaut probablement la peine de se situer face aux problématiques qui découlent de la manière dont ce contexte est organisé. On pourrait ainsi évaluer comment faire avancer dignement les causes auxquelles on croit en relation avec notre appréciation des enjeux qui résonnent avec nos valeurs dans ce contexte-là. 

À tout le moins, le projet de se se doter d'une stratégie pourrait alors atteindre une envergure intéressante en ne visant pas seulement à permettre à la personne ou à l'organisation qui s'y engage de «tirer son épingle du jeu»... mais en l'aidant également à se vouer à une finalité à travers laquelle elle pourra s'accomplir, tout en contribuant au mieux-être du monde qu'elle aimerait voir venir, d'un point de vue plus désintéressé.

Le vrai défi, c'est la stratégie...

Vous aurez remarqué que j'ai laissé tomber l'adjectif «numérique». Car le problème avec les transformations induites par les NTIC - si on en croit l'analyse proposée par Marcello Vitali-Rosati, avec sa théorie de l'éditorialisation et la philosophie appelée «métaontologie» -, c'est qu'elles affectent le monde lui-même. Ainsi, le défi n'est pas de se trouver une bonne stratégie numérique, mais bien de se trouver une bonne stratégie tout court. 

Car pour qu'une stratégie soit bonne, outre une vision claire du but que l'on poursuit, ça requiert une excellente lecture de la situation et du contexte. 

La situation c'est celle du sujet de la stratégie : l'individu ou l'organisation qui souhaite prendre les moyens qui conviennent pour atteindre son but. Mais la connaissance correcte de cette situation ne requiert pas seulement d'être capable de bien s'évaluer, elle exige que l'on puisse interpréter adéquatement les signes qui nous proviennent du contexte : de l'environnement social, des tensions économiques et politiques, de l'état des relations interculturelles et du dynamisme interne à votre culture. Mais votre culture est aussi la «culture numérique». C'est la culture que vous partagez avec tout le monde.

Une seconde analogie : la connaissance du terrain, essentielle pour choisir le véhicule

Si vous ignorez les lignes de force qui structurent son influence sur vos autres cultures d'appartenance et sur les logiques de construction du sens, même, en général, vous ne naviguez pas à vue, vous ignorez carrément la nature du terrain sur lequel vous cheminez. À supposer que la stratégie soit le véhicule qui doit vous permettre de cheminer, comment pourrez-vous choisir le bon véhicule si vous ne savez pas si le territoire remodelé par le numérique s'apparente davantage à une mer, à la plaine, à une forêt ou à une chaîne de montagnes ? À moins que ce ne soient des courants aériens ? C'est une autre analogie pour illustrer ce second paradoxe.

On pourrait combiner les deux analogies en une seule : si le fait de s'engager dans une stratégie numérique semble paradoxal, c’est en partie parce que que nous ignorons la configuration du «terrain de jeu», l’organisation du milieu où cette stratégie devrait se déployer.

On ne connaît pas la nature du «jeu» numérique alors comment y déployer une stratégie ?

Second paradoxe

Je m'en tiens à ces évocations ... pour donner des exemples sur le sens du numérique, qui est la première question à se poser pour pouvoir prétendre se doter d'une stratégie numérique.

Donc le paradoxe, ici, c'est qu'on est tout de suite concentré sur les moyens lorsqu'on pense stratégie parce qu'on pense pratique.

Et ça (le fait que ce soit une erreur de penser trop vite aux moyens), c'est quelque chose qui est enseigné lorsqu'on nous apprend comment faire une stratégie numérique : « Pensez bien à votre but et analysez bien ce que le contexte peut vous offrir en relation avec vos besoins réels. Mais rappelez-vous bien bien que ça (le contexte) change tout le temps». C'est ce que nous disait un consultant en stratégie numérique lors d'une formation sur le sujet que j'ai suivie avec Infopresse, en tant qu' ADN de la FTCAQ, en 2020. Il nous a prévenus qu'il serait peu utile de nous doter d'une planification stratégique sur 5 ans,  et qu'il valait mieux bien comprendre l'art de s'adapter qui et au cœur d'une stratégie numérique.

