Pourquoi les supermarchés ne seront pas à l’origine de la transformation de nos systèmes alimentaires

Dans les pays industrialisés, les supermarchés sont le point de convergence entre la production et la consommation alimentaire. Accaparant la part du lion des ventes aux consommateurs, bénéficiant de rapports de force très favorables, ils sont à la confluence de la surproduction, du gaspillage, des prix trop bas de la nourriture et de la destruction des écosystèmes qui s’en suit. Les supermarchés sont donc bien souvent visés par les universitaires, politiciens, industriels et activistes, qui leur recommandent de réduire le gaspillage et de favoriser la consommation responsable via l’approvisionnement durable ou des étiquetages particuliers. Ces critiques considèrent donc davantage la mise en marché de proximité comme le moteur de la transformation souhaitée des systèmes alimentaires. Il demeure que les achats alimentaires en dehors des supermarchés restent très minoritaires et que le rôle de ces derniers mérite d’être analysé attentivement.

Dans cet article, les auteurs ont interrogé 19 intervenants au sujet des systèmes alimentaires allemands et en ont extrait trois grands narratifs. Le premier narratif est que les structures de marché dysfonctionnelles, qui ne tiennent pas compte des externalités négatives du système alimentaire et la surproduction font en sorte que le coût de la nourriture est trop bas. Le second est que les consommateurs ne connaissent pas la vraie valeur de la nourriture et qu’ils s’attendent à une disponibilité constante de produits issus de partout à travers le monde et ce, à bas prix. Le troisième est que les chaines d’approvisionnement causent du gaspillage alimentaire et des conséquences néfastes sur la santé des écosystèmes, entre autres à cause de la réglementation empêchant la réutilisation et la distribution des surplus. Les intervenants interrogés pour l’étude ne plaçaient quasiment jamais les supermarchés au centre des réformes, mais mettaient plutôt l’emphase sur le besoin d’éduquer les consommateurs et d’optimiser l’efficacité du système de production et de distribution alimentaire. Les auteurs soulignent que les solutions proposées risquent plutôt d’ancrer davantage les structures problématiques et de mettre la responsabilité sur les consommateurs, ce qui est selon eux, voué à l’échec.

Les enseignements

Quels sont les acteurs capables d’être les « leaders » d’une transformation de nos systèmes alimentaires ? Selon les traditions de pensée, on estimera qu’en bout de chaine ce sont toujours les consommateurs qui ont le dernier mot, alors que d’autres estimeront que c’est au gouvernement d’agir et d’orienter. Pour en revenir aux supermarchés, leur objectif premier est d’engendrer des profits. Dans les dernières années, marquées par une forte hausse des prix des aliments, ils ont dégagé de plus grandes marges de profits qu’à l’habitude. Les auteurs de cet article avancent que les solutions aux problèmes du système alimentaire qui résident dans les mains des supermarchés sont connues, mais que l’action concertée qui mènerait à la réforme nécessaire est plutôt impopulaire et sans doute illusoire. Les supermarchés ne guideront pas les changements souhaités au sein des systèmes alimentaires parce que ceci menacerait leur capacité à répondre aux souhaits d’une majorité de consommateurs qui attendent d’eux qu’ils offrent des produits variés à bas prix.

pdf N°32, fiche n°1, avril – mai 2024

Rédaction : Marilou Ethier, Pascal Genest-Richard, Patrick Mundler

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