Parce qu'il n'y a plus rien de certain d'une certaine façon...

L’aptitude à s’adapter face aux changements, le prérequis d’une stratégie

Dispositions à cultiver pour le développement d’une stratégie numérique :
    • Savoir vivre avec l'incertitude
    • Avoir une bonne tolérance à l'ambiguïté
    • Être apte à surmonter les résistances au changement

Ce sont des compétences indispensables dans le monde actuel : pour être capable d'innover il faut d'abord accepter que les choses ne vont pas se passer comme on pensait…

C'est une forme de sagesse qu'il est très important d'acquérir. Faute de quoi, nos stratégies risquent d'être vouées à l'échec.

Mais en même temps, est-ce que ça suffit de comprendre ça pour avoir le goût de se lancer dans l'aventure, de trimer dur pour se doter d'une stratégie censée nous aider à atteindre un but, si notre monde semble dénué de certitude et de sens ?

Attention : ne présumons pas de la réponse à la question qui est sous-entendue par notre réflexion. Et concentrons-nous, pour l'instant, sur une saisie plus complète de ce en quoi consiste le paradoxe. 

Où est le paradoxe ?

Où est le côté paradoxal de se doter d'une stratégie si on ne connaît pas bien la logique, probablement complexe qui gouverne ce monde transformé par le numérique et qui n'est probablement pas qu'un jeu ?

Le paradoxe du premier niveau

Voici une tentative d'éclaircissement: le «contexte», le monde dans lequel nous vivons - tel que modifié par les dynamiques qui se mettent en place avec les NTIC - c'est la première chose à prendre en considération quand on s'engage dans une démarche d'élaboration d'une stratégie numérique digne de ce nom. C'est du moins la première chose à prendre en considération pour qu'elle soit applicable. La première chose à prendre en compte pour qu'elle fasse sens étant, comme nous l'avons vu, de bien définir - au regard de cette réalité évoluant sans cesse - quel est son propre but (le rôle qu'on se donne pour mission d'y jouer). Mais nous avons vu qu'il convenait d'être ouvert à l'idée de devoir la mission qu'on croyait être la sienne dans le monde afin de pouvoir mieux arrimer notre mission aux propriétés du monde  «numérique» qui se révèle certes complexe, mais qui nous aide aussi en apprendre davantage sur nous-mêmes (si on accepte de relever le défi).

Mais il y a aussi un autre paradoxe qui ressort du premier niveau de ce second paradoxe.

Le paradoxe de deuxième niveau

C'est que, pour arriver à discerner, avoir la perspicacité de percevoir des «règles du jeu» qui pourraient révéler des «structures générales» du monde numérique, il y a un savoir à développer qui est plutôt théorique. Parce que ça s'apprend avec une réflexion, avec une sorte de recul historique, ...  pour saisir que ce n'est pas uniquement l'abondance des médias sociaux ni la possibilité pour des intelligences artificielles de diriger des objets ou de guider des décisions... qui constitue le contexte numérique. Oui, ces éléments jouent un rôle dans la configuration du cadre dans lequel surviendront les actions désormais. Mais l'essentiel du contexte numérique, c'est autre chose. C'est qu'il faut voir au-delà de ce qui est épatant dans les innovations constantes, techniques, et au niveau des discours peut-être en matière de forme et de présentation, pour voir ce qu'il y a de plus fondamental à trouver (comme potentiel à découvrir) dans ce contexte.

Que faut-il comprendre et comment en tenir compte?

Différence entre le premier et le second paradoxe

Nous l'avons dit (dans «le vrai défi, c’est la stratégie…») nous-mêmes faisons partie intégrante du contexte. Alors, le fait de ne pas être parvenus à discerner quelle est la finalité principale que l'on poursuit, fait en sorte qu'il nous manque une partie  de la connaissance du contexte.  En travaillant sur la résolution du premier paradoxe, cette composante s’éclaircira.

Le fait de considérer le cheminement et les obstacles qui risqueraient de surgir (comme nous le permet la connaissance des règles d'un jeu) à travers une étude plus attentive de la manière dont le monde se transforme, afin d’y trouver des régularités derrière l’aléatoire apparent, dans l’espoir de pressentir des principes actifs qui causent ce bouillonnement, nous permettrait d’anticiper des évolutions en considérant des hypothèses plus probables si on tient compte de tensions ou de patterns qui découlent probablement de contraintes systémiques ou de la présence de dynamiques sous-jacentes. Autrement, dit pour vraiment étayer une stratégie numérique, cela requiert de s’atteler à une étude bien sérieuse qui implique de se renseigner aux meilleures sources.
On pourrait aussi comparer cette démarche à du retro-engineering.

C'est tout aussi exigeant que de faire une introspection pour examiner quelles seront nos intentions profondes pour bien évaluer comment inscrire notre projet de vie dans la complexité du contexte auquel nous sommes confrontés. Mais c’est différent, même si c’est complémentaire car pour bien prendre racine dans ce terreau, il faut bien analyser le sol du nouveau monde vers lequel nous avons appareillé…

Un conseil général : accroître sa culture numérique et la connaissance de soi

À la lumière de ce qu'on a compris du sens de la société (si on est pour ou contre l'orientation générale de celle-ci) puis, en tenant compte de nos forces et de nos faiblesses, il serait conseillé d’adapter nos objectifs - en priorisant l’acquisition d’une bonne littératie numérique (tant au plan théorique que pratique) - pour optimiser nos chances de demeurer viables, au moins pour la durée où on va être appelé à mieux définir nos finalités à long terme, afin de pouvoir s'y engager plus fermement (en ayant pris plus d'assurance parce qu'on a mieux découvert qui on était, ce qui nous permet de mieux avancer).

Pour rappeler l’essentiel, indépendamment des analogies, pour bien choisir sa mission ou son but, il serait tout aussi primordial de bien se connaître soi-même que de reconnaître notre ignorance des lois qui gouvernent ce monde. C’est à la condition de ne pas nous illusionner ni sur ce que nous voulons, ni sur ce que la vie nous réserve, que nous pourrons le mieux intégrer notre destin au devenir qui se dessine… Et il nous faudra avoir le courage d’avancer sans être certains que notre lecture des l’évolution de la culture numérique sera la bonne.

Bien entendu, il est clair que si nous pouvions savoir s'il y a un but au jeu numérique (à supposer que ce soit un jeu), ça aiderait à nous donner à nous-mêmes des buts valables dans ce contexte. Mais le premier but serait alors de savoir quel est ce but qui nous dépasse (il ne suffit pas de savoir qu'il y en a un : encore faut-il bien l'interpréter) ?

La deuxième tâche serait ensuite de nous demander si notre cœur nous dit de nous y conformer (de rentrer dans le rang des bons soldats qui s'alignent pour que cette finalité se réalise)... ou de nous révolter et de faire partie de la résistance pour lutter contre le courant de la culture numérique, si elle se révélait injuste ou absurde ?

Arrimage des apprentissages découlant de la reconnaissance des deux premiers paradoxes

Comme on le voit, les deux composantes du réel, soi et le monde, sont liées. Et c'est de faire fonctionner les deux de concert qui devrait être l'objectif de la stratégie.

Tout cela semble avoir comme corrélat, un point très important que je voulais amener, et qui sera le troisième paradoxe : à savoir que la perspective collective est négligée, alors qu'elle devrait sortir rehaussée, au contraire, de la prise en compte des propriétés du monde numérique (et - espérons-le - de nos intentions profondes).

Propriété fondamentale que cela laisse deviner : systémique 

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Intégré par Fabrice Marcoux, le 22 mai 2023 19:28
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Publication

22 mai 2023

Modification

1 juillet 2023 16:55

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